Sarah Cattan : La bourde d’Emmanuel Macron

Eh déconne pas Manu ça sert à rien la haine chante Renaud. Voilà l’air qui me trotte dans la tête depuis que je vous ai lu dans Marianne aujourd’hui.

Vous le saviez bien pourtant, Emmanuel Macron, qu’en ce moment nous, les français, nous vous regardons, nous vous observons, nous vous écoutons, empreints de lassitude tant vous nous avez déjà tous déçus, tant est prégnant ce sentiment qu’on la connaît la chanson, tant l’offre est tiède, pas glamour, tant nous en avons assez de voter à défaut, alors c’est vrai que nous ne sommes pas tendres avec vous tous qui prétendez nous gouverner demain et qui êtes prompts à tous nous promettre monts et merveilles, c’est vrai que nous sommes sur la défensive, à l’affut des silences dont nous ne voulons plus mais aussi à l’affut du mot de trop, vous savez, ce qu’ils appellent dérapage. Et quand c’est Nicolas, François, Arnaud ou Jean-Luc qui le font, ce dérapage, nous prenons note, désabusés que nous sommes devenus à force d’avoir cru en vous. Mais quand c’est Vous, Emmanuel Macron, vous qui prétendiez tout changer, qui la commettez, la bourde du jour, quand c’est Vous qui dérapez, comme ils disent, eh bien vraiment nous sommes écœurés. Votre jeune âge devrait-il vous absoudre ? Non. Au contraire. Il devait être l’un de vos atouts et nous, en vous lisant en ce début d’octobre, nous attendions cette chose décidément improbable, votre programme.

Nous attendions votre programme et nous lisons quoi, dans cet entretien que vous accordez à Marianne ? Nous lisons que, tout en fustigeant une laïcité revancharde, vous vous émouvez de ce que des écoles confessionnelles enseignent la haine de la République, professent des enseignements essentiellement en arabe ou, ailleurs, enseignent la Torah plus que les savoirs fondamentaux. Rien que ça.

OFFENSANTS, INEXACTS, CARICATURAUX

En proférant cette imbécillité, cette affirmation infondée, vous nous avez tous profondément déçus : comment peut-on avoir des ambitions présidentielles et s’exprimer ainsi. Ex abrupto. Sans nuance. Qui vous conseille ? Et quels qu’ils soient, en vérité, Vous êtes le comptable des propos que vous tenez. Les SMS de Nicolas, les tweets de Valérie Trierweiler, nous en avions soupé, nous pensions encore que ça existait, des êtres qui mesuraient leurs propos et nous espérions même que vous en fissiez partie. Le FSJU, qui chapeaute les écoles confessionnelles juives, vous nous l’avez énervé aussi, à juste titre, et ne vous étonnez pas ce soir qu’il s’insurge contre vos propos à l’adresse de certains établissements qui enseigneraient la Torah plus que les savoirs fondamentaux. Ces propos, le FSJU les a trouvés profondément offensants, inexacts et caricaturaux, et l’organe de représentation sociale, éducative et culturelle de la première communauté juive d’Europe, qui représente plus de 30.000 élèves répartis dans près de 300 établissements privés, vous le fait savoir dans un communiqué. Il vous rappelle que l’accroissement du nombre d’élèves de confession juive dans les établissements confessionnels est principalement lié au choix de parents confrontés à l’augmentation de l’antisémitisme ces dernières années dans certaines écoles publiques.

Au cas où vous l’auriez déjà oublié, la prof que je suis vient aussi vous le rappeler : il est quasiment impossible d’être juif et de poursuivre sa scolarité dans un établissement lambda, et ce depuis de trop longues années. Non seulement pour nos enfants qui porteraient la kippa : ceux-là, en toute logique, sont inscrits dans un établissement confessionnel. Je vous parle aussi des autres, de ceux qui s’appellent Taïeb ou Cohen. De leurs aînés aussi qui savent ce que c’est que faire son droit à Assas. Alors, quand Ariel Goldmann, le Président du FSJU, vous rappelle qu’à l’instar de l’enseignement privé catholique dont vous-même êtes issu[1], l’enseignement privé juif respecte scrupuleusement les programmes scolaires définis par le ministère de l’Education nationale, fait valoir que 90% de ses élèves sont scolarisés dans des établissements sous contrat, et ajoute que les établissements de l’enseignement privé juif et les élèves qui les fréquentent ne sauraient faire l’objet d’amalgames douteux et dangereux, eh bien moi, je signe. Je signe et vous invite à vous intéresser plutôt au cas des lycées musulmans sous contrats tels le lycée Averroès dont il vient d’être prouvé, publiquement, et hier même, que si le lycée respectait globalement les termes de son contrat avec l’Etat, il y régnait toutefois une fâcheuse collusion, ou plus pudiquement une confusion entre l’enseignement d’éthique musulmane et la philosophie, selon les termes exacts du rapport d’inspection qui suivit la triste affaire Soufiane Zitouni. Vous savez, ce prof de philo qui dénonça lui-même la politique islamiste du dit établissement ?

PRIÈRE POUR LA RÉPUBLIQUE ET LA PROSPÉRITÉ DE LA FRANCE

Cher Emmanuel Macron, révisez avant de parler. Toutes les écoles religieuses n’ont pas la même éthique et nos écoles juives, pour la grande majorité, enseignent exactement les programmes définis par le Ministère. Voyez pour preuve le taux de réussite de nos élèves et au passage, jetez un regard rapide sur leur degré d’orthodoxie. Bref, révisez vos classiques. Pour exemple, cette prière pour la République qui fut, à la suite du Concordat de 1801, instaurée en France par les différents cultes reconnus par l’État. Eh bien cette prière pour la République et pour la prospérité de la France, si elle est encore dite lors des Messes, sachez que de tout temps, les Juifs l’ont dite et continuent à la dire, priant pour la prospérité de l’Etat où ils séjournaient et pour ses gouvernants, respectant en cela l’injonction du prophète Jérémie : Travaillez enfin à la prospérité de la ville où je vous ai relégués et implorez Dieu en sa faveur; car sa prospérité est le gage de votre prospérité.

Sachez, puisque vous semblez l’ignorer, qu’une Prière pour la République française est dite en français ou en hébreu chaque semaine dans les synagogues consistoriales françaises lors des offices du Chabbat et à l’occasion de cérémonies officielles. Sachez aussi qu’en 2012, le grand-rabbin de France Gilles Bernheim fit ajouter une invocation supplémentaire : Que l’Éternel accorde sa protection et sa bénédiction pour nos soldats qui s’engagent partout dans le monde pour défendre la France et ses valeurs. Les forces morales, le courage et la ténacité qui les animent sont notre honneur. Sachez encore que le 22 juillet 2012, lors de son discours de commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, le président François Hollande la cita, cette prière pour la République française, et rappela que chaque samedi matin, dans toutes les synagogues françaises, à la fin de l’office, retentissait la prière des Juifs de France, celle qu’ils adressent pour le salut de la patrie qu’ils aiment et qu’ils veulent servir. Sachez enfin que le 10 janvier 2015, au lendemain de la prise d’otage du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes et du lancement de l’opération Sentinelle, Sacha Reingewirtz, le président de l’Union des Étudiants Juifs de France, récita la prière pour la République française sur les lieux de l’attentat aux côtés du Premier ministre Manuel Valls et de membres du gouvernement, et que le grand rabbin de France Haïm Korsia fit ajouter une phrase rendant hommage aux policiers et militaires mobilisés : Que l’Eternel accorde sa protection et sa bénédiction à nos forces de l’ordre et à nos soldats qui s’engagent, dans notre pays et partout dans le monde, pour défendre la France et ses valeurs. Les forces morales, le courage et la ténacité qui les animent sont notre honneur.

Alors Monsieur le Ministre, corrigez vos dires, révisez vos propos, ne laissez pas planer ces ambiguïtés détestables. Qui ternissent votre image et ne dupent personne.

Sarah Cattan

[1] Vous-même avez été scolarisé au lycée jésuite La Providence à Amiens.