Coin d’Ibn Gvirol et de la rue Jabotinsky. Un graffiti de Rami Méiri de 1985 : une jeune femme en débardeur se penche à la fenêtre pour étendre un jean immense. Le temps a écaillé la peinture de la façade de la maison et le jean est en lambeaux.
Je continue sur la rue Jabotinsky et je longe avec émotion la Gymnasia Herzliya. Il y a peu, j’assistais là à la cérémonie de fin d’études de ma fille Anaël et de ses camarades qui faisaient partie de la 104e promotion de cette vénérable institution. J’aime quand ma vie se tisse à l’histoire d’Israël. Créé en 1905 à Jaffa, la Gymnasia Herzliya est le premier lycée du monde où la langue d’enseignement est l’hébreu. Ses fondements pédagogiques ont été pensés par Menahem Ussishkin, Menahem Sheinkin, Haïm Bograshov et Ben Zion Mosinsohn qui tous les quatre ont des rues à leur nom ! C’est Fania et Yehouda Leib Matmon-Cohen qui, dans leur appartement de deux pièces à Jaffa, enseignent l’hébreu aux premiers élèves, ils sont dix-sept. En 1910, un beau bâtiment s’élève rue Herzl et devient le centre de Ahuzat Bait, la future Tel Aviv. On peut même dire que Tel Aviv se construit autour de la Gymnasia. Le lycée où sont inscrits alors quatre-vingt-quinze élèves, a fière allure. Il est conçu dans le plus pur style éclectique, très oriental avec des arcs et des piliers, un toit crénelé. L’architecte Yosef Berski en collaboration avec Boris Shatz, le fondateur de l’école d’art Bezalel à Jérusalem se seraient inspirés du Temple de Jérusalem.
Le lycée déménage en 1958 à son emplacement actuel, au Nord de la Ville. L’ancien bâtiment a été détruit et à sa place, s’élève la Tour Shalom. Décision très controversée qui contribua à la création de la Société pour la préservation du patrimoine d’Israël dans les années 80 dont le logo s’inspire d’ailleurs de la façade de l’école. Le portail de l’école, rue Jabotinsky, est aussi un rappel de la fameuse façade. Il est en ferronnerie, très stylisé, et une plaque résume l’histoire de l’institution.
Je tourne dans la rue Remez et prend la première rue à gauche, la rue David Yellin. Linguiste, éducateur, spécialiste de la poésie séfarade. Né à Jérusalem en 1864 d’un père arrivé en 1834 et proche d’Eliézer Ben Yehouda qui va faire de l’hébreu une langue parlée. La renaissance nationale des Juifs doit passer par l’utilisation de l’hébreu dans la vie culturelle mais aussi dans la vie de tous les jours : en hébreu et seulement en hébreu. David Yellin s’intéressa beaucoup aux hapax, ces mots qui n’apparaissent qu’une fois dans la Bible et dont le sens est donc difficile à définir. Il est aussi à l’origine de plusieurs nouveaux mots, notamment les mots צלם et צילום photographe et photographie qu’il construit sur la racine du mot ombre. Un vrai poète. La rue est très calme. Sarah remarque une piscine suspendue à un balcon. Levez-les yeux dans les rues de Tel Aviv, des trésors sont accrochés aux balcons, vélos, tricycles, surfs. Trois bâtiments présentent des façades identiques avec des carrés de tôle, enfin je suppose que c’est de la tôle, comme cousus entre eux pour faire de l’ombre. C’est la première fois que j’en vois de ce type. Dans les bâtiments des années soixante à Tel Aviv, on utilise plutôt des assemblages de briques aérées.
Je marche jusqu’à la rue Docteur Ben-Zion Mosenzohn. Il fait partie des soixante-six familles qui ont fondé Ahouzat Baït, le quartier à l’origine de Tel Aviv. Né en Russie, il étudie en Suisse et fait son alyah en 1907. Il fut le directeur de la Gymnasia Herzliya de 1912 à 1941 avec sa femme Yaffa. Professeur de Tanach, de Bible, il pose les fondements de l’étude de cette matière à l’école, en mettant l’accent sur l’approche archéologique et critique, destinée à renforcer le lien avec le pays. En 1938, son fils David qui était le vétérinaire de la région d’Emek Izrael, Haïm Shturman et Aharon Atkin, font des repérages pour l’installation d’un nouveau kibboutz. Ils sont tués quand leur jeep passe sur une mine. Le Sahné, cet endroit magnifique dans le Nord d’Israël porte leur nom, Gan HaShlosha. Je remarque que bon nombre de palmiers sont malades, ils sont comme décapités et leur collerette est fanée. Mais, malgré cela, le quartier est très vert, central et pourtant si calme.
Je débouche sur la rue du Professeur Shor, rabbin polonais historien et linguiste, spécialiste de l’histoire des Juifs de Pologne ; après l’invasion nazi, il s’enfuit en URSS où il est arrêté et meurt en Ouzbekistan.
C’est un quartier silencieux, j’entends le chant omniprésent des oiseaux, le pépiement des enfants et le bruit de mes pas.
Je tourne dans la rue Yaakov Mozer, l’un des premiers sionistes d’Angleterre, originaire de Silésie, il émigre en Angleterre et s’installe à Bradford dans le Yorkshire où il est élu maire. Il fait don d’une somme conséquente pour la construction de la Gymnasia en 1910. Au 5 de la rue Mozer, après une petite place, on peut traverser un jardin secret entre plusieurs bâtiments. Des piscines en plastique où des bébés jouent, des arbres dans plusieurs nuances de vert, un ficus séculaire, des cyprès, des pistachiers. Tout est harmonieux.
Je me retrouve sur la rue Itshak Epstein, éducateur et linguiste, qui fait son alyah en 1885 de Russie. Il enseignait l’hébreu en hébreu, ce qui deviendra par la suite, la norme dans tous les oulpan et se battit pour que la prononciation séfarade soit retenue et non l’ashkénaze.
Je sors du bloc, reprend la rue Remez vers le Nord et tourne dans la rue Pinkas.
Décidément, cette promenade a été très didactique, trop peut-être, – la proximité du lycée !
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