L’islam de France est aussi peu organisé que ne l’étaient le protestantisme ou le judaïsme au début du 19ème siècle. C’est Napoléon Bonaparte qui, en 1808, a structuré les institutions des cultes minoritaires telles que nous les connaissons. Pour devenir des citoyens à part entière (et sortir des persécutions de l’Eglise), les juifs ont accepté les règles posées par l’Empire puis la République.
En 1807, Napoléon convia une assemblée de 111 notables juifs nommés par les préfets, puis réunira durant un mois un grand Sanhédrin (réunion des grands rabbins) de manière à recevoir des réponses claires et sans ambiguïté à une série de questions :
–«Est-il licite aux juifs d’épouser plusieurs femmes?»
–«Le divorce est-il permis par la religion juive?»
–«Une juive peut-elle se marier avec un chrétien et une chrétienne avec un juif?»
–«Les juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie? Ont-ils l’obligation de la défendre ? Sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre les dispositions du Code Civil?»
–«Qui nomme les rabbins?» etc
Respecter les règles du Code civil
La réponse des représentants laïcs et religieux du judaïsme sera unanime.
Aux deux premières questions, la réponse donnée sera la suivante : «Il est défendu aux Israélites de tous les Etats où la polygamie est prohibée par les lois civiles, d’épouser une seconde femme du vivant de la première, à moins qu’un divorce avec celle-ci, prononcé conformément, aux dispositions du Code Civil et suivi du divorce religieux, ne les ait affranchis des liens du mariage.»
La question la plus épineuse avait trait aux mariages mixtes. Elle donna lieu à de vives discussions entre les rabbins et laïcs.
Le grand Sanhédrin déclare finalement que «les mariages entre israélites et chrétiens, contractés conformément aux lois du Code civil, sont valables ; bien qu’ils ne soient pas susceptibles d’être revêtus de formes religieuses, ils n’entraîneront aucun anathème».
A la question de l’attachement des juifs à la France, la réponse sera également unanime : «La France est notre patrie, les Français sont nos frères». «Les juifs sont prêts à défendre la France jusqu’à la mort». Ce qu’ils feront lors des deux grands conflits mondiaux au XXe siècle.
Le prix de la reconnaissance
Si certains traditionalistes ne virent pas ces règles d’un bon œil, d’autres accueillirent la nouvelle avec une joie sans pareille.
La session du grand Sanhedrin qui prit place en février et mars 1807, commença par ces mots :
«Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui a placé sur le trône de France et le Royaume d’Italie un prince d’un si noble cœur (Napoléon)… Ces ordonnances montreront aux nations que nos dogmes sont compatible avec les lois civiles sous lesquelles nous vivons, et ne nous séparent point du tout de la société des hommes… »
La délimitation exacte des pouvoirs juridiques des rabbins intéressait au plus haut point l’empereur. Napoléon proposa un «règlement organique du culte mosaïque» sur le modèle du protestantisme, paru le 17 mars 1808, dont voici les principales dispositions :
– «Il sera établi une synagogue et un consistoire israélite dans chaque département renfermant 2.000 individus professant la religion de Moïse…
Chaque synagogue particulière sera administrée par deux notables et un rabbin, lesquels seront désignés par l’autorité compétente.
Les fonctions du consistoire sont de veiller à ce que les rabbins ne puissent donner, soit en public, soit en particulier, aucune instruction ou explication de la loi qui ne soit conforme aux décisions doctrinales définies par le grand Sanhédrin.»
– «Chaque consistoire proposera à l’autorité compétente un projet de répartition entre les israélites de la circonscription, pour l’acquitement du salaire des rabbins.»
Un rabbin doit parler français…et le grec
–«Aucun rabbin ne pourra être élu : s’il n’est natif ou naturalisé français (ou Italien du royaume d’Italie); s’il ne sait la langue française en France. Celui qui joindra, à la connaissance de la langue hébraïque, quelques connaissances des langues grecque et latine sera préféré, toutes choses égales par ailleurs.»
–«Les fonctions des rabbins seront : d’enseigner la religion et la doctrine renfermée dans les décisions du grand Sanhédrin; de rappeler en toute circonstance l’obéissance aux lois, notamment et en particulier à celles relatives à la défense de la patrie… de célébrer les mariages et de déclarer les divorces, à condition, bien entendu, que les intéressés aient justifié, au préalable, de l’acte civil de mariage ou de divorce.»
L’émancipation des juifs en Europe
Ce règlement fut complété par le décret du 11 décembre1808 sur l’organisation des consistoires. Il porte bien la griffe napoléonienne : l’autorité rabbinique y est largement placée sous la tutelle des représentants laïcs des communautés. La création d’un consistoire israélite en 1808, est aujourd’hui encore, un des deux piliers (avec le Crif Conseil représentatif des insitutions juives de France crée en 1944), de l’organisation du judaïsme en France.
Cette reconnaissance officielle et mutuelle contribuera à une paix religieuse qui persistera jusqu’au régime de Vichy. L’émancipation des juifs de France sera regardée par une partie de l’Europe comme une grande avancée. Napoléon, qui libérera lors de sa campagne d’Italie les ghettos de Venise, d’Ancône, et Rome… sera perçu par les juifs comme un grand libérateur, sauf par la frange ultraorthodoxe qui y verra le danger d’une «perte identitaire». «Heureux comme dieu en France», deviendra une expression emblématique des communautés juives d’Europe.
Si depuis Napoléon, les juifs, en conformité avec la république française, ont abandonné la polygamie,et ne peuvent se marier ou divorcer que si c’est déjà établi civilement, la communauté musulmane n’étant pas asservie à ces règles,peut afficher une polygamie qu’ils peuvent faire valoir aux allocations familiales, avantage qui leur est réservé tant qu’un cadre n’est pas dressé avec l’islam. Leur division fait leur force et c’est, de fait, un pied de nez à la laïcité.