Ces malades qui nous gouvernent ou comment l’état de santé des dirigeants du Moyen-Orient peut déstabiliser encore plus la région, voire au-delà
Alors que les forces de Daesh reculent sur plusieurs fronts, il est un danger encore peu médiatisé en occident mais qui aura un impact tout aussi existentiel pour les pays du Proche et du Moyen-Orient, voire au-delà. Il s’agit de l’état de santé précaire des dirigeants de la région, et en particulier chiites.
L’Iran chiite et la difficile succession du guide Suprême de la révolution islamique
Ali Khamenei, le Guide Suprême de la révolution Islamique, la plus haute autorité de la République Islamique d’Iran, souffrirait d’un cancer généralisé. A la disparition de ce dernier, on peut anticiper une âpre lutte pour le pouvoir entre les deux grands clans de l’arène politique perse : les ultraconservateurs et les « modérés / réformateurs ».
Sur le plan idéologique il n’y a que peu de différences entre la ligne défendue par le successeur de l’Ayatollah Khomeiny et Hassan Rohani, l’actuel Président iranien, c’est-à-dire, la préservation du régime avant tout. Par contre sur la forme, les oppositions sont beaucoup plus marquées. Un des exemples les plus patents a été le récent accord sur le nucléaire, tant décrié par les durs du régime, dont le corps des Gardiens de la Révolution Islamique, les Pasdarans. Et cela pour au moins deux raisons. L’une idéologique, ne faire aucune concession aux occidentaux qui pourrait être interprétée comme une faiblesse à la fois sur le plan intérieur mais également en termes de leadership régional. Et l’autre économique. Une ouverture pourrait rebattre les cartes du contrôle des ressources et de l’appareil militaro-industriel. Dans ce cas, les Pasdarans auraient fort à perdre.
La société civile perse, quant à elle, aspire à plus de liberté. Des mesures drastiques de contrôle des médias sociaux ont récemment été mises en place pour museler les critique de l’opinion publique, notamment sur l’implication du régime dans le conflit syrien, avec ses pertes énormes, y compris parmi les hauts gradés. Les minorités font également entendre leur voix, en particulier, les Kurdes. Ces derniers supportent de plus en plus mal la chape de plomb qui leur est imposée, alors que leurs frères irakiens et syriens voient leur rôle et leur autonomie s’accroitre.
En l’absence de personnalités charismatiques et incontestées, l’Iran, aujourd’hui considérée par certains comme un pôle de stabilité, risque fort d’expérimenter, à l’image de ses voisins, une période de troubles à l’issue incertaine.
Le Hezbollah libanais et l’après Nasrallah
Le mouvement chiite, véritable Etat dans l’Etat libanais et bras armé de l’Iran, a vu en quelques années tous les successeurs potentiels de son leader, Hassan Nasrallah, éliminés dans des circonstances suspectes. Ceci est d’autant plus critique que Nasrallah, tout comme Khamenei, est atteint d’un cancer à un stade avancé. Bien que l’on ait accusé immédiatement Israël d’être responsable de ces éliminations, des complicités internes, à minima, étaient indispensables pour atteindre ces objectifs. Cela pourrait être la traduction des fortes contestations existantes au sein de la milice islamiste dont les principales causes sont à rechercher dans son engagement extérieur.
Tout d’abord, les conséquences de la seconde guerre du Liban contre Israël, en 2006, ont été désastreuses pour le pays du Cèdre et pour le Hezbollah, bien que la rhétorique officielle parle de victoire divine. En effet, la milice chiite, sous injonction iranienne, a décidé, sans l’aval du gouvernement libanais, d’entrer en guerre contre l’Etat Hébreu. Les infrastructures du pays, tout comme la milice elle-même, en portent encore les stigmates. Les dirigeants et la population non chiite ne sont pas prêts de l’oublier. Ensuite, les miliciens du Hezbollah sont en première ligne en Syrie et payent de leur sang ce que même les pasdarans iraniens rechignent à faire. Désormais, une frange grandissante au sein du mouvement conteste la ligne actuelle et l’inféodation sans réserve aux mollahs perses, même si la majorité de ses ressources provient de Téhéran, comme cela a été admis tout récemment.
On peut gager que cet affrontement entre ceux qui aspirent à devenir une composante politique du paysage libanais, pour conserver un certain pouvoir, et ceux qui sont alignés aveuglément sur la République Islamique, ne fera que s’accroitre au rythme de l’affaiblissement de l’état de santé de Nasrallah.
L’impossible succession de Mahmoud Abbas à la tête de l’autorité Palestinienne ?
Bien que non chiite, Mahmoud Abbas, le Président de l’Autorité Palestinienne (AP), est pris en étau dans le conflit millénaire que se livrent les deux grands courants de l’islam. Agé de 81 ans, il est le successeur de Yasser Arafat à la tête de l’AP, née des accords d’Oslo avec les israéliens. Elu en 2005 pour une durée de 4 ans, il s’est vu prolonger son mandat, sans consultation populaire, suite au coup d’Etat perpétré par le Hamas à Gaza en 2007. Depuis, la Cisjordanie et l’étroite bande côtière vivent comme deux entités distinctes et ennemies. Malgré un état de santé chancelant, le Raïs palestinien n’a préparé sa succession ni au sein de son parti, le Fatah, ni au sein de l’AP. Aussi, les candidats, officiellement déclarés ou non, sont légions.
Quant au Hamas, il est le théâtre de divisions irréconciliables, entre sa branche politique et sa branche armée à Gaza, et les ramifications de cette dernière en Cisjordanie, ainsi que sa « direction politique en exil ». La branche politique du Hamas à Gaza, pour rester en place, évite, depuis le dernier conflit de 2014, l’escalade avec son voisin israélien en contrôlant les débordements des autres factions. Car la prochaine confrontation risquerait bien de lui être fatale. Par contre, la branche armée de la milice islamiste, ainsi que le Djihad islamique continuent à suivre les directives de Téhéran et cherchent par tous les moyens le rapport de force, à la fois avec les israéliens, mais également avec la branche politique du Hamas à Gaza et avec l’AP.
Il y a dans cette lutte fratricide tous les éléments pour priver pour longtemps encore la population palestinienne d’un projet national auquel elle aspire.
Quelle sortie de crise pour les leaders chiites et leurs supplétifs ?
Il est à craindre que ces différentes crises ayant avant tout un fondement interne, des rivalités de pouvoir, ne trouvent leur résolution qu’à travers la désignation d’un ennemi commun et de l’instrumentalisation d’un conflit extérieur, comme malheureusement c’est souvent l’usage.
Dans le cas présent, les ennemis sont tout trouvés, Israël et les pays sunnites. Même si parmi les forces en présence, il en est qui savent pertinemment ce qu’ils ont à perdre, un acte insensé pourrait très bien mettre le feu aux poudres, à commencer par les frontières nord (Golan, Liban) et Sud (Gaza, Sinaï) de l’Etat Hébreu. En effet, les durs du régime iranien, par l’intermédiaire du Hezbollah libanais, de leurs supplétifs à Gaza, ainsi que dans le « croissant chiite » pourraient de cette manière détourner l’attention et profiter de la situation pour affermir leur position et celle de leurs affidés, au détriment des mouvances plus « modérées ».
Une menace bien réelle anticipée par les puissances sunnites et la Russie ?
Le récent protocole de rétrocession de deux îles du détroit de Tiran par l’Egypte à son propriétaire légitime, l’Arabie Saoudite qui les lui avait cédées en 1950 pour combattre « l’entité sioniste », ouvre de nouvelles et importantes perspectives. Si la raison officielle invoquée est la construction par la Royaume Wahhabite d’un pont enjambant la mer rouge devant relier les deux pays, le fait qu’Israël consulté durant les démarches ait donné son approbation peut être considéré sans ambiguïté comme une cessation officielle des hostilités avec Riyad. Elle s’inscrit ainsi dans une liste déjà longue, mais discrètes, de convergences entre les pays sunnites et l’Etat Hébreu afin de contrer les djihadistes sunnites et la politique hégémonique perse.
De leur côté, la Turquie et Israël viennent de ratifier un accord de normalisation mettant fin à une brouille de plusieurs années, suite à l’arraisonnement du Mavi Marmara qui avait tenté de forcer le blocus de Gaza. Ce rapprochement va contribuer à renforcer un front unis face aux défis communs, également partagés par les pays arabes sunnites modérés.
De la même manière, les convergences stratégiques qui s’opèrent au sujet du conflit syrien entre la Russie et Israël qui se manifestent chaque jour un peu plus sur le terrain, alors qu’officiellement Moscou est un allié proche de Téhéran, vont dans le même sens. Cela démontre une volonté partagée de contrôler une situation potentiellement explosive, en particulier en asséchant le transfert par le régime de Bachar el-Assad, sous contrôle iranien, d’armes sophistiquées à destination du Hezbollah.
La fin des accords Sykes-Picot de 1916 ?
La France et la Royaume Uni se sont partagé la dépouille de l’Empire Ottoman dans le cadre de l’accord Sykes-Picot de 1916. Malgré des promesses d’indépendance, comme celle faite aux Kurdes notamment, le Proche et le Moyen-Orient ont été découpés en grandes zones d’influence dans lesquelles ont été créés de toutes pièces des Etats-Nations ne tenant aucun compte des réalités socio-culturelles locales, où priment les notions de tribus et de clans. Depuis, cette région, riche d’histoire et de ressources, n’a cessé d’attiser les convoitises et d’être le théâtre de conflit opposant les grandes puissances par pays interposés.
Avec l’irruption de Daesh (acronyme arabe de l’Etat Islamique ou EI), plusieurs Etats nés de ce partage, -la Syrie et l’Irak-, ont déjà largement perdu de leur réalité. Mais c’est également le fait de l’Iran qui se considère le gardien des populations chiites partout où elles se trouvent, en Irak, au Liban, en Syrie ou au Yémen par exemple. Se rajoute à cela, les aspirations nationales trop longtemps bafouées des Kurdes, pièces maîtresses de la lutte contre les djihadistes sunnites, et dont la population est dispersée principalement entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran.
Les bons offices des « Docteurs occidentaux »
Aussi, ce ne sont pas des conférences internationales ou des résolutions à l’ONU, ou encore des jeux d’alliance qui apporteront un remède durable à ce conflit inextricable et incroyablement complexe quant à sa genèse.
100 ans après, il parait plus que difficile de continuer à croire que les découpages issus des accords Sykes-Picot soient encore viables, alors que la réalité sur le terrain dit une toute autre histoire.
Les puissances occidentales devraient en tenir compte si elles veulent trouver une issue à un conflit qui les touche désormais directement.
Hagay Sobol
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