Plusieurs films israéliens, entièrement tournés en arabe et réalisés par des femmes, ont séduit les jurys des compétitions les plus en vue du pays. Décryptage.
Qu’il soit le reflet d’un hasard de calendrier ou d’une vague de fond, le phénomène n’est pas passé inaperçu. Depuis le début de l’année, les films produits dans l’Etat hébreu qui tendent à collectionner les prix dans les festivals, voire le succès en salle, sont des longs-métrages israéliens tournés entièrement en langue arabe. Et souvent réalisés par des femmes. Dernier exemple en date : le palmarès du festival international du film de Haïfa, dont la 32e édition s’est achevée ce lundi 24 octobre. Le jury de la compétition israélienne a en effet choisi d’attribuer ses prix les plus convoités à deux cinéastes arabes-israéliennes, qui se revendiquent comme Palestiniennes.
La réalisatrice Maha Haj, native de Nazareth, a reçu le prix du meilleur film pour Personal Affairs (présenté à Cannes, dans Un certain regard), une fresque familiale campée entre la Cisjordanie et la Galilée. Tandis que Maysaloun Hamoud, née à Budapest mais élevée près de Saint-Jean-d’Acre, a été récompensée du prix de la meilleure première œuvre de fiction pour Bar Bahar. In Between (sortie française prévue fin mars). L’histoire de trois jeunes Palestiniennes d’Israël, qui se retrouvent en colocation à Tel-Aviv, ville refuge où elles peuvent évoluer à l’abri du regard de la société arabe patriarcale, sans échapper totalement à leur statut de citoyenne de seconde zone.
Le mois dernier, c’était au tour de Tempête de sable, une première œuvre de la réalisatrice Elite Zexer déjà couronnée par le jury du festival de Sundance, de faire les gros titres. En devenant ipso facto le premier film entièrement tourné en arabe à représenter Israël pour l’Oscar du meilleur film étranger. Le long-métrage, qui raconte un drame familial au cœur de la communauté bédouine du Néguev avec un regard critique et sensible, a en effet remporté les plus hautes distinctions lors de la cérémonie des Ophir (l’équivalent local des César). Fait suffisamment rare pour être remarqué, il a déjà totalisé plus de 100 000 entrées, un score certes deux fois moins élevé que celui enregistré par Ajami (le film nominé aux Oscar en 2010, où l’on parle arabe et hébreu), mais qui représente une belle performance.
Face à ce tir groupé, la réalisatrice et productrice arabe israélienne, Ibtisam Mara’ana affiche une certaine prudence. « Globalement le public israélien reste peu friand de films en langue arabe, au-delà d’une programmation élitiste concentrée autour de Tel-Aviv », pointe-t-elle, rappelant que la seconde langue officielle du pays n’est comprise que par une petite minorité de Juifs israéliens. Pour autant, cette cinéaste se réjouit de la moisson de prix récoltés par des réalisatrices faisant entendre une voix arabe et intimiste. « En récompensant Maha Haj et Maysaloun Hamoud, le jury de Haïfa a bel et bien mis à l’honneur deux films pionniers dans lesquels l’élément féministe s’avère plus important que la dimension politique. C’est un cinéma de femmes avant d’être un cinéma palestinien. Voilà la nouveauté. »
Shmulik Duvdevani, critique de cinéma
Le critique de cinéma Shmulik Duvdevani, qui enseigne le septième art à l’Université de Tel-Aviv et écrit dans les colonnes du site d’information israélien Ynet, repère pour sa part une autre tendance : si le phénomène des films en langue arabe made in Israël n’est pas nouveau, il s’est considérablement étoffé et diversifié. « Cela tient au fait qu’Israël – avec ses Juifs laïcs ou religieux, ses Arabes chrétiens ou musulmans, ainsi que ses nouveaux immigrants, n’est pas une société homogène, relève-t-il. Et que l’identité arabe est devenue une partie indissociable de notre société. » Au point d’inspirer des cinéastes israéliens totalement extérieurs à cette culture.
C’est ainsi que la réalisatrice juive israélienne Elite Zexer a eu l’idée de tisser une intrigue autour des femmes bédouines dans son film Tempête de sable, après avoir accompagné sa mère photographe lors d’un reportage effectué dans un petit village du sud d’Israël.
Autre cinéaste à poser un regard d’outsider sur la société arabe d’Israël : le réalisateur Udi Aloni, dont le long-métrage Junction 48, primé lors du dernier festival de Berlin, narre l’histoire d’amour entre deux artistes de hip hop arabes-palestiniens de la ville israélienne de Lod. Sans traiter de manière frontale du conflit israélo-palestinien, ce film qui se place sur un axe résolument militant, a lui aussi beaucoup fait parler de lui. Notamment en raison de la personnalité un brin provocatrice de son principal interprète, le rappeur Tamer Nafar, qui s’est attiré les foudres de la ministre de la Culture israélienne, Miri Regev, pendant la cérémonie des Ophir, en choisissant de chanter un poème du Palestinien Mahmoud Darwich…
Nathalie Hamou
Rien de nouveau, s’ils veulent ensuite être « primés » en Europe c’est actuellement le bon cocktail pour un film israélien : des femmes, des arabes « palestiniens », la langue arabe pour tous (encore mieux!) et, the last but not least, des réalisateurs et trices de gôche. Le dernier qualificatif étant même une condition sine qua non.