On va mettre la gomme, promettait l’un, accusant l’autre de jouer les chochottes. La gomme, il ne la mit pas et personne ne joua les chochottes.
C’est que après qu’ils eurent âprement guerroyé dans l’entre-deux tour et après que Debré s’en fût mêlé avec sa lettre à Juppé intitulée As-tu perdu la tête, et bien hier le sarthois et le bordelais avaient rangé leurs pics au placard, le tutoiement était de rigueur, hier ils ont soldé leurs comptes et, quel que soit le résultat du scrutin, les voilà prêts pour le rassemblement de lundi, forts du programme d’une droite cohérente et assumée.
Europe et environnement auront été les grands absents de ces Primaires et la seule ligne de fracture entre Juppé et Fillon restera le modèle social, le député de Paris revendiquant sa radicalité et le Maire de Bordeaux assurant ne pas vouloir toucher au système social. Hier ce fut donc la bataille des droites et nous ignorons comment ils firent, ceux qui tranchèrent et décidèrent qui avait été le meilleur : est-ce parce que Fillon répéta Je veux Je veux.
LE MEILLEUR D’ENTRE NOUS ET MISTER NOBODY
Nous eûmes donc face à face celui que Chirac estampilla le meilleur d’entre nous et celui que Nicolas Sarkozy appelait en privé le pauvre type et qui, se rebiffant, cloua au pilori le favori des sondages à l’issue du premier tour de la primaire dans l’un de ces retournements spectaculaires qui font la cruauté et parfois les délices de la politique. Personne ne l’avait vu venir, celui que les réseaux sociaux appellent Droopy ou Mister Nobody. Première écrivait à propos du film éponyme du belge Jaco van Dormael, Mister Nobody, que le héros cachait, derrière sa sophistication apparente et ses audaces présumées, un académisme formel et une vision conservatrice du monde. Ça lui va à Fillon, non ?
Si son épouse Pénélope dit de lui que, pour être déterminé, il n’a pas pour autant un instinct de killer, qu’il a gardé une vraie décence, ce qui est une bonne chose pour un être humain, lui désormais, boosté par on ne sait quelle pilule magique, prend le pari d’assumer tout de son programme, usant même de la litote pour évoquer son lien avec Poutine et répondant simplement : Il ne nous déplaisait pas de nous voir. Il reste que ce que certains appellent pudiquement sa gaffe à propos des Juifs on a du mal à la digérer, tant à nos yeux en politique chaque mot compte et tant il est vrai que lorsqu’un candidat à la Présidence de la République énonce publiquement ce qu’il pense à titre personnel, la notion de titre personnel perd immédiatement de son sens, ce qui est dit à titre personnel devenant de facto une parole publique, donc un argument de campagne : Sens Commun peut d’ailleurs être satisfait, Fillon a même donné la parole à Madeleine de Jessey, la porte-parole de ce courant des Républicains issu de La Manif pour tous.
LES DÉÇUS DU HOLLANDISME
Face à lui, Juppé affirma que sa réforme incarnerait l’espérance et non la pénitence. Non, dit-il, il ne devra rien à la gauche, les déçus du hollandisme étant des déçus du sarkozysme. Celui qu’on essaie de nous vendre comme un homme sensible, timide, drôle et joyeux en privé et qui est l’ami de Michou n’aura pas réussi à la fendre, son armure, mais surtout, ses accointances avec Tareq Oubrou, ami de l’UOIF, nous n’en entendîmes pas parler.
Alors, quand ce matin Joann Sfar nous confie dans son dessin le cauchemar qu’il fit cette nuit : Dans mon rêve j’avais des amis de gauche qui m’expliquaient pour quel candidat de droite je devais absolument voter, nous on ne sait plus si l’on doit aider à priver Bordeaux d’un si bon Maire ou s’il nous faut nous compromettre avec l’autre qui certes, a rabroué avant l’heure Charline Vanhoenacker, qui certes annonce clairement la couleur et ne nous promet pas du rêve, l’objectif de son programme étant de casser la baraque, comme il le dit lui-même. Ce candidat qui, bien sûr, n’est pas un antisémite mais semble porter en lui des préjugés antisémites ou l’autre qui n’est bien sûr pas pro-salafiste mais est le champion des petits accommodements raisonnables avec l’UOIF.
Aux Français qui veulent savoir à quelle sauce ils seront dévorés, il est désormais clairement apparu que les deux candidats faisaient partie du même camp, avaient côtoyé les mêmes présidents de la République, siégé dans les mêmes gouvernements et ne se distinguaient que peu, au final. Vous le saviez, vous, que c’était Patrick Stefanini, l’ancien directeur de campagne de Chirac en 1995, qui dirigea la campagne de Fillon? Il avait donc tout bon, notre Manu préféré, quand il nous expliqua qu’avec ces deux-là, les électeurs auront le choix entre deux types de droite : le statu quo ou le retour en arrière.
Sarah Cattan
Belle analyse argumentée, bien écrite, que dire de plus à part que sa lecture nous change de la médiocrité.
Un enseignement à tirer pour l’avenir, c’est aux gens de droite de choisir leur candidat et aux gens de gauche de choisir le leur. Sinon, pourquoi organiser encore une élection présidentielle ? Reste plus qu’à mettre en place les modalités.