Sur BFMTV, Julien Dray a théorisé un affrontement à venir entre ceux qui veulent lutter contre le terrorisme en respectant l’Etat de droit et les partisans de l’Etat d’exception. L’occasion pour François Hollande de renouer avec toutes les gauches ?

Une semaine après l’attentat de Nice, quelque chose a changé. En profondeur. Pour la première fois depuis des mois, les lignes ont bougé. Il fallait écouter ce vendredi Julien Dray, baromètre des humeurs présidentielles sur BFMTV. Pourquoi Julien Dray ? Parce qu’il est souvent le premier testeur des intuitions de l’Elysée (le célèbre « Ça va mieux » avait été lancé par lui-même lors d’un passage à Europe 1, quelques jours avant que le président n’en fasse un slogan envahissant l’espace public).
Donc, Julien Dray a mis en garde sur le danger de tomber dans l’état d’exception : « A chaque fois qu’on a basculé dans l’état d’exception, la victime devient bourreau et c’est comme ça qu’on fabrique les pires terroristes », ajoutant : «le vrai enjeu face au terrorisme, c’est qu’ils veulent que nous changions, ils veulent que nous abandonnions la République. La vérité, c’est qu’on ne gagne pas contre le terrorisme par un Etat d’exception.»
La défense de l’Etat de droit, un axe de réunion des gauches ?
L’Etat de droit, c’est la double protection, contre les ennemis de la République et contre ceux qui veulent prétexte de toute forme de menace pour rogner les libertés offertes par la République. L’Etat d’exception, c’est la fin des libertés sous prétexte de lutter pour la liberté. L’alternative est aussi simple que cela.
Depuis des mois, ce n’est un secret pour personne, François Hollande s’échine à se poser en président protecteur, repreneur du fonds de commerce politique légué par François Mitterrand et porté par la marque « France unie », le tout repeint aux couleurs du « Ca va mieux ». Force est de constater que l’espace politique qui était le sien se resserrait, mois après mois, semaine après semaine, jour après jour. Les gauches s’éloignaient les unes des autres, Manuel Valls allant même jusqu’à théoriser l’existence de deux gauches irréconciliables. Face à cet écroulement de l’idée d’union à gauche, droite et extrême droite se préparaient à l’inéluctable second tour présidentiel devant les opposer en 2017, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé considérant que le prochain président de la République serait, de fait, désigné au soir du second tour de la Primaire LR de novembre prochain.
Sauf que ce qui s’est passé dans les jours qui ont suivi l’attentat de Nice a bouleversé cet équilibre politique qui paraissait intangible d’ici à mai 2017. En se laissant prendre au piège de la radicalisation droitière que leur impose la Primaire, les grandes figures de Les Républicains, aussitôt suivies, en pire, par leurs seconds couteaux, ont réussi à secouer la gauche mieux que le « Eh ! Oh ! la gauche ! » de Stéphane Le Foll.
Il ne faut pas sous-estimer la portée politique de l’affrontement qui a eu lieu, à l’Assemblée, entre Manuel Valls et Laurent Wauquiez, le second rappelant au premier que ce qu’il demandait, un Etat d’exception hors les Droits de l’Homme inclus dans une Constitution qui les protège de toute tentation post-pétainiste, produisait nécessairement des régimes en marche vers une certaine forme de totalitarisme. D’un coup, Manuel Valls a paru renouer avec les véritables forces de l’esprit de Clemenceau, abandonnant la défroque de Guy Mollet qu’il est souvent suspect de porter aux yeux des militants et sympathisants des gauches de la gauche. D’un coup, le clivage entre Républicains et identitaires, démocrates et autoritaires, gauche et droite est réapparu. Clivage multiple, protéiforme, mais réel. François Bayrou n’est pas de gauche, mais il est républicain et démocrate. Et ces derniers jours, il confesse à ceux qui le visitent combien le spectacle offert par Nicolas Sarkozy et les siens le désole et l’inquiète, répétant que si l’ancien président est le candidat désigné par la Primaire LR, il sera aussitôt candidat.
La droitisation de la droite, le fait qu’elle se présente désormais sur une ligne politique d’ultra-droite, qu’elle parait renouer avec les vieilles traditions autoritaires héritées du Boulangisme et de ses successeurs, tout cela offre à François Hollande l’occasion de se poser en protecteur de l’Etat de droit, contre tous ceux qui sont partisans de l’Etat d’exception. Plus que sur l’économie ou le social, ce terrain politique là est propice au déploiement de la stratégie « France unie ».
Face à la dérive droitière, une carte à jouer pour Hollande
Ici se présente le paradoxe Hollande. Au lendemain du 13 novembre, applaudi devant le Congrès, ayant contraint la droite à une certaine forme d’exigence d’unité nationale, il s’était retrouvé titulaire d’une cote de popularité qui s’est avérée, au bout du compte, trompeuse. Le besoin de réassurance de l’opinion après des événements hors-normes avait produit une bulle de popularité factice. Le président lui-même s’y était laissé prendre, se lançant dans l’opération « déchéance de nationalité » qui lui était revenue en pleine face, tel un boomerang, par la gauche. A l’arrivée, la droite ne lui avait su gré de rien, et la gauche s’était déchirée.
Au lendemain du 14 juillet, n’ayant bénéficié du respect d’aucune forme d’unité nationale de la part de la majorité de la droite, François Hollande n’accomplira pas de bond spectaculaire dans les sondages, et sa cote de popularité ne s’emballera pas. En revanche, grâce aux erreurs des Sarkozy, Juppé, Douillet et autres Wauquiez, voilà le président en capacité de se tourner vers ses gauches pour leur dire, en substance : « Voyez la différence entre mon gouvernement et ce qu’il vous propose. L’Etat de droit, c’est moi, l’Etat d’exception, c’est eux. La lutte contre le terrorisme dans le maintien des libertés, c’est moi, la lutte contre le terrorisme prétexte à rogner les libertés, c’est eux ». Ce discours était déjà audible, en creux, dans les propos de Julien Dray sur BFMTV ce vendredi.
C’est une affaire de temps long, mais voici les gauches, mais aussi les centristes, modérés et gaullistes, rappelés par la force des choses, au clivage traditionnel qui oppose depuis 1875 les partisans de la République à ses adversaires : l’Etat de droit contre l’Etat d’exception. Dans les semaines qui viennent, le président se posera comme celui qui ne veut pas attenter aux libertés publiques. Pourquoi voudrait-on qu’à 60 ans,François Hollande commence une carrière de dictateur ?