“Nous avons été rassemblés ici et envoyés vers +le chemin de la mort+”, raconte Raïssa Maistrenko, pointant du doigt un vallon recouvert de gazon à Kiev, théâtre il y a 75 ans de l’un des pires massacres de la Seconde Guerre mondiale.
Elle n’est alors âgée que de trois ans lorsque les 29 et 30 septembre 1941, près de 34.000 Juifs sont tués par balles par les nazis aidés par des miliciens ukrainiens au ravin de Babi Yar.
Les Allemands, qui ont occupé Kiev le 19 septembre 1941, avaient alors diffusé des affiches en ukrainien ordonnant “à tous les juifs” de “se rassembler le 29 septembre vers 8 heures du matin au croisement des rues Melnik et Dokterivska” avec leurs papiers d’identité, de l’argent et des vêtements chauds. “Celui qui désobéira à cet ordre sera fusillé”, prévenait le texte, perçu à Kiev comme l’annonce d’une déportation.
Des dizaines de milliers de personnes venues avec leurs affaires, pour l’essentiel des vieillards, femmes et enfants, ont alors été sauvagement éliminées à la mitrailleuse au bord du ravin. “Tous les juifs avaient décidé d’y aller car ils pensaient qu’ils seraient évacués en train car la station de chemin de fer se trouvait non loin. Personne ne pouvait imaginer qu’il allait y avoir une exécution de masse”, raconte à l’AFP Raïssa, dont la survie relève du miracle.
Je suis Russe!
Son père avait été enrôlé dans l’armée soviétique et elle vivait avec sa mère dans l’appartement de ses grands-parents paternels, des Ukrainiens non juifs.
A l’annonce du rassemblement à Babi Yar, le grand-père essaie de convaincre la partie juive de la famille de ne pas s’y rendre, promettant de les cacher. En vain.
Le grand-père maternel, Meer, préfère suivre les consignes et rassemble la famille, dont Raïssa et sa mère Tsilia, pour se rendre vers le ravin. La grand-mère paternelle, ukrainienne, de Raïssa veut alors accompagner sa petite-fille. Elle lui sauvera la vie.
Lorsque des tirs retentissent non loin du ravin, la grand-mère comprend qu’il ne s’agit pas d’une évacuation mais bien d’exécutions sommaires. Elle agrippe sa petite-fille et se met à crier: “Je suis Russe!”. Elles fuient en courant la zone et s’en sortent malgré les tirs des soldats.
“On entendait des tirs derrière nous mais ma grand-mère a continué à courir aussi longtemps qu’elle a pu avant de s’arrêter, épuisée, au milieu des tombes du cimetière avoisinant”, raconte Raïssa. Pendant ce temps, 18 membres de sa famille, dont sa mère, périssent à Babi Yar.
La grand-mère et sa petite-fille restent là jusqu’au coucher du soleil puis rentrent de nuit chez elle. Personne ne les dénonce.
“Il y avait deux grandes maisons dans notre cour avec des familles multi-nationales, mais toutes étaient très amicales les unes envers les autres”, se rappelle Raïssa.
L’Ukraine va commémorer cette semaine les 75 ans du massacre de Babi Yar en présence notamment du président israélien, Reuven Rivlin.
“C’est impossible d’oublier de telles choses”, résume cette dame aujourd’hui âgée de 78 ans et qui dirige encore une compagnie de danse pour enfants.
Le site de Babi Yar a été jusqu’en 1943 le théâtre d’exécutions massives : jusqu’à 100.000 personnes y ont été tuées, parmi lesquelles des Juifs, des Tziganes, des combattants de la résistance et des prisonniers de guerre soviétiques.
Le carnage des 29 et 30 septembre 1941 a été révélé lors des grands procès de Nuremberg (sud de l’Allemagne), mais l’URSS, dont l’Ukraine faisait partie, a toujours cherché à minimiser le drame pour ne pas avoir à admettre que les victimes étaient juives. Pendant des décennies, les rassemblements de commémoration furent interdits dans le ravin.
Un monument construit à Babi Yar en 1976 est consacré aux “citoyens et prisonniers de guerre soviétiques”, sans aucune mention des victimes juives. En 1991, un mois après la chute de l’URSS, la communauté juive érigea non loin de là une sculpture en forme de menorah, le chandelier juif à sept branches.
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