A H plus 24, le séisme cataclysmique provoqué par son élection prend déjà sa vitesse de croisière et l’effarement a laissé la place à la réflexion. D’abord, accepter de reconnaître que les médias européens ne faisaient que projeter sur Donald Trump leurs propres peurs. Ensuite, nous y coller et expliquer à nos enfants que non, un monstre n’avait pas été élu aux Etats-Unis et que c’était plus complexe que ça. Un inconnu à la Maison Blanche, avais-je écrit après avoir évoqué un alien : la situation n’est pas si caricaturale et si ce ne fut pas Hitler qui gagna son ticket pour le bureau ovale, ce ne fut pas non plus Zavatta. Cela restait, certes, un personnage que nous étions très nombreux à détester d’emblée, pour son côté outrancier, ce qu’on appela sa vulgarité, pour son machisme, ses saillies racistes, et même sa mèche blonde et sa peau gorgée d’UV, occultant tous que ce guy, plusieurs fois au bord de la faillite, était aussi un roi du marketing qui maintes fois, sut redresser la pente. Que les rares européens qui l’avaient rencontré nous parlaient, comme André Bercoff, d’un homme pragmatique, en rien idéologue, quelqu’un qui, armé de convictions fortes, telles l’America first, saurait négocier comme il sut le vendre aux américains, ce qu’il nomma son programme. Doit faire ses preuves et s’attacher à être moins incontinent, notait prudemment le journaliste.
D’abord, s’il l’a emporté, ce ne fut pas par hold-up, mais par la voie démocratique. S’il l’a emporté, c’est aussi parce que sa rivale était une des candidates les plus détestées qui fût, une des plus ambigües, a lyar répétaient de nombreux électeurs, pendant que ses opposants scandaient après Trump : crooked Hillary. Une qui représentait tout ce qui ne fonctionnait plus aux Etats-Unis depuis 30 ans, l’establishment entend-on répéter en boucle, en tout cas une figure liée à cette confiscation d’un pouvoir devenu quasi clanique, et assurément la représentante d’un Parti qui ne sut pas répondre à la protestation des électeurs. Tout cela devait bien se payer un jour, et Hillary restera la preuve que lorsqu’on travaille main dans la main avec Goldman Sachs, qu’on pratique le trafic d’influence et le mélange privé-public au sein d’une Fondation alimentée par les plus grosses pétromonarchies du globe, eh bien parler de diversité ne suffit plus pour incarner le progrès, et être femme ne suffit pas non plus. Heureusement.
MICHAEL MOORE
Le réalisateur poil à gratter de l’Amérique avait listé, lui, dès cet été, dans une tribune, les raisons pour lesquelles Trump allait être élu. Michael Moore y évoquait les Etats du Michigan, de l’Ohio, de la Pennsylvanie et du Wisconsin, ces paysages déprimants d’usines en décrépitude et de villes en sursis, peuplés de travailleurs et de chômeurs qui appartinrent jadis à la classe moyenne et se firent d’abord duper par la théorie des effets de retombées de l’ère Reagan pour être ensuite abandonnés par les politiciens démocrates qui, malgré leurs beaux discours, fricotaient avec des lobbyistes de Goldman Sachs : Les jeunes n’ont aucune tolérance pour les discours qui sonnent faux, prévenait-il, et dans leur esprit, revenir aux années Bush-Clinton serait un peu l’équivalent d’utiliser MySpace et d’avoir un téléphone cellulaire gros comme le bras. Ces millions d’Américains en colère seront tentés de voter pour Trump. Ils ne le feront pas parce qu’ils apprécient le personnage ou adhèrent à ses idées, mais tout simplement parce qu’ils le peuvent, concluait-il. Dan Rather le rejoignit, expliquant lui aussi en substance que pour ses collègues et lui, il y avait, à l’Est, New York et Washington, à l’Ouest San Francisco et Los Angeles, et, entre les deux côtes, tout un continent avec des gens que nous ne connaissons pas et que nous survolons, autant de citoyens dédaignés susceptibles de réagir. Ce qu’ils firent.
Tout ça était donc presque écrit et c’est sans doute pour ça qu’in fine, la bourse n’a pas dévissé, la terre n’a pas tremblé et que déjà, nos réactions se veulent un zeste plus mesurées: n’étions-nous pas fautifs de ne l’avoir pas vu venir, la sanction de ces électeurs sur ces élites autoproclamées, vous savez les sachants, les donneurs de leçons. N’avions-nous toujours pas compris que les élections, désormais, se joueraient sur le terrain de la morale politique.
Non qu’il en eût, Trump, de la morale politique. Ni qu’il fût la voix du peuple. Mais au moins il ne prétendit pas en avoir, de la morale, et ses meetings, il les tint, lui, sans se mettre en scène avec l’entre-soi démocrate policé et huppé d’Hollywood pour s’adresser à cette classe laborieuse désabusée et désorientée.
Lui dont on décrit les collaborateurs comme inexistants à ce jour, isolationnistes dans le meilleur des cas, lui dont François Clémenceau, journaliste au JDD et spécialiste des États-Unis, dit qu’il n’a toujours pas composé son équipe de transition, celle dans laquelle on est prêts à sélectionner des gens pour devenir membre du cabinet, lui dont Roger Cohen, éditorialiste au New York Times, dit sur Europe 1 qu’il n’a pas d’ordinateur et n’est pas capable de se pencher sur un dossier pour plus d’une minute, en tout cas immédiatement, il s’est mis au travail. Concentré, attentif, grave. Il n’a pas d’ordinateur prétendez-vous? Néanmoins il a su les utiliser, les réseaux sociaux, et en a saisi avant tous la quintessence de la punchline et du format court. Vous savez, comme quand, assis dans le TGV, Le Monde à la main face à un autre qui lit Le Figaro, vous construisez, comme votre voisin, en ce seul coup d’œil, une image réductrice de l’autre.
COMMON SENSE
C’est bien lui que le pays de l’Oncle Sam et du cheese burger a porté aux portes de la Maison Blanche, et Le Grand Flip évoqué par Libération prit d’abord tout son sens. C’est qu’elle avait été hard, cette campagne qui offrit au monde entier l’image d’une Amérique meurtrie et divisée par 18 mois de joutes électorales affligeantes et de punchlines d’une violence sans précédent. Il ne ménagea pas ses forces, Donald Trump, tenant la veille encore cinq meetings dans cinq swing states, promettant de faire de l’Amérique sa priorité.
Les accusations démocrates d’avoir exacerbé par sa rhétorique les fractures et les divisions entre les Américains ne portèrent pas leurs fruits et les électeurs n’écoutèrent pas écouté leur Président qui les exhortait à rejeter la peur et choisir l’espoir et n’eut de cesse de dénoncer l’incompétence du républicain. Donald Trump, qui avait conclu sa campagne en promettant que son contrat avec l’électeur américain commencerait par un plan pour mettre fin à la corruption du gouvernement et pour arracher l’Amérique -et l’arracher vite- à ces groupes de pression qu’il connaissait si bien a bel et bien gagné, lui qui a promis de curer le marigot, slogan repris en chœur par tous ses partisans.
Elle fut longue, la nuit électorale, et il avait raison, Mugambi Jouet, Avocat et politologue français enseignant à Stanford University en Californie, de nous prévenir que la démagogie de Trump, qui n’avait pas exploité que les sentiments racistes, sexistes, nationalistes et xénophobes, avait aussi permis de faire croire que son common sense valait mieux que les faits avancés par les experts. Il disait pouvoir convaincre, Trump, eh bien il l’a fait, et des millions d’Américains ont voté pour ce novice en politique, preuve s’il en est que l’Amérique, qui a produit des générations de penseurs, scientifiques, auteurs et artistes renommés, s’est positionnée dans sa majorité contre les intellectuels, la culture, la curiosité intellectuelle et les connaissances approfondies, votant pour ce promoteur décomplexé de la théorie du complot qui affirma que l’acte de naissance de Barack Obama était une contrefaçon, pour cet homme qui osa s’opposer au Département fédéral du travail en affirmant que le taux de chômage durant la présidence d’Obama avoisinait les 42% alors qu’il était d’environ de 5% et répéta que le réchauffement climatique était un mythe.
Ils l’ont en tout cas porté au pouvoir, ce nouveau locataire de la Maison-Blanche qui trouvera les dossiers sur son bureau. Géopolitique, économie, société seront au menu, c’est lui qui devra proposer un plan d’action durable contre Daech et définir ses rapports avec l’Iran, la Syrie, l’Arabie Saoudite. Il a promis plus d’égalité : il devra à présent s’y coller, à cette tâche lourde, car l’OCDE affirme qu’aujourd’hui les États-Unis, proches du plein-emploi, sont le deuxième État, derrière le Mexique, où les différences de revenus sont les plus fortes, et la Banque Mondiale s’est inquiétée de voir que la part dans le revenu national des 1% des plus aisés avait doublé, passant de 9% à 18% depuis les années 1980, alors que plus de 46 millions d’Américains vivent toujours dans la pauvreté et un endettement du au crédit immobilier mais aussi aux crédit revolving et aux prêts étudiants, ce handicap lourd sur les futurs jeunes actifs. Dans le bureau ovale, l’ouvrira-t-il, le dossier inégalités entre minorités, elles aussi exacerbées, le taux de chômage étant plus du double au sein de la population noire ? Penser que c’est lui qui va s’occuper de la dette publique fait moins peur que sa promesse de contrôler les armes à feu, l’immigration et … la signature de l’Accord de Paris sur le climat.
D’ORDRE DIVIN
Son Amérique sera un pays protégé par ce mur le long de sa frontière avec le Mexique. Sera-t-elle ce pays qui promet de mettre fin à l’immigration illégale, aux trafics de drogue et d’armes, les demandes de visa seront-elles soumises à un contrôle extrême ? Nul doute que les clandestins ayant un casier judiciaire seront expulsés et que l’accueil des réfugiés sera interrompu. Mais pour en faire un pays où régneront la loi et l’ordre, permettra-t-il à la police d’arrêter et fouiller tout suspect, de mener les interrogatoires les plus musclés.
Certains de ses engagements qui n’engagent pas la Constitution, il pourra les honorer. Aménager les règles environnementales et les engagements climatiques pour libérer les forages pétroliers et l’exploitation des mines de charbon, il le fera. Investir dans la rénovation de ses infrastructures, alléger les réglementations pesant sur l’activité, créer des millions d’emplois en relançant sa sidérurgie et ses industries lourdes, surtaxer les multinationales ayant délocalisé leur production, il le fera. Renégocier, voire dénoncer les traités de libre-échange et s’opposer au dumping de la Chine, on ne sait pas.
Mais l’Amérique de Trump sera hélas cette terre promise où les prochains juges nommés à la Cour suprême seront opposés à l’avortement et où l’Obamacare sera abrogé et remplacé. Les poursuites judiciaires contre les médias y seront-elles facilitées, on en doute car l’homme n’a pas l’air si fou qu’il n’y paraît, lui qui tweetait en aout : Le New York Times, ce sont les gens les plus malhonnêtes qui soient. Peut-être qu’on va réfléchir à leur enlever leurs accréditations. Mais s’il est une promesse qu’il tiendra, ce sera celle de lever les restrictions aux achats d’armes, puisqu’il les dit constitutionnelles et, surtout, d’ordre divin.
L’AMÉRIQUE D’ABORD
Ce sera ça l’Amérique d’abord, celle dont il a promis qu’elle bombarderait massivement l’organisation État islamique en Syrie, celle aussi qui coopérera avec la Russie en se faisant respecter par Poutine et au besoin durcira le rapport de force avec la Chine. Ce sera une Amérique pro-israélienne a-t-il promis. C’est que là encore, il sut y faire, celui n’était pas perçu comme un antisémite mais comme un anti israélien travaillant cet aspect négatif de sa réputation auprès de l’électorat juif pendant qu’elle, sa rivale, choisit d’adopter une position neutre sur le conflit israélo-palestinien.
Charge à lui de faire oublier aux Américains cette campagne qu’ils décrivirent tous comme un chaos, une catastrophe, un traumatisme, une farce qui fit d’eux la risée du monde, dirent-ils.
Il est révolu, ce temps où Platon dans La République écrivait que le but de l’État était de faire régner la Vertu, c’est-à-dire d’instaurer une société juste, dans laquelle sont respectées quatre qualités fondamentales: La sagesse, le courage, la tempérance et la justice, et que pour organiser un tel État, il fallait que les gouvernants eux-mêmes possèdent ces qualités, d’où la thèse platonicienne des philosophes rois : si le pouvoir politique et la philosophie ne se rencontraient pas sur la même tête, alors il n’y aurait pas de trêve aux maux dont souffraient les états.
Nous ignorions tous que la sublime égalité des droits allait se dévoyer en cette absurde croyance en l’égalité des compétences mais la présidente du FN en est la preuve menaçante, et ce dont elle rêvait, Trump l’a fait. Elle fut donc la première à dégainer, avant même que la victoire du nouveau Président ne fût confirmée, et à le féliciter, lui et le peuple américain, libre.
Le 20 janvier, l’impensable aura lieu : Donald Trump, la main sur la Bible, prêtera serment pour prendre la succession de Barack Obama, et d’ici mai 2017, les électeurs autrichiens, hollandais, italiens puis français s’exprimeront à leur tour dans les urnes. Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle, écrivait Baudelaire.
Sarah Cattan
C’est une analyse très fine et très complète que vous venez de décrire…espérons qu’ici en France les électeurs réagiront autrement face à cette ” morale politique” qui dénie d’ instaurer une “société juste” et qui pour l’instant TRUMP n’en est pas l’expression.
Il n’y en a que pour Goldman Sachs dans cet article. Serait-ce la seule banque aux USA comme Rothschild en France ? (on se souvient d’Emmanuel Macron transformé en grand cru Macron-Rothschild…)
Vous savez fort bien que Goldman Sachs n’a rien d’une banque classique, que cet empire invisible riche de deux fois le budget de la France et qu’on appelle La Firme incarne les excès et les dérives de la spéculation financière. Que ce pouvoir qui ne connaît ni frontières ni limites et menace directement les démocraties est plus qu’une banque. Qu’après s’être enrichie pendant la crise des subprimes en pariant sur la faillite des ménages américains, elle a été l’un des instigateurs de la crise de l’euro, sachant profiter de la crise pour accroître sa puissance financière et augmenter son emprise sur les gouvernements, bénéficiantr de l’impunité des justices américaine et européennes. La Banque – Comment Goldman Sachs dirige le monde de Marc Roche, journaliste au Monde et spécialiste de l’économie, entre autres ouvrages et docu, permet de voir comment Goldman Sachs a étendu ses tentacules jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir politique européen.
Or il se trouve que, d’après CNN Money, rien qu’entre 2013 et 2015, Hillary Clinton a donné 92 conférences pour un gain de 21,6 millions. Ces conférences n’ont rien d’illégal mais ancrent dans la campagne la question de savoir à quel point la candidate dépend de la finance et à quel point elle pratique un double discours, elle qui promet d’être dure avec les banques.
D’après les données officielles rassemblées par le site américain opensecrets.org, Hillary Clinton doit au moins 27% de son budget de campagne aux sociétés d’investissement, aux fonds d’investissements, ainsi qu’aux fonds spéculatifs : 134 millions de dollars.
Voilà comment ont été pointées du doigt ces relations jugées trop étroites entre la démocrate et la finance de Wall Street, avant même que Wikileaks ne s’en mêle avec l’affaire à rebondissements des e-mails, et comment son rival républicain a pu conclure qu’elle ne réformerait jamais Wall Street.
L’arrivée de Goldman Sachs dans le débat prit une dimension particulière parce que pour beaucoup, Goldman abrite l’une des sectes les plus puissantes du monde, capable de tricoter ou de détricoter des empires industriels, d’apporter des financements à des pays fragiles et de les mettre à genoux pour qu’ils remboursent. Quand José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission européenne est engagé chez Goldman, tout le monde sait que ça n’est pas pour son expertise dans l’ingénierie des produits dérivés, mais pour son carnet d’adresses dans l’Europe du Sud. Mario Draghi, l’actuel président de la Banque centrale européenne ? Il a fait une partie de sa carrière chez Goldman, travaillant dans le montage des financements d’Etat. Mario Monti, l’ancien commissaire européen, devenu chef du gouvernement italien à la demande des créanciers de l’Italie, parmi lesquels il y avait Goldman, avait lui aussi travaillé dans les bureaux de Goldman. John Paulson, secrétaire d’Etat dans l’équipe Bush, avait été, avant d’entrer dans l’équipe Bush, président de Goldman. Or on n’a pas oublié comment le monde entier fut précipité dans une crise historique quand fut décidée la faillite de Lehman Brothers, principal concurrent de Goldman.
C’est vrai qu’au moment des subprimes, certains commentateurs soulignaient avec perfidie que Lehman était d’origine protestante, alors que Goldman était d’essence juive, et c’est vrai qu’il y a sans doute encore aujourd’hui un zeste d’antisémitisme dans la critique à l’encontre de Goldman. Mais pas seulement.
Je me souviens aussi d’un reportage où l’on entendait un financier, en l’occurrence une femme, nous rappeler que toutes les banques d’affaires à New York faisaient la même chose que Goldman Sachs…
Mario Draghi a fait une partie de sa carrière chez Goldman dites-vous. Une partie ? mais pourquoi ne parler que de cette partie et pas des autres banques pour lesquelles il aurait travaillé ? Je remarque que nous savons toujours quand quelqu’un a travaillé pour Goldman Sachs ou Rothschild même lorsque cela remonte à 20 ans ou que cela n’aurait duré que 6 mois. Mais jamais pour toutes les autres.
Mais c’est vrai j’oubliais. Goldman Sachs n’est pas une banque d’affaire mais LA banque d’affaire, “La Firme”. Comme Rothschild pour les européens…