Tribune Juive

Sarah Cattan : les juifs, ça ne compte décidément pas

Les juifs, ça ne compte décidément pas. Maintenant, et peut-être à juste titre, il y a, partout, l’Après Saint-Etienne du Rouvray. Soit. Puisqu’un pas a encore été franchi. Mais tout de même. Quel pataquès. Puisque les musulmans ont été invités à aller à la messe ce matin, eh bien, depuis ce matin, BFM TV fait défiler des voilées pour nous montrer qu’ils se sont bien déplacés. En masse nous dit-on. Digression 1 : les voilées sont-elles à présent représentatives des musulmanes ? Digression 2 : étonnante fraternité d’un matin puisque la théologie islamique est parfaitement claire, d’après ce qu’explique ce matin une prof de philo[1] qui semble s’y connaître en coran mieux que Onfray: le péché le plus grave (chirk el kabir) et celui que Dieu ne pardonne jamais, nous dit-elle, c’est l’association. Les chrétiens en donnant un fils à Dieu sont désignés comme d’abominables associateurs voués au courroux éternel du Créateur. Digression 3 : on notera que les musulmans n’ont pas fait acte de communion avec les juifs alors qu’ils ont été expressément visés dans les attentats de l’école Ozar Hatorah et de l’hyper-casher : sans doute estiment-ils, baignés qu’ils sont dans l’antisémitisme culturel, que les juifs ne sont pas comme les autres.

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Mais ce n’est pas tout. Dimanche, on lit tous le JDD. En double page ce matin, notre Premier Ministre s’exprime dans une Tribune intitulée : Reconstruire l’Islam de France. Déjà, cela m’agace. Croit-il donc encore qu’il ne s’agit donc que de l’Islam de France.

Mieux : toujours en double page, une Tribune intitulée Nous, Français et musulmans, sommes prêts à assumer nos responsabilités, signée, elle, de plus d’une quarantaine d’intellectuels, qui vont d’Abdennour Bidar, philosophe et Inspecteur Général à l’Education Nationale, à des médecins, comédiens, bref vous voyez.

Ça commence très mal leur Tribune. Je cite : Après l’assassinat de caricaturistes, après l’assassinat de jeunes écoutant de la musique, après l’assassinat d’un couple de policiers, après l’assassinat d’enfants, de femmes et d’hommes assistant à la célébration de la fête nationale, aujourd’hui l’assassinat d’un prêtre célébrant la messe.

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Vous aurez bien lu : la tribune ne mentionne pas les victimes juives du terrorisme, pourtant expressément visées lors des attentats de l’école Ozar Hatorah où des enfants ont été tués parce que juifs et celles de l’hyper-casher. Comment taire cet oubli qui s’apparente à du négationnisme ? Que vont répondre les signataires interpelés et le JDD et que fera-t-on de cette réponse ? Quelle qu’elle soit, elle sera irrecevable.

En attendant la réponse, je me penche de plus près sur la liste des signataires. Le docteur Azzouzi Abdel-Rahmène s’était déjà fait remarquer dans le Monde en février 2016, dans une Tribune titrée Devrais-je faire semblant ? Cet urologue, chef de service au CHU d’Angers et membre du Conseil municipal de la ville d’Angers, y expliquait pourquoi il avait décidé de mettre fin au mandat qu’il occupait depuis 2008 : élu de confession musulmane, il ne se reconnaissait plus dans la lecture des valeurs républicaines que faisaient nos dirigeants successifs. Devrais-je faire semblant d’accepter votre adhésion religieuse à une laïcité qui est devenue en réalité l’arme ultime et exclusive contre les musulmans de France ? Devrais-je faire semblant d’ignorer la politique islamophobe de l’État français qui, premier pourfendeur de la laïcité, s’immisce en permanence dans la gestion du culte musulman pour mieux l’empêcher de s’organiser ? Devrais-je faire semblant d’ignorer cette lecture de la laïcité à géométrie variable par le gouvernement français qui […]termine ce merveilleux élan républicain du 11 janvier dans la synagogue de la Victoire, en présence des Premier ministre et ministre des Affaires Étrangères du gouvernement israélien sous les cris de « Bibi » et de nombreux drapeaux israéliens agités dans un lieu de culte par des citoyens français de confession juive ? Et, après s’être emporté contre l’invasion médiatique des Zemmour, Finkielkraut, Fourest, il en vient à un dernier grief à la France : Devrais-je faire semblant d’accepter l’ostracisation permanente de Tariq Ramadan, intellectuel contemporain hors norme ? Et de conclure : Insidieusement, la France est probablement devenue la nation démocratique la plus islamophobe du monde et vous, élus du peuple de France, vous en portez, que vous le vouliez ou non, que vous en soyez conscients ou inconscients, une part de responsabilité, et d’annoncer qu’à présent il s’en lave les mains et s’en retourne à son épouse, à ses enfants et à ses deux ânes.

Attendons donc la réponse d’Abdennour Bidar et laissons l’urologue à ses ânes et à sa fascination pour l’intellectuel hors normes que nous, peuple de France, n’avons pas su deviner. Et ne sombrons pas dans une déprime légitime devant ces petits arrangements qui persistent, n’est-ce pas, Monsieur Valls, et puis éteignons la télé et cessons de lire les journaux, voire d’y écrire : vous aviez raison, Christine Angot : ça sert à quoi, d’écrire des chroniques.

Sarah Cattan

[1] Myriam I.

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