La vie est tout de même bien étrange. Je viens en effet de réaliser, seulement à mon âge, combien mes trois vies , en Tunisie, en France, et en Israël sont complémentaires plutôt qu’opposées les unes aux autres.
J’ai commencé mon long parcours à un rythme de vacances éternelles. En effet, le quotidien de mes origines historique est sans doute celui du farniente absolu. Quasiment aucune contrainte -lié aussi à une situation économique plutôt aisée- et même les obligations du genre scolaires prenaient la tournure de jeux. Qu’on soit bon élève ou nul, tout le monde kiffait sa vie. Et les gens autour de nous, que ce soit nos épiciers, boulangers, ou papetiers, les marchands du marché central, et ceux du Monoprix de l’avenue Lafayette,
tous étaient lents, indolents, difficiles à faire bouger…
Cette lenteur de la réalisation des choses est propre aux cultures méditerranéennes , particulièrement du Maghreb. Les gens n’ont pas d’ambition financières, car depuis des siècles ils savent que la vie est dure, mais qu’il y a de bons côtés. Ils ont intégré ces données et n’en demandent pas plus sauf: les vrais ambitieux portés par la culture française,
et tout le monde quand la société atteint des degrés d’injustice insupportable.
A cette époque de ma prime jeunesse, je n’avais pas réalisé que nos plaisirs
résidaient dans le temps qu’on prenait à faire quelque chose. Rien ne nous obligeait,
personne ne nous attendait , seulement les kifs qui, pour le coup , appelaient de
l’énergie créatrice.
Lorsque nous avons posé nos semelles sur le sol français, nous avons immédiatement
senti une dimension nouvelle: la taille du pays, la population, une langue sans doute plus
exigeante, et une société plus animée, plus combative. « L’homme est un loup pour l’homme » devenait une réalité au jour le jour. Plus de paternalisme dans l’entreprise familiale, les blagues devenaient plus pointues et moins grasses. La compétition devenait rude mais sacrément plus excitante. Moins de soleil certes, mais des objectifs d’excellence
dans tous les domaines. Notre horizon avait fermé guichet quant à traîner la savate
en Fly Floot, et s’entr’ouvrait vers des cimes professionnelles , médicales, universitaires.
Les juifs transplantés pour la plupart à Paris avaient réussi une adaptation incroyable
en dépit de ces changements de pulsations du cœur. Ils avaient été largement suivis
par une frange de la grande bourgeoisie arabe tunisienne, qui revendiquait aussi ce
droit à un rythme plus soutenu, plutôt que de jouer en deuxième division universitaire.
La France nous apporta en somme des choses totalement impensables à Tunis, Sousse
ou Sfax: une vraie dimension internationale des chose, une culture de l’exactitude,
du respect des règles et des normes , de l’organisation des projets. Toutes ces choses
que les gens du sud ne comprennent pas. Je ne parle même pas des cultures du Maghreb
dont nous étions totalement imprégnés .
La France fut aussi le premier contact avec deux choses essentielles: la laïcité , et le respect
absolu de ses opinions sous réserve qu’elles n’empiètent pas sur autrui. Un rêve éveillé,
révolution intégrale par rapport à des sociétés archaïques sur le plan des Valeurs, malgré
certains efforts. Ce type de modèle , une fois essayé, il n’est plus possible d’en changer;
sauf pour les fous de Dieu, surtout d’Islam, qui, plutôt que d’apprendre de là , voient le système comme celui à abattre puisque l’Islam est forcément plus fort, plus beau, plus intelligent. Sorte de repli identitaire -sacrément violent- généré par la bêtise, la nullité , de ces acteurs. On voit assez peu de polytechniciens musulmans mettant une bombe au milieu des foules. Pourtant, il y a beaucoup d’X tunisiens ou marocains.
Mon dernier « posage de pied » fut en Israël. Jérusalem . Je devrais dire d’ailleurs que je vis
dans deux sociétés plutôt qu’un: la société israélienne et celle de Jérusalem. Une société d’une agitation hors norme. Les gens démarrent leur journée de boulot à 6h30 ou 7h . Une partie importante a deux boulots; et parfois créent leur start up au cas où il y aurait
une crainte d’oisiveté. Des dingues , assez ressemblants à ceux du village d’Asterix .
Ils klaxonnent toutes les 10 secondes, crient beaucoup mais si c’est votre tour vous disent
« savlanout », patience. Vous parlez avec votre taxi, parfois c’est un inculte de base, mais
ne vous étonnez pas si vous tombez sur un mec qui a lu Kant, Nietzsche ou Husserl.
Il n’y a pas seulement les trois religions du livre, complétées ici par des boudhistes, des druzes, et autres apéritifs cultuels ; il y a toutes les couleurs et les origines possibles . Des gens venus de tous les pays de la diaspora juive, auxquels se rajoutent des tas de Thailandais, de Philippins et de philippines, des soudanais, et autres exotiques .
Aucun pays ne peut montrer une telle énergie et une telle intégration de cultures si différentes. Et d’ailleurs, si des millions de gens de mauvaise foi veulent absolument nous mettre zéro à toutes nos copies, sociales, économiques , politiques, ou raciales, personne n’est réellement dupe. Il suffit de passer 10 minutes dans un campus universitaire, où les arabes musulmans et chrétiens sont très largement représentés, dans les centres commerciaux, ou les hôpitaux; et même une proportion pas ridicule dans l’armée d’Israel; vous le croyez ?
Ainsi, ce pays de bargeots mérite qu’on s’y attarde sérieusement, car sur le plan humain
c’est de très loin la plus belle expérience que j’ai eu à vivre. Ne me dites pas « il y a du racisme »… D’ailleurs , il me semblait qu’il y en avait en France , à l’égard de tous les non blancs, en Tunisie, et dans tous les pays du monde. La différence est que,nous avec autant de différences de couleur, de cultures,de religion, on devrait s’entretuer si on faisait ne serait-ce que copier la France. Mais le pays a des Valeurs inouïes sur ce plan .
Pour ne pas en rajouter, et énerver quelques francs ennemis d’Israël, je me dis quand même que ces trois cultures sont merveilleusement complémentaires : le temps de vivre des tunisiens, l’organisation et la précision des français, l’agitation créatrice des israéliens. Voilà des décennies que tous les tunisiens que je connais rêvent de ce mariage à trois. J’avoue que la plupart rêvent plus nettement d’une noce consommée à deux: Tunisie et Israël. A trois, sans arrières-pensées , ce serait un délire de bonheur… Juste parce que j’ai oublié de prendre le temps. Et les tunisiens ont oublié d’être agités. Parfois, ça fait du bien de rêver, malgré tous ces obstacles qui, chez certains sonnent comme des balles qu’ils se tirent dans les pieds.
Espérons qu’un jour viendra où ce sera possible, avant que Googlen’ait fini son programme génétique pour immortaliser les hommes…
José Boublil
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