«Qu’y a-t-il de mieux que d’avoir de la viande en tuant des animaux ? Avoir de la viande sans tuer d’animaux.» Tel est le truisme de SuperMeat, entreprise israélienne qui développe, au stade expérimental, la production de viande artificielle (ou in vitro) de poulet.
Le 10 septembre, SuperMeat a recueilli 200 % des fonds espérés de sa campagne de financement participatif, soit plus de 200 000 dollars (180 000 euros) en deux mois. Preuve que le dilemme éthique se pose de plus en plus chez les amateurs de bonne chère. Depuis le 1er janvier, plus de 42,5 milliards d’animaux ont été tués pour leur viande dans le monde. La production de viande de laboratoire permettrait de réduire considérablement ce nombre, ce qui allégerait, en théorie, le poids de nos consciences. La production de viande in vitro remporte d’ailleurs les faveurs d’associations de défense des animaux, comme L214. En 2008, Peta (Pour une éthique dans le traitement des animaux) avait même promis 1 million de dollars aux scientifiques qui développeraient un procédé de production de viande de poulet artificielle d’ici à 2012. En juin, le think tank Sentience politics a publié un document intitulé «Viande in vitro : une alternative éthique à l’élevage industriel». «Cette approche aurait le potentiel d’allier toutes les exigences pour une production humaine de viande, durable et saine», affirment-ils.
Empreinte carbone
Loin d’être nouveau, le concept de viande artificielle est étudié depuis plusieurs années par les scientifiques. Un premier prototype avait été présenté à Londres en août 2013. «Le principe est simple, explique Yaakov Nahmias, professeur à l’université de Jérusalem, cofondateur et directeur de recherches de SuperMeat. On extrait des cellules souches de poulets pour les faire se développer en dehors de l’animal», dans une boîte de Petri. Ce dispositif serait très productif grâce à la multiplication des cellules, mais aussi «beaucoup plus efficace que d’élever l’animal entier, avec un gain considérable d’énergie», considère-t-il.
Face à l’explosion démographique et aux enjeux climatiques, ce procédé, appliqué à grande échelle, serait la solution au manque de ressources alimentaires, à la lourde empreinte carbone de l’élevage, responsable de 18 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et au respect de l’intégrité des animaux. Ainsi, la viande in vitro débarrasserait de tout ce qui fait que manger de la viande, c’est mal.
Mais pour Jocelyne Porcher, directrice de recherches à l’Inra et auteure de Vivre avec les animaux : une utopie pour le XXIe siècle, le développement de cette viande artificielle est carrément «immoral : une production de morts-vivants». Selon elle, ces travaux représentent le stade ultime de l’industrialisation de l’élevage entamée au XIXe siècle : «Les animaux sont un frein à la production parce qu’ils sont vivants, sensibles, affectifs, communicatifs, ils peuvent tomber malades, résister au travail, créer des attachements avec les travailleurs, explique la chercheuse. Mais pour qu’il y ait de la vie, il faut qu’il y ait de la mort. Avec la production de viande artificielle, on retire à l’animal sa subjectivité, ce processus nous dépossède de nos relations aux animaux.»
Paradoxe
Créer une nature artificielle pose ainsi des questions éthiques, à l’instar du clonage ou des OGM. «Rien à voir ! rétorque pourtant le professeur Nahmias. C’est comme comparer le fait de tuer un animal avec le fait de manger une pomme : dans le processus de clonage, l’animal souffre et meurt parfois.» Quant au rapprochement avec les OGM, le professeur explique que la production de viande in vitro ne touche pas à l’organisme des animaux, et que la cellule extraite n’est jamais modifiée.
Mais si on supprime l’élevage, que vont devenir les animaux ? «Est-ce qu’on va se contenter des cellules d’un seul cochon pour toute la planète ?» se demande Jocelyne Porcher. Une interrogation à laquelle le professeur Yaakov Nahmias apporte une tout autre réponse : «Il y en aura certainement moins, mais les animaux pourront regagner leurs territoires, on retrouvera des renards, des loups et des lapins dans les champs.» Optimiste, voire «irréaliste», pour Jocelyne Porcher.
D’autres scientifiques, comme Jean-François Hocquette, également directeur de recherches à l’Inra, pensent au contraire qu’en matière d’éthique, la viande artificielle gagne haut la main son combat face à la viande d’élevage classique, puisqu’elle épargne la vie des animaux. «L’éthique pousse toujours à faire des choix qui impliquent des conflits entre des valeurs différentes, par exemple, maltraitance animale versus volonté de nourrir tous les hommes», écrit-il dans son article «La viande in vitro est-elle la solution pour le futur ?» publié en avril 2016 dans la revue Meat Science. Mais pour lui, le succès de la viande artificielle est peu probable. Ce serait une solution utopique et même paradoxale à l’ère du bio, avec des consommateurs toujours plus séduits par les produits naturels, pas vraiment prêts à manger une cuisse de poulet produite en laboratoire. D’autant que son coût est élevé : selon des estimations du In Vitro Meat Consortium, une tonne de viande artificielle pourrait avoisiner 3 000 à 3 500 euros, contre 1 880 euros pour une tonne de viande de poulet. La mise sur le marché à un prix acceptable n’interviendra pas avant les années 2020 ou 2030. Car si la culture de cellules souches «est maîtrisée depuis longtemps», plusieurs obstacles restent à lever. «Pour créer du muscle, on utilise des hormones de synthèse, des antibiotiques, un sérum de veau fœtal dont on ne sait en fait pas grand-chose», détaille Jean-François Hocquette.
Protéines végétales
Autre point dérangeant selon le chercheur, «le marché de la viande in vitro risque d’être récupéré par de grosses entreprises comme Monsanto. Ça pose un problème d’éthique vis-à-vis des agriculteurs». Jean-François Hocquette rappelle également, dans son article, que d’autres solutions peuvent répondre à la multiplication de bouches à nourrir, comme la réduction du gaspillage alimentaire (qui correspond à un tiers de la production alimentaire mondiale), ainsi que la consommation de protéines végétales. «Comme toute innovation, il est difficile de la faire accepter», justifie Yaakov Nahmias, qui maintient que la viande in vitro est éthique, tant pour les animaux que pour son impact global. SuperMeat a même pour ambition de permettre une industrialisation de ses produits à l’échelle locale. «La viande artificielle pourra être fabriquée sur place dans les restaurants, les supermarchés et même dans votre cuisine», s’enthousiasme le chercheur israélien. De la science-fiction ? L’objectif de SuperMeat est de commercialiser sa viande in vitro d’ici juillet 2021.
C’est évidement l’avenir. 42 milliards d’animaux élevés, tués et mangés en 9 mois sur Terre… et demain 100 milliards ? Ce carnage ne peut pas continuer indéfiniment.
Et face à cette terrifiante réalité de l’élevage animal industriel, les remarques de la chercheuse Jocelyne Porcher sont vraiment stupides et indécents.
Quelle « relation » a l’humanité avec les animaux d’élevage aujourd’hui quand on sait que la moitié de la population mondiale est citadine et que demain ce sera les trois quarts de l’humanité qui vivront dans des villes, à part les engloutir sans jamais les voir ?…
Elle ferait mieux de se taire et d’apporter sa contribution à la production de viande in vitro. Les animaux, paisibles ruminant, et revenant à des populations moins nombreuses et aussi plus naturelles (pas 42 milliards !!!…) lui diront merci.
On pourrait même faire la même chose avec la viande humaine, mais serait-elle d’aussi bonne qualité et n’y aurait-il pas trop de risques d’épidémies de bêtises et d’obscurantisme ?