Israël, orfèvre de l’eau

Confronté à un stress hydrique chronique, l’État d’Israël a lancé un plan directeur sur quarante ans pour économiser l’eau et trouver de nouvelles ressources par le retraitement des eaux usées et le dessalement.irrigation_goutte_a_goutte_israel

«Nous ne disposons malheureusement plus de la technologie dont disposait Moïse : frapper le rocher, faire jaillir de l’eau et donner à boire au peuple… » Rien de mieux qu’une métaphore biblique pour illustrer la problématique de l’eau en Israël. Et Abraham Tenne est sans doute l’un des mieux placé pour en parler : il a dirigé durant dix ans, jusqu’à 2015, la commission du dessalement de la Haute Autorité des eaux et de l’assainissement du pays.

« Selon la FAO, l’organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture, au-dessous de 1 700 mètres cubes par personne et par an, un pays est en situation de “stress hydrique”, explique cet homme énergique. En Israël, on est autour de 300 à 350 mètres cubes. C’est pourquoi nous avons créé la Haute Autorité il y a neuf ans, afin que le pays soit toujours autonome en eau, qu’il pleuve ou non. »

Un plan de communication pour économiser l’eau

La géographie est implacable : Israël est à 60 % désertique. « Le climat est caractérisé par une haute fréquence d’années sèches, de courtes saisons des pluies et une importante évaporation des eaux de surface. Environ 70 % de l’eau de pluie s’évapore, 25 % s’infiltre dans les nappes phréatiques, et 5 % s’écoule dans les lacs et rivières », explique Norbert Lipszyc, spécialiste du développement durable (1).

Jusqu’en 1975, les ressources en eau du pays étaient suffisantes, grâce au pompage dans les aquifères, les eaux souterraines, et dans le lac de Tibériade. Mais depuis, la population est passée de près de 2,5 à 8,2 millions d’habitants. Et le pays a connu huit années de sécheresse après 1992. La variation de niveau du lac faisait la une des bulletins d’information, d’autant que les aquifères étaient de plus en plus pollués… Un sujet de préoccupation aussi pour les Palestiniens de Cisjordanie.

Pour faire face, le gouvernement a engagé un plan directeur sur quarante ans pour économiser l’eau et trouver de nouvelles ressources. Cela s’est tout d’abord traduit par une campagne de communication massive, « notamment à destination des écoliers, chargés de la ”police de l’eau” dans les familles, en arrêtant le robinet quand ils se brossaient les dents », s’amuse Abraham Tenne.

Plus de 1,5 million de domiciles ont par ailleurs été équipés de systèmes de réduction de la puissance des douches, ce qui a permis une économie de 15 % de la consommation.

L’agriculture est en pointe

La lutte contre les fuites dans les canalisations, véritable plaie pour les compagnies des eaux, a été renforcée : en Israël, 10 % seulement de la précieuse ressource est perdue, contre 20 % en France et 37 % à Londres. Le tout a été couronné par une politique de prix incitant fortement aux économies : en trois ans, de 2009 à 2012, le coût de l’eau pour les consommateurs privés a été multiplié par 1,5 jusqu’à 2.

L’agriculture, grande consommatrice d’eau, est depuis longtemps en pointe. Le système d’irrigation par goutte-à-goutte a été mis au point en 1959 par Simcha Blass, l’un des fondateurs de Mekorot, la compagnie nationale des eaux. En 1946, il avait planifié la pose des premières canalisations d’eau vers le Néguev, qui avaient contribué au choix de l’ONU de confier le grand désert du sud de la Palestine à l’État juif.

« Les premiers kibboutz installés avaient stupéfié la délégation onusienne, en lui offrant des salades fraîches », raconte Yaël Projeanne, au Musée de l’eau et de la sécurité du kibboutz Nir-Am, au point de départ des tuyaux.

Micro-irrigation

Aujourd’hui, 75 % de l’agriculture du pays a recours à la micro-irrigation. « Mekorot affecte aux agriculteurs une certaine quantité d’eau. À eux d’optimiser son utilisation », explique Liana Ganot, responsable de la protection des plantes à la station de recherche et développement du sud, située dans la région de Bessor, dans le nord du Néguev.

« Nous perfectionnons sans cesse l’arrosage des plantes, ce qui ne nous a pas empêchés de multiplier par trois en trente ans notre production de tomates, passée à plus de 30 tonnes par 1 000 mètres carrés et par an », se félicite-t-elle.

Mais économiser ne suffisait pas. Trouver de nouvelles ressources était indispensable. L’accent a tout d’abord été mis sur le recyclage du produit des égouts, « composé à 99,8 % d’eau », insiste Meir Ben Noon, assistant du directeur de Shafdan, la plus grande station d’épuration du pays, qui traite les eaux usées des habitants de la région de Tel-Aviv. Après être passée dans des bassins de décantation puis des réacteurs biologiques, l’eau est de « qualité buvable », assure-t-il.

85% des eaux usées sont réutilisées

D’autant que la particularité de la station de Shafdan est de répandre l’eau traitée dans les terrains alentour. Elle traverse ensuite 30 mètres d’épaisseur de sable, véritable filtre naturel supplémentaire, avant d’être stockée dans des aquifères vides situés au dessous. Puis elle est envoyée à 120 kilomètres au sud, dans le désert du Néguev, par d’immenses tuyaux de couleur violette – ce qui les différencie des tuyaux d’eau potable, de couleur bleue.

« Israël est leader mondial en matière de réutilisation des eaux usées, avec un taux de 85 %, contre 35 % pour Singapour et 27 % pour l’Espagne », se félicite Meir Ben Noon, qui souligne que « 70 % de l’eau d’irrigation du Néguev vient d’ici ».

Pour atteindre l’autonomie en matière de ressource hydrique, le pas décisif a cependant été franchi depuis dix ans avec la création d’immenses usines de dessalement d’eau de mer, une ressource inépuisable. La première d’entre elle, à Ashkelon, a commencé à produire en 2005. Elle utilise la technique de l’osmose inverse, un système de filtrage très fin qui retient le sel et ne laisse passer que les molécules d’eau et permet de limiter la dépense d’énergie.

Cinq usines de dessalement

Quatre autres usines ont été ouvertes depuis. « Elles fournissent désormais 75 % de l’eau potable des ménages », se félicite Jean-Camille Gutenberg, responsable adjoint de la maintenance du site.

Ce qui permet de consacrer près de 6 % de l’eau disponible au rechargement des aquifères. Et donne l’occasion à Henri Starkman, l’ancien président de Veolia en Israël, qui a créé l’usine d’Ashkelon, de lancer, provocateur :« Aujourd’hui, en Israël, il y a trop d’eau ! »

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La disponibilité en eau et sa consommation en chiffres

Eau disponible. (Chiffres 2015, en millions de mètres cubes) – Eaux de pluies qui ont ruisselé dans les nappes phréatiques exploitées : 1 500 – Recyclage des eaux usées : 450 – Récupération des eaux de ruissellement pour l’agriculture : 300 – Dessalement : 600

Eau consommée. Agriculture  : 1 030 Industrie : 100 Consommation urbaine : 780 Rivières : 50 Réhabilitation des aquifères : 130 Accords internationaux avec Palestiniens et Jordaniens : 150

Vincent de Féligonde, en Israël

(1) Auteur de La crise mondiale de l’eau, l’hydro-diplomatie, Éditions de Passy, octobre 2013, 22 €.

Source la-croix

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