Le journaliste Zsolt Bayer a reçu le 20 août dernier la Grande Croix de Chevalier de l’Ordre du mérite des mains du vice-Premier ministre hongrois, János Lázár. Du fait de son antisémitisme notoire, de phrases qu’il a écrites appelant au meurtre de Roms, cette décision du gouvernement suscite un émoi profond dans le pays. Plusieurs personnalités ont symboliquement rendu leur décoration pour manifester leur indignation.
Samedi dernier, les Hongrois ont célébré comme chaque année le jour de saint Étienne, première des fêtes nationales du pays. A cette occasion, le président de la République, János Áder, a accordé, comme le veut l’usage, plusieurs dizaines de distinctions à des personnalités diverses, œuvrant pour le rayonnement intellectuel et culturel du pays. Parmi ces dernières, Zsolt Bayer, journaliste sur la chaîne ultraconservatrice Echo TV, a été fait au nom du gouvernement Chevalier de l’Ordre du mérite, soit une des plus hautes distinctions de l’État. Cette récompense a suscité un véritable tollé dans le pays. Fait rare, plusieurs personnalités ont décidé de répudier leur décoration «afin de ne pas être assimilés à Bayer».
«Une partie de la population rom n’est pas apte et ne devrait pas (…) vivre parmi les humains».
Et pour cause. Zsolt Bayer, homme de médias âgé de 53 ans, a ponctué sa carrière de violentes saillies racistes, antisémites et tsiganophobes. La première en date remonte à 2006, dans la traînée du fait divers d’Olaszliszka, au cours duquel un automobiliste avait été battu à mort par des Roms du village pour avoir renversé une petite fille tsigane qui traversait la route. Dans un article paru le 17 octobre dans la version électronique du conservateur Magyar Nemzet, Zsolt Bayer a estimé que dans telle situation, le chauffeur aurait été mieux inspiré de se procurer une arme à feu et de l’utiliser dès que les «animaux»(sic) avaient commencé à «s’attrouper» autour de lui.
Dans une lettre ouverte publiée en 2008 dans Magyar Hírlap, le journaliste d’extrême-droite s’en est pris vertement à un responsable politique libéral de confession juive, János Kóka. Le comparant aux clients des fameux cabarets du Berlin de l’Entre-deux-guerres qui s’évertuaient à «arroser et uriner sur tout ce qui était important et sacré pour les Allemands», il avait conclu son parallèle douteux en ces termes : «Et puis un soir se sont présentés des jeunes hommes allemands très blonds, avec des yeux très bleus, ainsi qu’un brassard avec une croix gammée, puis se sont mis à frapper sur le comptoir le visage du propriétaire, jusqu’à le rendre méconnaissable…».
En 2011, Zsolt Bayer s’est attaqué aux «Cohn, Cohn-Bendit et Schiff», à ses yeux trop critiques envers le gouvernement hongrois, déplorant au passage que «l’on n’ait pas réussi à les enterrer tous jusqu’au cou dans la forêt d’Orgovány». Ce bois situé à côté de Kecskemét avait été le lieu de l’exécution de plusieurs personnalités de gauche lors de la Terreur blanche diligentée par Miklós Horthy en 1919. Le 5 janvier 2013, il a violemment réagi à un fait divers impliquant des Roms à Szigethalom au sud de Budapest, estimant qu’«une partie de [cette] population n’était pas apte et ne devrait pas (…) vivre parmi les humains. Cette moitié de la communauté tsigane (…) ruine les chances de l’autre moitié». Cet article a été jugé l’année dernière comme incitant à la haine par le Conseil national des médias.
Plus récemment, le journaliste d’extrême-droite s’est distingué par des diatribes hostiles aux réfugiés syriens et afghans, déclarant toujours dans Magyar Hírlap : «Il s’est passé un an et plusieurs milliers de migrants attaquent l’Allemagne en justice parce qu’ils instruisent trop lentement leurs dossiers de demande d’asile. Il s’est passé un an, et même les malades mentaux se rendent compte qu’il n’y a pas de limite à l’indécence. Et je ne parle même pas des meurtres, des divers faits de criminalité. Et il ne s’est passé qu’un an…» (2016).
Le fait que Zsolt Bayer puisse recevoir une des plus hautes distinctions du pays des mains de János Lázár, numéro deux du gouvernement, s’explique par la grande proximité entre le journaliste et le Premier ministre Viktor Orbán. Zsolt Bayer est en effet l’un des fondateurs du Fidesz et l’organisateur des «marches pour la paix» (békemenet) qui rassemblent depuis 2012 les partisans du parti au pouvoir. Homme de médias, il ratisse depuis plusieurs années pour le compte du gouvernement la frange la plus droitière de son électorat. Quitte à marcher sans vergogne sur les plates-bandes du Jobbik.
« Honteux »
La nouvelle de la distinction de Zsolt Bayer a suscité de vives réactions dans le pays. A gauche, le Parti socialiste hongrois (MSzP) s’est fendu d’un très lapidaire «SZÉGYEN» («HONTEUX»), tandis que le petit parti Együtt a demandé solennellement au Président de la République de revenir sur sa décision. Les journaux classés dans l’opposition, à l’instar de Népszava, Népszabadság ou encore HVG, n’ont pas manqué de ressortir de leurs archives les nombreuses déclarations suite auxquelles Bayer ne devrait pas, selon eux, être éligible à telle distinction. Le clergé juif a également tenu à exprimer sa consternation, déclarant par la voix de Slomó Köves, président de l’EMIH – pourtant réputé proche du pouvoir : «Je n’arrive pas à concevoir que quelqu’un qui, de semaine en semaine se fait remarquer pour sa haine, au nom de quoi et sur quels faits mérite-t-il une distinction de l’État. Pour la communauté juive, il est formellement désobligeant que Bayer, coupable plus d’une fois de phrases à caractère antisémite, puisse bénéficier de quelconque reconnaissance de la part de l’État».
Enfin, chose suffisamment rare pour être soulignée : depuis samedi, plusieurs éminentes personnalités remettent au compte-gouttes leur propre Croix du mérite, estimant ne pas vouloir appartenir à un Ordre qui compte parmi ses membres Zsolt Bayer. Outre l’ancien ombudsman Jenő Kaltenbach ou encore András Heisler, vice-président hongrois du Congrès juif mondial, plus d’une trentaines de personnalités à ce jour ont ainsi tenu à exprimer de cette façon leurs sidération et consternation.
Les partisans de Zsolt Bayer ont choisi de se faire entendre sur Internet. Parmi les plus connus, Mária Schmidt, historienne officielle du Fidesz et directrice de la Maison de la Terreur de Budapest a ainsi écrit sur sa page Facebook : «le Chevalier croisé qui a reçu une Croix de chevalier, refuse que nous perdions nos valeurs, nos traditions, nos sentiments et notre bon sens ! C’est pour tout ça que je félicite Zsolt Bayer pour sa Croix de chevalier !». Si à l’heure où nous écrivons ces lignes, le président de la République a déclaré ne pas souhaiter revenir sur sa décision, ce qui semble prendre heure après heure l’aspect d’un véritable scandale politique le poussera peut-être à rapidement changer de position.
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