L’enfant juif de Varsovie, “symbole universel” de la Shoah

C’est une photo terrible. Menacée par les mitraillettes de soldats nazis, une foule de femmes et d’enfants sort d’un bâtiment, mains en l’air. Alors que la plupart des acteurs du cliché, pressés les uns contre les autres, se partagent la partie gauche de l’image, quatre soldats occupent la droite de la photo.ghetto_varsovie_caenf

Mais c’est un petit garçon, au centre de la photo, au premier rang, qui attire le regard. En culotte courte, une casquette trop grande pour lui vissée sur le crâne et un manteau qui lui arrive jusqu’aux cuisses, il ne doit pas avoir plus de huit ans.

De par sa position, au cœur de la photographie, le garçonnet crève littéralement le cadre composé par l’opérateur”, souligne Frédéric Rousseau, dans “L’Enfant juif de Varsovie. Histoire d’une photographie”.

La peur se lit sur son visage. A côté de lui, une femme se retourne en direction de trois soldats nazis, postés à la sortie de l’immeuble. Peut-être a-t-elle reconnu celui dont on distingue parfaitement le visage, et qui, torse bombé de fierté, pointe son arme dans la direction de l’enfant. Il s’appelle Josef Blösche, c’est un Waffen-SS “sinistrement connu dans le ghetto pour sa cruauté”, soulignent Pierre Bellemare et Jérôme Equer dans “Histoire secrète des 44 photos qui ont bouleversé le monde”.

Présente dans de nombreux livres d’histoire du secondaire, cette photo, puissante, illustre l’horreur de la Shoah. Car tout est là : les arrestations arbitraires, les civils pris pour cibles, l’absence de clémence pour les femmes et les enfants (en regardant un peu plus attentivement, on note tout de même quelques hommes, fondus dans le groupe). Tout, sauf la mort, les camps de concentration, les chambres à gaz… Mais les photos de corps squelettiques à Auschwitz sont évidemment plus difficiles à montrer à un jeune public.

Si la photo est devenue iconique, c’est probablement aussi en raison de son cadrage, resserré, qui ne permet pas d’identifier clairement le lieu de la prise de vue. Indatable, non localisable : la photo devient un symbole universel de la barbarie nazie. Voire de la barbarie en général.

Une photo issue d’un rapport des SS

Initialement, l’auteur de la photo n’avait pas du tout pour objectif de montrer l’horreur du nazisme. C’est même exactement le contraire ! La photo, prise à Varsovie, fait partie d’un rapport, commandé par Friedrich-Wilhelm Krüger, général des Waffen-SS dans l’Est, en poste à Cracovie. Rapport adressé au général Jürgen Stroop, responsable de la liquidation du ghetto de Varsovie, au printemps 1943.

Ce sera un matériau précieux pour l’histoire, pour le Führer, pour Heinrich Himmler et pour les chercheurs qui se pencheront sur l’histoire du IIIe Reich, pour les poètes et les écrivains nationalistes, pour la formation des SS, et qui témoignera de nos efforts et des lourds et sanglants sacrifices consentis par la race nordique et la Germanie pour la déjudaïsation de l’Europe et du globe terrestre tout entier”, explique à l’époque Friedrich-Wilhelm Krüger.

Intitulé “Es gibt keinen jüdischen Wohnbezirk in Warschau mehr !” (“Il n’y a plus de quartier juif à Varsovie”), le rapport – 75 pages dactylographiées accompagné de 53 photographies – est produit en trois exemplaires : un pour Friedrich-Wilhelm Krüger, un pour Heinrich Himmler, le chef des SS, et le troisième pour les archives personnelles de Jürgen Stroop, qui pensait s’en servir pour ses propres travaux d’histoire, expliquera-t-il plus tard à ses deux co-détenus.

On y retrouve toutes les étapes de l’opération allemande : arrestations de groupes de juifs, exfiltrés de force de leurs “bunkers” après y avoir été enfumés, leur acheminement vers l’Umschlagplatz, d’où les personnes arrêtées était déportées à Treblinka, la mort des “parachutistes”, ces juifs qui “se précipitaient sur le sol, sur l’asphalte et les pavés, du haut des fenêtres, des balcons et des greniers des maisons dont le rez-de-chaussée était en flammes”, et que les soldats tuaient “en plein vol” et enfin la “destruction” du ghetto.

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