Le Mémorial de la Shoah propose une exposition sur le génocide des peuples africains herero et nama. Ce lieu de mémoire a une longue expérience des questions que pose l’exposition des violences extrêmes.
Exposer la violence des génocides ne va pas de soi. Même quand on est le Mémorial de la Shoah, à Paris. Le musée-mémorial a célébré son 60eanniversaire le 30 octobre. Il inaugure le 25 novembre la première exposition consacrée, en France, au premier génocide du XXe siècle, celui des Herero et des Nama.
Pour exposer cette page d’histoire méconnue, l’équipe a dû se confronter à une question récurrente : comment exposer un génocide et les violences extrêmes qu’il charrie ?
« Je fais partie de ceux qui pensent que l’on peut montrer des choses violentes parce que la violence extrême fait partie de la définition du génocide, explique Sophie Nagiscarde, responsable des expositions. Mais on arrive très facilement à un fort degré de pénibilité. On doit donc toujours se demander : jusqu’où va-t-on ? Quel est notre objectif ? »
Montrer ce qui mène au meurtre
Au Mémorial de la Shoah, l’objectif est éducatif. Il s’agit de donner à comprendre le processus, l’enchaînement, qui amène à la destruction de populations entières. « L’exposition de la violence vient toujours au bout d’une démonstration, rappelle Sophie Nagiscarde. Le but n’est pas de montrer la ‘‘fin’’, le meurtre, mais ce qui mène au meurtre, à la déshumanisation. »
C’est grâce au propos construit avec les historiens que la violence va être recontextualisée. « Nos discussions avec les commissaires se concrétisent dans un texte, qu’il faut ensuite simplifier, vulgariser, pour qu’il puisse être exposé », dit Sophie Nagiscarde. Vient ensuite le moment de choisir les pièces qui seront placées au fil du parcours : films, photos, objets…
Sobriété et charge émotionnelle
Les scénographes entrent alors en scène. Leur rôle est de traduire dans l’espace les choix historiographiques. « Dans ce genre d’expositions, il est important de rester dans la sobriété », considère le scénographe David Lebreton, qui a travaillé sur plusieurs parcours, dont celui sur les Herero et Nama.
Cette sobriété vient contrebalancer la charge émotionnelle, toujours très forte, des pièces exposées. « Il n’y a pas besoin de rehausser le niveau des émotions mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas imaginer des mises en scènes qui vont marquer les esprits », souligne David Lebreton. « Si la forme laisse un souvenir, cela veut aussi dire qu’on laissera un souvenir du contenu. »
Une scénographie sobre mais puissante, c’est aussi aussi l’option qu’a choisie la scénographe Natacha Nisic quand elle a imaginé le Mémorial des enfants en 2005. Cet espace clôt le parcours permanent du Mémorial de la Shoah. Il expose sur toute la hauteur de ses murs 3 500 photos d’enfants français déportés. Les visages sont éclairés par l’arrière, avec des néons imitant la lumière du jour. « Cette pièce vient à la fin du parcours et je voulais que les gens repartent avec de la lumière », explique la scénographe.
Ménager des pauses visuelles
La singularité des expositions sur les génocides impose des contraintes particulières. Que faire du texte explicatif, souvent très long ? Comment montrer les pièces les plus difficiles ? Comment accompagner le visiteur ?
Une réflexion sur le rythme, le « bon tempo » du parcours, est un passage obligé. « Dans un mémorial, il faut laisser au visiteur la place de se recueillir en plus d’apprendre », souligne David Lebreton. Cela implique de ménager « des temps de pause visuelle ». Ils peuvent se matérialiser par des jeux d’éclairage, de couleurs, des ruptures dans le parcours, des espaces laissés vacants…
Tout cela participe d’un respect pour le visiteur, qui doit pouvoir découvrir à son rythme. « Cela passe par des choses subtiles », témoigne Natacha Nisic. Par exemple, par le fait de laisser le visiteur mettre en route un film au lieu de le faire tourner en boucle. Ou par le choix de placer des photos difficiles dans un cahier à feuilleter, qu’il pourra choisir de refermer…
Rapprocher des absents
À la différence d’un livre, l’exposition propose toujours une expérience. Elle permet de se confronter avec des documents et des objets. « Les catastrophes ont fait gagner la mort, les objets rescapés rendent la vie », souligne l’historienne Annette Becker (1).
Plus ils sont simples – dessins, objets personnels – plus ils rapprochent des absents. « Ces objets sont devenus de l’histoire à toucher, au double sens du terme. » C’est cet « effet de réel » qui fait la force de ces expositions pour Natacha Nisic : « Quand les objets sont là, on n’est plus dans la représentation. C’est important car, au fond, la violence on n’y croit pas. »
Une première exposition sur le génocide des Hereros et Namas
Jusqu’en mars, le mémorial de la Shoah propose pour la première fois en France une présentation du génocide des peuples africains herero et nama, premier génocide du XXe siècle, qui eut lieu dans le sud-ouest du continent (actuelle Namibie) entre 1904 et 1908. Environ 80 % du peuple herero et 50 % du peuple nama (soit environ 65 000 Hereros et 10 000 Namas) furent exterminés par le Deuxième Reich allemand, dans le cadre de l’occupation coloniale.
Poster un Commentaire