Sarah Cattan : Merci pour ce moment. MERCI LES BLEUS.

Merci les Bleus. Pour cette liesse et ces sourires qui ont gagné la France. Demain vous aurez gagné. Non je ne fais pas de pronostics ni ne prétends au savoir du devin, et non, je ne parie pas. Je sais. Je sais que demain soir nous aurons gagné parce que tous, emportés par votre Entraîneur, avez avec lui tout appris et tout compris. Parce que vous étiez nos enfants, quand Paul Pogba s’est enroulé dans le drapeau français, que Griezmann a généré la grizou-mania, Payet a embrassé les pieds de Griezmann qui a embrassé les pieds de Payet, parce que, après l’Islande, vous aussi avez voulu communier dans une belle séance de clapping avec nous. Parce que tout le monde entonne Antoine Griezman is the man, yes he can, air lancé par le groupe Concept. Parce que les caprices de joueurs enfermés dans leur car et qui nous avaient fait nous éloigner de vous, eh bien c’est fini, parce ça ne sent plus le bling bling chez vous. Parce que Didier Deschamps. Lloris, Giroud, Humtiti, vous tous, quoi. Oui demain soir nous aurons gagné parce que vous jouez collectif. Parce qu’avec vous il n’y a eu ni affaire de sextapes ni petites trahisons entre amis et que d’ailleurs on l’avait oublié ce duo Ben Arfa Benzema et qu’on souhaitait presque que son pélerinage à La Mecque donne envie au deuxième d’y rester, non ça c’est méchant, demain soir nous aurons gagné aussi et surtout parce que cette victoire, c’est le cadeau que vous aviez décidé de nous faire pour panser nos plaies à vif depuis Charlie le Bataclan et tous les autres désastres des mois passés, parce que vous aviez, obstinés, tout fait pour que brille quelques jours encore cette lumière dans nos yeux, parce qu’enfin vous vouliez que le drapeau français cette fois soit hissé sans larmes.

 

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Tiens, je gage même que la Tour Eiffel et autres monuments se coloreront de bleu blanc rouge, dans la joie cette fois, pour vous dire notre gratitude. Donc pour l’heure, exit le Brexit, la Loi Travail, Nuit debout, exit la menace de carnages. Il sera toujours temps de revenir sur terre.

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FOOTBALL DE LÉGENDES

Votre Euro, qui a commencé le 10 juin, s’est aussi disputé en librairie ou pas moins de 150 livres vous ont été consacrés pour l’occasion. Je retiendrai ce magnifique hors série de la revue Desports, Football de légendes[1], où 30 écrivains brossent en une page le portrait de 30 joueurs d’exception, illustrés de 30 photos : Zlatan croqué par Enki Billal, Cristiano Ronaldo par le prix Goncourt Jean Rouaud, Zidane par Jean-Philippe Toussaint, Platini par Bernard Pivot ou Raymond Kopa par Philippe Delerm. Je vous offre aussi La Littérature marque des buts[2], cette anthologie qui réunit des textes de Nabokov, Céline, San Antonio, Salman Rushdie ou Albert Camus : Le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre, qui resteront mes vraies universités, et aussi les souvenirs de Philippe Delerm, ce passionné de ballon rond, ce fan de Saint-Etienne, qui nous raconte la cour d’école de ses sept ans et son mistral gagnant à lui: Je m’intéressais peu au foot mais il y avait des chewing-gums dans lesquels on gagnait des cartes à l’effigie des joueurs. On pouvait gagner Kopa ou Di Stefano. Ce nom, Kopa, a commencé à résonner à mes oreilles, c’est mon premier souvenir de foot. Et pourquoi pas le court essai de Jean-Claude Michéa, hommage au livre de Galeano, Le Football, ombre et lumière[3], qui propose une critique de la dénaturation méthodique, par le capitalisme moderne, de votre sport, sport populaire par excellence. Vous allez aimer : l’auteur, rejetant le préjugé qui veut que le football soit l’opium du peuple, donne à découvrir la beauté spécifique du football et l’humanité émouvante de nombre de ses héros. Il nous redit, à nous qui doutions peut-être, que non le foot, né dans l’aristocratie anglaise au 19ème siècle, mais rapidement repris par le peuple, n’est pas forcément beauf ni forcément vulgaire, qu’il fut jadis un sport qui n’exigeait pas d’argent et qu’on pouvait pratiquer sans autre moyen que l’envie de jouer, qu’il reste objet de sociabilité populaire notamment avec ses discussions d’après-match.

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Je parle d’avant, me dites-vous ? Quand votre sport n’était pas encore devenu industrie, quand l’argent n’en était pas le moteur, quand c’eût été inimaginable de voir un Frank Ribéry, joueur de l’équipe de France au mondial, fêter la victoire de l’Algérie sur le Rwanda en défilant avec le drapeau algérien ou un Karim Benzema déclarer[1] : L’Algérie c’est mon pays, et après l’équipe de France c’est le sportif quoi[2], avant, quand c’eût été inconcevable, le doigt de William Gallas à un journaliste de TF1, ou encore la polémique autour de propos insultants qu’aurait tenus Anelka à l’encontre de son entraîneur, avant vos salaires exorbitants ou le coût indécent de vos transferts. Mais aujourd’hui réjouissons-nous.

Réjouissons-nous de concert, le boulanger le Ministre votre voisin son boss les ouvriers. Ne soyons pas bégueules et souvenons-nous qu’après Homère et Ronsard, Camus, autre passionné qui joua comme vous, au sein du Racing Universitaire Algérois dont il fut le gardien de but, affirma : Ce que je sais de plus sur la morale et les obligations de l’homme, c’est au football que je le dois.

Pour les sceptiques, rappelons que Camus n’est pas un cas isolé, et que Giraudoux ou Maurois, Sartre et tant d’autres consacrèrent des textes au ballon rond, Montherlant allant jusqu’à composer une ode à la gloire de L’ailier. Retournons voir l’éblouissante série Les footballers de Nicolas de Staël, et, plus proche de nous, Franz-Olivier Giesbert, Alain Finkielkraut ou encore Bernard Pivot, ce grand supporter des Verts, qui va jusqu’à voir une parenté football-écriture : Il y a dans l’action d’envoyer le ballon entre une barre et deux poteaux, dans la précision et l’efficacité implacable du geste et de son résultat, quelque parenté avec ce qu’il y a aussi de voulu, d’organisé, de maîtrisé, d’explicite et de souverain dans l’acte d’écrire… 

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CETTE QUALITÉ DE SUSPENSE

Votre sport. Le foot. Que vous avez fait renouer avec sa philosophie première, faite de ténacité, d’espoir, de loyauté et de solidarité. Et si une longue tradition philosophique vient vous rappeler, de façon récurrente, que les activités ludiques ont pour fonction première de divertir de l’essentiel, si parler de foot reste dans certains milieux une faute de goût, grâce à vous il commence à devenir convenable en France de s’intéresser au foot, alors que votre sport a toujours joui d’une très grande reconnaissance dans certains pays : Le football a atteint une dignité sociale totalement incomparable avec ce que l’on connaît en France. Il faut voir ces émissions de télévision où tout le monde est habillé en costard-cravate et parle très bien de football[6].

Vous l’avez lu, Jean-Philippe Toussaint, expliquant à Libération comment le suspense a suscité sa passion pour le foot : Devant un match de football, l’avenir est fondamentalement irrésolu. C’est cette qualité de suspense qui fait que, à la manière du divertissement évoqué par Pascal, le football

THE PLACE TO BE

Aujourd’hui, le stade de foot est devenu the place to be et acteurs, écrivains, ministres, grands patrons, mannequins, droite et gauche confondues, font tribunes communes, illustrant avec Camus qu’il n’y a pas d’endroit au monde où l’homme est plus heureux que dans un stade de foot. Francis Huster, Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Laurent Fabius, Dany Cohn Bendit, François Hollande, François Pinault, Bill Gates, Alain Finkielkraut, Umberto Eco, Joey Starr, Bernard Lavilliers, suivis des WAG ou wives and girlfriends, devenues célèbres grâce à la fameuse série britannique Femmes de footballeurs : Victoria Beckham ou Salma Hayek, actrice, productrice, et épouse de François Pinault : ils étaient tous là, ce soir.

N’écoutez pas vos pourfendeurs hargneux. Laurent Sagalovitsch est bien seul dans son billet sur Slate : Encourager cette Équipe de France ? Jamais ! Je n’ai pas la fibre nationaliste. J’exècre ces adorateurs du drapeau, ces thuriféraires des chants patriotiques, ces gueulards de l’identité nationale toujours prompts à défendre le premier clampin venu juste parce qu’il se trouve appartenir à la même tribu que la leur. C’est que celui-là, rabat-joie, demandait à voir une grammaire footballistique à la hauteur de ses attentes ! De la grammaire ! Footballistique ! Qu’on se le dise !

Et le racisme dans tout ça ? Vous savez, celui qu’évoquèrent Benzema, Cantonna, Djamel Debbouze ? Moi j’ai vu des frères jouer. Des potes heureux quand l’un avait brillé. Ce n’est pas vous qui choisirez jamais, à l’instar de l’équipe de football d’Algérie ce 9 juillet, de ne pas participer à un match amical, préférant abandonner pour qu’Avram Grant, l’entraîneur israélien du Ghana, n’entre dans le pays, ce n’est pas vous qui refuserez jamais, comme le fit le Maroc en mai dernier , lors du championnat de tennis handisport, d’ affronter la sélection israélienne, ce n’est pas vous, en refusant de jouer contre lui, qui auriez contraint ce pays du Moyen-Orient à ne pas jouer dans la zone asiatique.

Chers Karim Benzema, Hatem Ben Arfa, Samir Nasri, Eric Cantonna, Frank Ribéry, gardez-vous d’être séduits par ceux-là et choisissez l’Esprit Didier Deschamps: ses joueurs sont beaux. Ils sont beaux parce qu’ils sont solidaires. Ils gagnent quand ils sont solidaires. Ils sont la France. Celle qu’on aimait, celle qu’on aime, celle dont nous sommes fiers. Regardez-la, cette équipe, prenez-en de la graine : la France gagne quand elle a cet esprit d’équipe. Et elle l’a, cet esprit d’équipe, quand l’entraîneur est grand, quand la racaille a été écartée. Alors merci, Didier, vous qui, tant sur le plan tac-tique que sur le plan tech-nique, avez su mener et faire grandir vos joueurs, merci Les Bleus, vous à qui la France doit cette embellie. Vous savez, cette amélioration passagère de l’état de la mer, cette diminution de la force du vent, ce moment plus serein dans une période agitée.

Sarah Cattan

[1] Football de légendes, une histoire européenne : 30 joueurs, 30 écrivains, 30 photos, Collectif, Éditions du Sous-Sol, 2016.

[2] La Littérature marque des buts, anthologie footballistique établie par Stéphane Chomienne et préfacée par Hubert Artus chez Folio.

[3] Editions Climats, 1997.

[4] Le 6 décembre 2006 sur RMC

[5] France Football, 16 décembre 2015.

[6] Le football des nations, des terrains de jeu aux communautés imaginées, Édité par Fabien Archambault, Stéphane Beaud, William Gasparini, Publications de la Sorbonne, lcdpu.fr

[7] Football, Jean-Philippe Toussaint, Les éditions de Minuit, 2015.

 

 

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12 Comments

  1. Panem et circenses expression latine littéralement « pain et jeux du cirque ».
    Les empereurs romains avaient bien compris comment détourner l’attention du peuple des sujets qui fâchent.

    Toujours aussi pathétique, François Hollande espère(lui qui préfère le rugby comme moi!) »une bonne incidence sur le moral des français et ajouterait un élément de confiance » en cas de victoire dimanche.

    Il ajoute «c’est toujours pour un peuple le sentiment qu’il peut réussir, dans le domaine sportif mais aussi dans le domaine économique, dans le domaine culturel, dans le domaine international, politique, diplomatique».

    Comme à son habitude, il mélange tout.
    En quoi le français « moyen » peut-il « réussir » dans le domaine international, politique, diplomatique ?
    Même s’il y a des exceptions.

    Ce qui est sûr c’est que les chômeurs n’ont pas l’optimisme du président et qu’avec des revenus même beaucoup moindre que ceux des footballeurs,et beaucoup moins d’impôts,nombre de français seraient prêts à investir, à créer leur entreprise et à permettre à leurs enfants de poursuivre des études.

    Je crois que je vais revoir mon dvd Les raisins de la colère dimanche soir.

  2. Le « bénéfice » éventuel sur Francois Hollande: je n’en ai pas parlé. Il n’y a plus de bénéfices de ce type. Pour aucun politique. Oui je l’ai entendu s’exprimer. Next. Je précise que je ne parle que d’une embellie. Quelque chose d’ ephemere. Je ne bouderai pas mon plaisir. Les chômeurs non plus. Et je n’irai pas revoir Les raisins de la colère . J’invite à une pause. Celle des partitions musicales. Une respiration. Un moment de vacance.

  3. Faut-il le dire… Il semble que oui: un zeste de légèreté n’occulte pas le terrifiant papier sur les esclaves sexuelles vendues aux enchères par Daesch. J’ignorais cette énième abomination. Le silence qui l’accompagne.
    L’embrasement quasi général de ce jour n’atteint pas que les imbéciles et n’empêche pas la lucidité.

  4. Quand M. Hollande est arrivé au pouvoir, on a vu les ministres utiliser leurs jambes, le vélo ou le train pour se déplacer. C’était très symbolique et n’a duré qu’un temps !
    Aujourd’hui, M. Vals va voir un match, en Allemagne, en avion de la République, et M. Hollande ne rate pas un seul match, et ne fait pas du stop pour se déplacer !
    Que les francais se réjouissent de la victoire de leur équipe de France, ne veut pas dire qu’ils attribueront ce mérite au gouvernement actuel, comme ils n’attribueront pas les mérites d’un Didier Dechamps à M. Hollande.
    Entre un président qui soutient les résolutions aberrantes de l’UNESCO et un autre qui écarte les joueurs qui n’aiment pas la France, le peuple s’exprimera dans les isoloirs, et par les urnes.

  5. Mandela: je ne perd jamais. Soit je gagne, soit j’apprends. Ce fut une belle fête. Et la preuve éclatante que la France refuse la peur et l’intimidation: comme les terrasses de cafés et les salles de Theatre ou de concert, les stades étaient pleins, les fan zones aussi, on n’a rien oublié , on se relève, c’est tout. En somme on fait comme les israéliens .

  6. Ce fut une finale ennuyeuse entre deux équipes sans doute fatiguées mais de toute façon pas très bonnes sur le plan strictement « footballistique » (ça compte quand même pour les amateurs de beau football comme moi).
    Il restera de beaux souvenirs de cet Euro : le clapping islandais après la ola mexicaine, les célébrations de Griezmann et Payet notamment, les larmes de tristesse puis de bonheur de Ronaldo, la classe malgré la défaite de l’équipe d’Allemagne, j’en passe.
    Juste un mot par rapport aux propos de Sarah (que je partage dans l’ensemble): je ne pense pas qu’il faille mettre dans le même sac Benzema et Ben Arfa. Le premier n’a guère manqué au collectif, le second est le meneur de jeu qui manquait à cette équipe (Pogba a été très décevant).

  7. Oui Lucien j’ai fait un package trop rapide et en effet j’aurais dû ne pas égratigner Ben Arfa ou plus précisément c’est l’esprit Benzema que je voulais marquer. J’entends pourtant dire que Benzema est un génial joueur Etc Etc . Sourire…

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