Elle raconte son arrivée en Israël comme d’autres, une passion amoureuse :« J’ai eu un coup de foudre. Je me suis dit “c’est chez moi, ici”. » Attablée à une terrasse parisienne, Joëlle Roubine, 52 ans, tire sur sa cigarette avant de poursuivre son récit.
Fille de juifs tunisiens, cette employée d’un musée parisien a fait son alya (émigration vers Israël) en 2006. Un « voyage identitaire », dit-elle aujourd’hui. Le départ devait être définitif. Joëlle est pourtant revenue six ans plus tard, plombée par des difficultés économiques et assaillie par la nostalgie. « Je n’avais plus un sou, Paris me manquait, et le poids religieux de Jérusalem commençait à me peser. »
Comme elle, de nombreux Français de confession juive reviennent chaque année dans l’Hexagone après avoir fait leur alya, la « montée » des juifs en Terre sainte, constitutive du sionisme et visant à renforcer l’Etat juif. Mais rares sont ceux à accepter d’en parler, tant le sujet dérange. « La question du retour [ou « yerida », « descente » en hébreu] soulève un double tabou : pour la communauté juive, qui voit cela comme un échec, et pour Israël lui-même, puisque c’est la preuve qu’il ne parvient pas à bien intégrer ses nouveaux arrivants », explique l’historienne Frédérique Schillo, spécialiste d’Israël et des relations internationales.
Pas de statistique officielle
Selon elle, l’Etat hébreu a été « pris de court par l’ampleur de la vague migratoire française », sans précédent depuis 2013, l’année qui a suivi le massacre perpétré par Mohammed Merah dans une école juive à Toulouse.
Les juifs de France, première communauté juive d’Europe et troisième au monde, sont aujourd’hui les plus nombreux à s’installer en Israël. Une immigration favorisée par la hausse des actes antisémites dans l’Hexagone, et encouragée par le premier ministre israélien lui-même, au grand dam des autorités françaises.
Lors de sa visite à Paris, fin juin, Natan Sharansky, le président de l’Agence juive pour Israël – l’organisme semi-gouvernemental israélien chargé de l’immigration des juifs dans le pays, et l’interlocuteur incontournable des candidats à l’alya – a, à son tour, battu le rappel, allant jusqu’à déclarer qu’il n’y avait « pas d’avenir pour les juifs en France ».
En 2015, pas moins de 7 829 Français ont immigré dans l’Etat hébreu, contre 1 919 trois ans plus tôt. Un record. Le chiffre devrait toutefois baisser à 6 000 en 2016, selon une source proche de l’Agence.
Combien reviennent chaque année ? Les estimations qui circulent vont de 15 % à 30 %, mais aucune statistique officielle n’existe. « C’est politique, analyse Frédérique Schillo. Israël est un refuge pour les juifs du monde entier. Si on apprend que la formidable émigration française de ces dernières années se traduit par un échec, que dira-t-on ? L’Agence juive pour Israël n’a aucun intérêt à en parler. »
Cette dernière s’en défend. Ygal Palmor, porte-parole de l’Agence à Jérusalem, soutient qu’« il n’y a pas de statistique fiable parce que ceux qui repartent ne se manifestent pas, ils rentrent de façon individuelle ». Il précise, en revanche, avoir identifié trois profils parmi eux : « Ceux qui n’ont pas réussi à trouver du travail », à cause notamment de la barrière de la langue ou le manque de reconnaissance des diplômes ; « ceux qui n’ont pas eu le feeling » ; et « ceux qui considèrent que les aides sociales – très loin de ce qu’elles sont dans l’Hexagone – ne sont pas suffisantes. Il y a un véritable problème français là-dessus ».
Comment les juifs de France vivent-ils leur retour dans ce pays qu’ils pensaient avoir quitté pour toujours ? Qu’a changé cette expérience sur le regard qu’ils portent sur la France ? Que signifie pour eux être Français et juif, à l’aune de cette expérience ?
« Une défaite »
Plus l’adhésion au projet sioniste est forte, plus le sentiment d’échec domine. Pour Jacqueline, le retour n’est rien de moins qu’une « défaite ». En mai 2015, cette retraitée en invalidité a tout vendu pour aller rejoindre « la terre de [ses] ancêtres et vivre au soleil. Je me suis fait traiter de sale juive six mois avant mon départ, ça a joué, aussi. Je me suis dit que je n’étais plus chez moi en France ». Elle a pourtant fait demi-tour sept mois plus tard. « Impossible de trouver un logement, c’était inabordable, et je ne supportais pas la chaleur. »
« J’ai peut-être mal préparé mon alya, regrette-t-elle… Je suis sioniste et j’aime Israël, mais pas pour y vivre. C’est trop dur à 60 ans de tout quitter et de repartir à zéro. Car tout est différent, tant sur le plan social que médical. » La France ? « Je me suis rendu compte que c’était un pays d’assistés. Ici, je ne paye pas mes médicaments. »
A son arrivée dans l’Etat hébreu, elle s’était autorisée à ressortir son étoile de David, qui dormait dans un placard depuis dix ans. Depuis son retour à Paris, elle l’a de nouveau rangée.
Ce phénomène de “yeridah” n’est pas nouveau. Quand Ben Gourion est arrivé en Israel, près de 90% de ceux qui avaient immigré avec lui, ont quitté Israel après quelques mois. Beaucoup ont alors immigré aux Etats-Unis, Canada et autres pays et un petit nombre sont retourné dans leur pays d’origine. Nous savons ce qui est arrivé a ceux-ci pendant la Seconde Guerre Mondiale. En effet, entre sentimentalité, idéalisme et engagement, il y a bien des nuances et certains n’ont pas la volonté ou la capacité de s’adapter a un mode de vie different et une langue nouvelle ou sont tout simplement attachés a certains aspect de la vie en Diaspora. L’Agence Juive fait ce qu’elle peut pour le nouveaux immigrants mais ne saurait satisfaire tout le monde.
Bonjour Leo Michel Abrami, vous dites que l’Agence Juive fait ce qu’elle peut…, mais que fait-elle?
Comparer aujourd’hui à l’époque de Monsieur Ben Gurion, c’est un peu osé…
La barrière de la langue est le principal obstacle, mais il en y a beaucoup d’autres tout aussi décourageants…