L’acteur suisse Bruno Ganz (75 ans) interprète Arthur Bloch dans le film «Un Juif pour l’exemple». Interview.
L’histoire d’Arthur Bloch, dont Jacques Chessex a tiré un récit, arrive dans les cinémas romands aujourd’hui. Le film choc, puissant, réalisé par Jacob Berger, est porté par des acteurs remarquables, dont Bruno Ganz, 75 ans, qui redonne vie au commerçant juif, victime de la barbarie de quelques nazis rêvant d’offrir un cadeau d’anniversaire à Adolf Hitler. Rencontre hier à Lausanne.
Bruno Ganz, avez-vous découvert le drame d’Arthur Bloch par le livre de Jacques Chessex?
Non, je n’ai pas lu le livre de Chessex. Parce que mon français n’est pas très bon, et approcher le scénario, pour mon rôle, était suffisant. Peut-être que j’aurais lu le livre si j’avais interprété Chessex. Nous l’avons évoqué, mais j’avais envie de jouer Bloch. Il m’a attiré tout de suite, parce que jamais je n’ai joué quelqu’un d’aussi intégré dans le milieu paysan, la main sur les bêtes, le talent du commerce, à l’aise dans son monde, roublard aussi, très cultivé. Pour dire les choses simplement: j’aime Arthur Bloch. C’est quelqu’un que j’ai perçu comme très gentil, et cela m’a plu. Et en acteur, j’ai apprécié de jouer une victime sympathique au cœur d’une histoire tellement absurde.
Vous avez aussi interprété Adolf Hitler dans La chute. Un grand écart qui vous a troublé?
Pour le public, ce grand écart est évident. Je me suis bien sûr rendu compte que je jouais Hitler, et il fallait que j’attrape des éléments de ce personnage dans ses derniers mois de vie, comme je devais saisir la personnalité d’Arthur Bloch. Mais interpréter l’un, puis l’autre, ce n’est qu’une question d’acteur, pas de morale. Avec Hitler, ce qui m’a impressionné, bouleversé, ce sont ses dix premières années, comment il est monté, comment il a fasciné, manipulé, parlé, comment il a gagné pas seulement la sympathie, mais l’amour des gens. Et pas seulement en Allemagne. C’est comme s’il existait une partie du cerveau des hommes qui est vide et peut se remplir soudain d’une idée, même étrange et folle.
Aimez-vous ce film, Un juif pour l’exemple?
Oui, il me plaît beaucoup, parce qu’il y a quelque chose dans l’esthétique qui est favorable à l’histoire. C’est raconté comme une chronique, je suis très content de ce résultat. Il nous dit que ce pays se prenait pour innocent, qu’on avait la Croix-Rouge, le passeport si respecté, que nous nous sentions supérieurs grâce à notre neutralité. Il dit que des choses de ce genre peuvent se passer chez nous. Nous ne sommes pas si différents des autres.
Accepter un tel rôle, c’est s’engager politiquement?
J’ai appris, dès mon arrivée en Allemagne, à suivre de très près l’actualité. En fait, l’Holocauste, dès le moment où j’en ai eu connaissance, ne m’a plus jamais quitté. J’ai plusieurs amis juifs, et quand je les côtoie, j’ai toujours à l’esprit ce qu’on a fait avec eux. C’est en moi. Avant-hier, j’ai fait une lecture dans une synagogue en Autriche, je fais cela parce que je suis concerné.
Jouer Arthur Bloch était donc important pour vous?
Oui. Si cette histoire s’était passée en Allemagne, elle ne m’aurait pas tellement intéressé. Je l’ai fait parce que c’était la Suisse et que je me souviens de ma fierté, quand j’étais jeune, au moment de passer une frontière et de présenter mon passeport à croix blanche. Ce film amène sa part à ma quête d’un équilibre entre ce que j’étais à 16 ans et ce que je suis aujourd’hui. J’étais un Suisse innocent. Je pense que les banques ont fait perdre son innocence à la Suisse.
Êtes-vous, par solidarité, juif dans votre cœur?
Peut-être, mais quand je suis avec mes amis juifs, à un certain moment je ne suis pas des leurs, je n’entre plus. Car, pensant à leur destin de peuple écarté depuis l’histoire du monde, ils maintiennent une différence entre eux et nous. Ce n’est pas désagréable, d’ailleurs.
Vous êtes né d’un père suisse et mécanicien, et d’une maman d’origine italienne. Que vous ont-ils laissé, qui fait que vous êtes Bruno Ganz?
Ma mère m’a transmis le côté italien, le cœur, je suis capable d’être chaleureux, même si je le dissimule souvent; mon père, la sincérité, le respect, le travail qu’on essaie de faire bien et avec précision, les vertus suisses.
Si Jacques Chessex était vivant, que lui diriez-vous?
Je lui dirais que je suis très fier qu’un Suisse ait osé évoquer cette histoire. Je lui dirais que je l’admire car, quand le livre est sorti, il a été menacé, mais il s’est montré courageux.
Et si vous étiez, aujourd’hui, un habitant de Payerne, où a eu lieu le drame?
Je comprends que les gens proches de ces familles en ont marre, qu’ils souhaiteraient qu’on n’en parle plus. Mais en vivant en Allemagne, j’ai appris qu’on ne peut pas fixer de limites à la mémoire. Mais je me demande vraiment pourquoi une idéologie nazie peut ainsi intéresser des Suisses simples, jusqu’à les pousser à vouloir offrir un juif mort à Hitler.
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