Pour Ilan Greilsammer, professeur de politique comparée à l’université Bar-Ilan de Tel-Aviv, l’ancien président Shimon Peres, décédé dans la nuit du 27 au 28 septembre, incarnait l’Israël des pionniers.
La Croix : Shimon Peres a-t-il emporté avec lui l’image des pionniers d’Israël ?
Ilan Greilsammer : Shimon Peres appartenait à un Israël qui a disparu depuis longtemps. L’État est aujourd’hui très différent de celui qui prévalait à l’époque des pionniers. Sa disparition suscite une grande émotion, justement parce qu’il était le dernier des pères fondateurs. Il incarnait ce que le pays a été à ses débuts.
Il ne faut pas oublier que Peres a été à 24 ans le bras droit de Ben Gourion (premier chef du gouvernement, qui a proclamé l’indépendance d’Israël en 1948). Toutes les autres grandes figures historiques, comme Ben Gourion, Golda Meïr, Yitzhak Rabin ou Ariel Sharon, ont disparu.
L’aspiration des débuts à une société juste et égalitaire a-t-elle aussi disparu ?
I. G : En fait, Shimon Peres était plutôt identifié à la sécurité d’Israël, plus qu’à la justice sociale. Avant son tournant vers les accords de paix d’Oslo avec les Palestiniens (1993), il s’était surtout consacré à la défense des frontières, à la recherche d’alliances stratégiques à l’étranger, à l’armée, l’achat d’armes, la mise en place d’industries d’armements et aéronautiques ou encore de la centrale nucléaire de Dimona. Son prix Nobel de la paix (1994) ne doit pas occulter les réalités historiques.
Lorsqu’il a quitté sa Pologne natale pour immigrer en Israël en 1923, son grand-père qui l’a élevé lui a dit : « n’oublies jamais que tu es juif ! ». Qu’est-ce que cela signifiait pour Shimon Peres ?
I.G : Sioniste convaincu et très conscient de l’antisémitisme, Shimon Peres pensait que l’avenir des Juifs passait par Israël et non par la Diaspora. À ses yeux, le pays devait être l’abri du peuple juif, et il fallait à tout prix le préserver. Cet étatiste laïc n’a cependant jamais fait campagne contre les religieux. Contrairement à Ben Gourion, éduqué dans un système strictement religieux et grand connaisseur de la Bible, Shimon Peres n’était guère féru des textes sacrés. En revanche, lecteur avide et très cultivé, il se projetait dans la lignée de Léon Blum ou François Mitterrand.
Cette image ne tranche-t-elle pas radicalement avec l’Israël d’aujourd’hui ?
I. G : Oui, parce qu’Israël a énormément changé. Le pays est devenu riche, avec un taux de croissance élevé et peu de chômage. Axé sur les industries de pointe, très capitaliste et libéral, il connaît d’énormes écarts sociaux. Cette réalité est aux antipodes de l’État laïc et égalitaire des premiers temps. L’ère Netanyahou n’a rien à voir avec celle de Ben-Gourion, dont on disait que ses revenus étaient équivalents à ceux de sa femme de ménage, et qui a terminé ses jours dans un baraquement du kibboutz Sdé Boker (désert du Néguev).
Les changements démographiques ont en outre imprimé une marque profonde en Israël : avec deux ou trois enfants en moyenne par famille chez les juifs laïcs, contre 7 à 8 chez les religieux, ces derniers pèsent beaucoup plus lourd sur les coalitions gouvernementales qu’à l’époque où le parti travailliste de Shimon Peres était aux commandes.
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