La campagne de Donald Trump, qui scandalise l’Europe, s’inscrit en réalité dans une longue tradition américaine. C’est pourquoi elle choque moins aux États-Unis. Décodage.
Quel candidat à la Présidence des États-Unis a-t-il traité son adversaire de « Mouton obèse à tête de concombre » ? Eh non, ce n’est pas Donald Trump, mais Zachary Taylor, en 1848. Auparavant, John Adams avait accusé son concurrent Andrew Jackson d’être l’enfant naturel d’une prostituée noire et James K. Polk soupçonnait Henry Clay d’être un entremetteur.
Donald Trump n’est pas le premier à user de la violence verbale
Les réseaux sociaux n’existaient pas encore, mais les affiches, libelles et gazettes répandaient vite ces insultes qui collaient aux candidats. La violence verbale a toujours fait partie des élections américaines : chez Trump, l’innovation tient plus à la technique de communication, Twitter, qu’au contenu.
Le mensonge n’est pas non plus sans précédent : Trump avance, sans preuve, que Hillary Clinton souffre, entre autres, de la maladie de Parkinson, mais Franklin Roosevelt, à l’inverse, mena trois campagnes victorieuses en dissimulant qu’une poliomyélite lui interdisait de se tenir debout et de marcher. Jusqu’au terme de ses mandats, les Américains ont ignoré la gravité de son handicap.
Ces traditions politiques américaines, vues d’Europe, nous laissent pantois, mais elles expliquent en partie pourquoi l’électorat de Trump reste insensible à son incessante cascade de mensonges et d’agressions.
Donald Trump recycle de vieux préjugés
Le racisme de Trump, contre les Mexicains, les Musulmans, les immigrants en général autant que son machisme peuvent se réclamer de racines anciennes. Ce que l’on appelle le « nativisme », à l’origine la haine de blancs protestants d’origine anglo-saxonne contre les immigrés « exotiques », catholiques, irlandais, italiens, russes, juifs, chinois… et les noirs bien entendu, est aussi une constante politique américaine. On ne s’en prend plus aux catholiques comme au XIXe siècle, les Noirs et les Juifs sont, en public du moins, protégés contre les agressions verbales, mais les derniers arrivés – les Latinos – héritent de tous les préjugés hostiles aux nouveaux venus. Trump qualifiant les Mexicains d’assassins et de violeurs n’innove pas, mais il recycle et cela semble toléré par ses partisans.
Les Américains n’attendent rien de l’État
En Europe aussi, la xénophobie fut et devient de nouveau un moteur de campagne, mais l’Amérique se distingue radicalement sur un point, à droite surtout, par une haine de l’État qui n’existe pas en Europe et surtout pas en France. Les Européens attendent tout de l’État, certainement plus qu’il ne peut fournir, tandis que la plus grande partie des Américains n’en attendent absolument rien. Il est d’usage chez les candidats républicains surtout, mais parfois démocrates (Jimmy Carter, par exemple), d’attaquer Washington et sa bureaucratie qui serait coupée de la nation réelle. L’hostilité de Trump à l’establishment appartient au répertoire américain.
Que l’État fédéral soit cassé et qu’il faille le réparer est un propos reaganien autant que trumpien. Mais Trump se sépare de ses prédécesseurs populistes (on pense à William Jennings Bryant, candidat en 1900) par sa méconnaissance, sans doute réelle, des institutions – Congrès, Cour Suprême – sans lesquelles aucun Président ne peut agir.
Donald Trump, l’ignorance proclamée
Cette ignorance de Trump (« il ne sait pas qu’il ne sait rien », observe le sénateur républicain John McCain) s’inscrit dans une tradition historique, celle de l’ignorance proclamée, une sorte de sagesse populaire qui serait plus avisée que celle des experts qualifiés de « tête d’œuf », à l’ère Kennedy. Un mouvement, bien nommé, les Know nothing, fut constitué à la fin des années 1840 pour s’opposer à l’immigration catholique, devint l’American Party, puis s’est fondu dans le Parti Républicain : une brève existence politique, mais une influence durable que l’on retrouve maintenant dans le Tea Party, cette droite dure qui dénonce en Obama un communiste musulman, pour éviter de dire qu’il est noir. Trump est clairement un Know nothing dopé par la télévision.
Par-delà cet ancrage de Trump dans une tradition exclusivement américaine, politologues et sociologues tentent de rationaliser sa campagne exotique en l’inscrivant dans un flux plus général des sociétés occidentales : il est vrai que la xénophobie progresse partout, mais avait-elle jamais disparu ?
Donald Trump, porte-parole de gens modestes ?
On attribue volontiers cette xénophobie renaissante à un choc en retour de la mondialisation, mais l’explication n’est pas absolument convaincante. Il me semble plutôt que le souvenir de l’Holocauste et de la décolonisation s’estompant dans les mémoires, il est de nouveau acceptable de se déclarer publiquement xénophobe. Des économistes rationnels nous expliquent aussi que les inégalités de revenus générées par cette même mondialisation susciteraient la révolte des laissés pour compte.
Mais Trump paraît un étrange porte-parole des humbles et il reste à prouver que les inégalités progressent : aux États-Unis, ce n’est plus le cas, essentiellement parce que la croissance est soutenue, et le chômage s’estompe.
La campagne fantasque de Trump me paraît avant tout, sinon exclusivement, s’inscrire dans l’histoire longue des États-Unis et dans la médiatisation de nos sociétés, beaucoup plus qu’elle n’est déterminée, sur le mode marxiste, par des paramètres économiques objectifs.
Guy Sorman
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