Sarah Cattan : Hocine et Abdennour, l’Imam et le philosophe

Le premier est Président du Conseil des Imams et Imam de Nîmes. Son portable est sur sa page facebook. Je ne le connaissais pas mais des personnes que je respecte se sont alarmées en début de semaine de sa probable démission. Vous l’aurez deviné : c’est d’Hocine Drouiche que je viens vous parler. Je lui ai écrit. Comme je serai demain à Nîmes, j’irai lui dire tout mon respect. Et que Sheila ne vienne pas me dire que je fréquente des musulmans : oui Sheila, les hommes comme lui, les femmes comme Myriam ou Mariam, j’en ai fait des amis. Plus précisément j’ai une entière confiance en Eux. Ils symbolisent l’espérance. Cet état indicible qui nous permet de continuer et d’y croire. De croire en l’Homme.

 

Il y a quelques minutes Hocine Drouiche a lancé sur les réseaux sociaux un avis de recherche des Responsables de l’Islam en France. Il crie sa colère et son incompréhension : chers responsables de l’islam en France, vous êtes ou ? Le peuple français, les Français musulmans et le monde entier veulent vous entendre et vous voir sur le terrain.

Il demande à ces Responsables de L’Islam en France s’ils ont bien pris conscience de la gravité de la situation que notre pays traverse, à cause de l’islam, et leur redit que la coexistence est en danger, que le visage de la France est entrain de changer, le dialogue entre les cultures est menacé.

Il demande des comptes à présent : Pourquoi cédons-nous ? Pourquoi cette réserve? Pourquoi ce silence ?

Orateur convaincu et sincère, il fait appel à leur raison et leur conscience, vous savez le célèbre docere, placere, movere. Ecoutez plutôt : Cette France qui nous a donné tant des valeurs, les droits de l’homme, les droits de la femme, qui a été toujours un refuge pour des milliers des musulmans chassées des dictatures de leurs pays d’origine, ces valeurs européennes qui ont donné une nouvelle lumière à l’humanité, ces peuples tolérants qui ont accepté l’islam chez eux!

Il chante les mérites de cette civilisation qui a offert l’envie et l’amour de vivre à travers ses valeurs, son développement scientifique, son art, son cinéma, sa musique, ses inventions et son ouverture, et s’alarme : toutes ces valeurs ne méritent donc pas d’être défendues et protégés ? Nous n’avons pas le droit de détruire cette belle histoire entre l’orient et l’occident en offrant notre immobilité et notre silence !!

Hocine Drouiche le sait et le dit, le rappelle à ses collègues silencieux et somme toute lâches et sans gratitude: La France était toujours la première porte de cette belle relation interculturelle.

CHOISISSEZ VOTRE CAMP

La semaine dernière, le vice-président de la Conférence des Imams avait déjà réclamé un islam européen et avait déjà appelé ses collègues à se mobiliser afin de rassurer la société française et isoler toutes les idées du terrorisme et de la haine : le djihadisme veut casser la confiance entre l’islam et l’Occident, c’est ça son but. J’en appelle donc à tous les responsables musulmans et acteurs sociaux pour qu’ils prennent leurs responsabilités. C’est à nous de corriger les erreurs [menant à] l’extrémisme. Il avait dénoncé l’importation de l’islam des pays arabes et avait appelé à un islam européen, loin de l’islam à la saoudienne, à la marocaine ou à l’afghane, un islam qui accepte les valeurs de la République que sont la laïcité, la liberté individuelle, la liberté religieuse, qui accepte la place de la femme, un islam pas agressif et conflictuel, et il avait conclu que rien ne serait possible sans un engagement des musulmans.

Il avait compris combien les Français en avaient marre d’entendre les responsables musulmans dire à chaque fois que l’islam était religion de paix  et il avait conclu: il faut agir maintenant. Sinon ça mettra les musulmans à un carrefour dangereux et un jour, la société française leur dira : « choisissez votre camp ». L’implosion sociale est le but des extrémistes.

On avait parlé ici même de sa démission. Au lendemain du massacre de Nice, le vice-président de la Conférence des Imams de France l’avait annoncée pour dénoncer le silence de ses homologues, des prédicateurs musulmans et des institutions musulmanes en France qu’il jugea incompétents, s’obstinant à répéter que l’extrémisme n’existait pas. Il avait alors ajouté en privé avoir démissionné de toute responsabilité au sein du ce pseudo « conseil français du culte musulman » soutenu par l’état et chargé de nommer les élites et les cadres qui reforment l’islam en France car, ajouta-t-il, aucun de ces responsables n’avait fait montre de responsabilité et d’humanisme en venant à Nice : J’étais comme d’habitude le seul avec cinq autres imams et comme par hasard, nous sommes exclus par ce pseudo conseil de la réforme de l’Islam géré par le Ministère de l’Intérieur et l’Islam politique! Apparemment la nouvelle réforme va de la politisation de l’Islam vers la daeshisation, comme ça la fête sera parfaite!!!

Il les avait appelés : Vous êtes où, mes frères responsables musulmans? Une journée pleine de rencontres à Nice avec les familles des victimes, des interventions, des discours de paix et de réconciliation mais aussi de condamnation de l’immobilité honteuse de plusieurs responsables musulmans. J’ai demandé clairement leur démission car ils n’arrivent pas à assumer leur responsabilité historique dans ce moment très difficile que notre pays traverse.

Rappelons-nous que récemment encore, dans un discours lors d’une rencontre interreligieuse à Bruxelles consacrée à la persécution des chrétiens, il avait dénoncé le fait qu’aucun imam n’était venu se recueillir devant la rédaction de Charlie Hebdo ou devant le supermarché casher et avait conclu que l’islam s’était déshumanisé puisque des valeurs comme le dialogue, la tolérance, la raison et l’accueil des autres n’avaient pas résisté aux assauts d’un littéralisme islamique qui sépare les amis des ennemis de Dieu, les croyants des incroyants, les musulmans des infidèles. Dans un tel environnement, l’émergence du fanatisme était inévitable.

LES INSTITUTIONS MUSULMANES SE CONTENTENT DU RÔLE DE SPECTATEURS.

Comme lui, le philosophe Abdennour Bidar espére que les imams de France sortent de leur réserve et que, au moins dans leurs prêches du vendredi 15 juillet, ils cessent de parler de sujets qui n’avaient rien avoir avec l’attentat de Nice : leur rôle est primordial dans le combat de la haine et l’intégrisme religieux. Mon prêche, avait dit Hocine Drouiche, sera un cri de tristesse et de colère contre l’extrémisme et les extrémistes mais aussi contre les institutions musulmanes en France qui se contentent du rôle de spectateurs.

Alors que l’un, en déclarant sa démission, affichait son rejet de ces institutions incompétentes qui ne font rien pour la paix sociale et qui ne cessent de répéter que l’extrémisme n’existe pas, le deuxième, Abdennour Bidar donc, chargé de mission à l’Éducation Nationale, avait déjà publié L’islam sans soumission[1] et Lettre ouverte au monde musulman^[2], où il démontrait que la stratégie claire de Daesh était de provoquer le chaos dans la société française, chaos qui aggraverait suspicion et rejet à l’égard des musulmans en alimentant ce fossé d’incompréhension entre les musulmans et les autres: d’un côté une véritable allergie à l’égard d’une religion perçue comme violente et agressive, de l’autre le sentiment d’être toujours plus stigmatisés : Le rejet n’en finit plus de monter des deux côtés: les uns rejettent, les autres se sentent rejetés. Voilà le mécanisme, l’engrenage maudit, qui pourrait dresser demain nos populations les uns contre les autres dans des tensions civiles très graves. Face à cela, nous devons avoir un sursaut de lucidité collective: être capables de comprendre le piège à temps, et l’éviter tous ensemble, non musulmans et musulmans unis, avant que ne se déclenche son mécanisme de désastre sur les plans social et politique.

Les deux somment aujourd’hui les musulmans de ne pas se contenter de dénoncer Daesh, et de tous passer du réflexe de l’autodéfense à la responsabilité de l’autocritique : Voilà en effet une culture tout entière qui est menacée par la régression vers l’obscurantisme, le dogmatisme, le néo-conservatisme, le rigorisme incapable de s’adapter au présent et aux différents contextes de société… et qui, c’est le comble, parle parfois de liberté de conscience pour réclamer le droit de donner libre cours à sa radicalité, ou pour faire valoir publiquement ses «principes éternels», sa «loi divine intangible et indiscutable», comme si quelque chose pouvait et devait échapper aussi bien à la marche de l’histoire et à la volonté des hommes!

UN CANCER INTERNE DE CIVILISATION

Abdennour Bidar n’hésite pas à parler d’un cancer interne de civilisation face auquel il appartient à chacun de réinventer, métamorphoser cette culture spirituelle en perdition. Et pour cela la première chose à comprendre est qu’il faut arrêter de dire seulement «le vrai islam ce n’est pas cela», «cet obscurantisme ce n’est pas l’islam de mes grands-parents, de mon village, ou des âges d’or de l’islam, comme l’Espagne andalouse».

Les deux s’accordent sur la vacuité de ce type de nostalgie face à la gravité du présent, qui ne vaut guère mieux que la solution des salafistes qui veulent revenir à un «islam originel», à un «islam pur», à un «noyau» ou à une «essence» de l’islam. En somme, vouloir fabriquer du futur avec le passé : Rien de plus dangereux que de vouloir faire triompher la «pureté» de quoi que ce soit: ce fantasme de «pureté» passe toujours, l’histoire nous l’a enseigné, par la «purification totalitaire» de tout ce qui n’est pas conforme au modèle!

Aujourd’hui, si nous, nous commençons à les entendre peu à peu, tant ils crient fort et vrai, eux savent hélas combien ils sont peu nombreux, intellectuels de culture musulmane, philosophes critiques et consciences engagées, théologiens ou imams. Mais ils y croient et en appellent encore à la responsabilité des musulmanes et de musulmans des sociétés européennes qui doivent s’engagent massivement, pas seulement en tant que croyants de telle religion mais en tant que citoyens qui participent au progrès moral et social général, pour peut-être construire le modèle d’une autre identification à la culture musulmane, non plus repliée sur elle-même et sur la défense de son identité et de ses intérêts, mais ouverte et engagée dans une logique de contribution au bien collectif.

Hocine et Abdennour. Le deuxième redit ne pas écrire pas en tant que philosophe de culture musulmane qui ne s’adresserait qu’aux musulmans, mais essayer d’expliquer que musulmans et occidentaux sont confrontés à même question : la question du sacré, objectif élevé d’un sacré partageable qui soit un juge de paix nous évitant de nous battre, précise le deuxième, demandant solennellement aux musulmanes et aux musulmans européens de ne pas rester de leur côté, de ne pas céder à la tentation de se replier sur eux-mêmes dans la défense exclusive de leurs intérêts propres, de répondre à la suspicion par l’ouverture, de répondre au rejet par la contribution. En somme, de regagner le respect et la considération de tous en s’associant intellectuellement et humainement, partout où c’est possible et par leur engagement social et politique de tous les jours, à tous ceux qui refusent un monde égoïste où l’on vit séparés en communautés et en tribus, et où l’homme est un loup pour l’homme. Pour lui, le sacré et le spirituel surgissent de cette fraternité qui crée du lien et qui fait grandir en humanité. Plus largement, vivre spirituellement c’est vivre relié. Evoquant Daesh, il affirme que sa seule force est de profiter de nos faiblesses et exhorte à resserrer nos liens : Daesh alors n’aura pas pour nous diviser le passage d’une seule petite faille si nous respiritualisons le monde.

Hocine Drouiche, lui aussi, demande aux musulmans de France de sortir de leur réserve : pour lui, les derniers attentats survenus en Occident et dans le monde musulman montrent à quel point la réforme religieuse est devenue nécessaire pour la continuité de l’existence de l’Islam et des musulmans, rappelant que si l’islam est innocent, il faut des hommes courageux pour le prouver. Une tâche ardue tant, selon lui, il est aujourd’hui très difficile de différencier l’islam religieux de l’islam idéologique[3]. Pour lui, en France, le musulman doit être français et européen : en pleine colère de tout ce qui se passe sur le terrain français et européen en lien avec l’islam et l’islamisme et surtout l’échec de l’élite musulmane à rationaliser et européaniser le discours islamique, j’ai refusé ce soir à Montpellier la célébration d’un mariage religieux à cause du traitement humiliant envers la femme (la fiancée). J’ai trouvé que faire la différence entre la femme vierge et la femme divorcée (pas vierge) en plein mariage et en pleine réunion devant toutes les personnes présentes était inacceptable et insupportable. C’est une grave insulte à la fiancée!! En plus, on ne peut pas accepter cette différence concernant la dote entre une femme vierge et une non vierge qui est « moins évaluée ». Les traditions du monde arabe (différentes souvent des valeurs de l’islam) doivent rester dans les pays arabes car l’islam lui même refuse ce traitement indigne à l’égard de la femme. Je suis persuadé que la culture française et les valeurs européennes peuvent améliorer notre compréhension et notre pratique d’un Islam qui n’accepte jamais ces crimes indignes à l’égard de la femme.

Alors bien sûr. Bien sûr il y eut Tahar Ben Jelloun, le 16 juillet sur France Inter, qui, invité à commenter le massacre commis à Nice, prit bien soin de préciser qu’il ne fallait pas confondre la Résistance palestinienne avec le terrorisme.

Mais il y eut Hocine Drouiche et Abdennour Bidar.

Sarah Cattan

[1] L’Islam sans soumission, Editions Les Liens qui libèrent, avril 2015.

^[2] Lettre ouverte au monde musulman, Editions Albin Michel, février 2015.

[3] Centre catholique des médias Cath-Info, 16 juillet 2016.