Sarah Cattan : il n’y a pas de suicide, il n’y a que des meurtres

Esti Weinstein, il n’y a pas de suicide, il n’y a que des meurtres[1]

Esti Weinstein, née dans une famille ultra-orthodoxe, les Haredim[2], liés au courant hassidique de Gour, l’une des sectes les plus sévères de l’ultra orthodoxie juive, mère de 7 filles, a choisi il y a 8 ans de quitter la Communauté. Or les Haredim considèrent comme morts ceux des leurs qui abandonnent leur mode de vie, et certains d’entre eux portent même le deuil et organisent l’enterrement symbolique de celui ou de celle qui les a quittés, pour marquer la cassure.

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Dimanche, le corps d’Esti a été découvert près de la plage Hakshatot dans la ville côtière d’Ashdod : Esti avait 50 ans et cela faisait une semaine qu’elle était portée disparue et que des recherches étaient en cours pour la retrouver. Dans la voiture où son corps fut retrouvé, les policiers ont trouvé un mot d’adieu : Dans cette ville, j’ai donné naissance à mes filles, dans cette ville, je meurs à cause de mes filles, a écrit la défunte.

Cette descendante d’une éminente famille de Gur a mis fin à ses jours. Elle laisse pour sa fille Tami, la seule qui l’ait suivie dans son choix laïc, un texte décrivant les rigueurs de la vie au sein de la secte hassidique de Gur, mais aussi la douleur ressentie quand ses 6 filles et toute sa famille coupèrent tout lien avec elle après sa décision d’abandonner la religion. Ce texte testament s’intitule, d’après Haaretz, Faire sa volonté. Elle y confie ce que fut son mariage et décrit d’abord la seule rencontre qu’elle eut avec celui qui devait être son mari : le futur marié souleva d’emblée la question des takanot, la difficulté d’observance, et vérifia qu’elle était apte à respecter ces règles.

Un brin moqueuse, elle décrit, le garçon maigre assis en face d’elle, avec ses épaules tombantes, ses mains devant son corps, se balançant, ayant l’air mal à l’aise. Son apparence générale était loin d’être parfaite, et elle ajoute : voyant son humiliation, il m’a fait me sentir détendue à côté de lui.

Elle savait fort bien qu’elle était en train d’accepter un shiduch, mariage arrangé.

On apprend dans son texte qui sera sûrement édité, vu l’émoi suscité en Israël par l’affaire, que l’hymen fut profondément influencé par l’ensemble de lignes directrices strictes qui définissent la façon dont les couples Gur mariés doivent se conduire, les takanot fixant des règles régissant toutes les sphères d’une vie, du banal à l’intime.

Faire des enfants, s’occuper de la maison pendant qu’il étudiait les Saintes écritures, il ne lui demandait rien d’autre. Esti se souvient douloureusement que durant leur mariage, son mari ne l’a jamais appelée par son prénom : A l’époque je ne connaissais pas la signification du mot ‘romantique’, mais je sentais très fort que je voulais l’entendre prononcer mon nom. Parfois, je marchais derrière lui dans la maison comme une ombre et j’imaginais qu’il se tournerait soudain et dirait ce mot merveilleux.

Comme ils sonnent tristement, ces désirs si simples, et comme elle semble cruelle, cette vie à espérer le peu. A le quémander.

Esti confie par exemple qu’un jour, elle se risqua à demander à son mari de lui faire l’amour plus que les deux fois par mois autorisées dans les takanot. Le courageux époux alla s’enquérir auprès d’un conseiller. La jeune femme raconte son retour : Il se tut un instant dans l’entrée de la salle de séjour, sans me regarder, et a jeté dans l’espace du salon la phrase qui ne m’a pas lâchée pendant de nombreuses années et jusqu’à aujourd’hui : ‘Le rabbin a dit de ne pas ajouter des jours à ceux que le rebbe [chef de la secte] de Gur a défini, à savoir deux fois par mois, et nous avons déjà fait cela deux fois ce mois-ci ! Par conséquent, le rabbin a dit, que ce mois-ci nous ne devrions pas le refaire à nouveau, et a ajouté et a donné l’instruction, que si tu l’acceptes, tant mieux ! Et si non – que je devrais dormir dans le salon, et si cela aussi n’aide pas et que tu continues d’insister, le rabbin a décidé que je devrais dormir dans la synagogue ! Bonne nuit !

On croit rêver. Elle, elle évoque ses larmes, son désespoir. Son départ, imposé par le poids intolérable de cette vie rythmée par l’observance stricte des traditions ancestrales sous le contrôle de rabbins omniprésents.

Sa vie est désormais duelle : elle est devenue la femme indépendante qu’elle a choisi d’être en abandonnant la secte, Jusqu’à sa mort, vivant avec son compagnon dans la ville d’Azor dans le centre du pays, mais sa vie de mère est désormais un calvaire : pour avoir quitté la religion, cette femme a été mise en pièces, blessée, puis assassinée.

Religieux extrémistes, ayez la conscience tranquille en vous rassurant : vous ne l’avez pas tuée de vos propres mains, elle s’est juste suicidé.

Depuis, le débat fait rage sur le suicide d’Esti Weinstein. D’une part, il y a ceux comme le journaliste Avishai Ben-Haim, qui, sans être Haredi, travaille en étroite collaboration avec la communauté Haredi : lui pense que la presse a été de parti pris en couvrant cette affaire et en accablant la Communauté Haredi. Il proclame que la communauté hassidique, et précisément le Admor, son leader, n’a pas contraint ses filles et sa famille à rompre tout contact lorsqu’Esti a quitté l’observance religieuse et que dès lors il s’agit d’un procès inéquitable. D’autres dénoncent la dite Communauté et un débat est désormais ouvert : quelles sont les normes, les pratiques de cette Communauté, notamment en ce qui concerne le traitement des femmes ? Quel sort est donc réservé à ceux et celles qui veulent s’affranchir ?

Tout Israël donne son avis sur les funérailles elles-mêmes. Notre procureur Ben-Haim prétend avoir découvert une famille noble et sensible, et il évoque à l’appui l’éloge d’un père aimant. Il est vrai que les mots du Rabbi Menashem Orenstein, ce père aimant, furent ceux-là, rapportés par Ynet : Il est difficile pour moi de parler de toi pour moi tu seras toujours comme tes 43 premières années, quand tu étais pure je promets de dire le kaddish pour toi tous les jours.

Tes 43 premières années, quand tu étais pure. No comment.

Concernant l’organisation des funérailles, la Communauté nie toute bataille à ce sujet. Non la Communauté n’aurait pas exigé qu’Esti fût enterrée vite fait mal fait à l’extérieur des murs du cimetière et non encore, la famille ne se serait pas déchirée, menaçant d’enlever le corps, pour l’enterrer selon le rite séculaire. Non la Communauté voulait des funérailles adaptées au rite, avec des prières, des lamentations, et en présence d’un rabbin. Mais il se trouve que la défunte avait demandé par écrit des funérailles gaies, légères et rythmées par de la musique.

La communauté refusant de céder, les amis laïcs d’Esti et sa fille Tami introduisirent une requête au Tribunal de Tel Aviv, pendant que les plus déterminés empêchaient l’ambulance transportant son corps de quitter l’hôpital.

Sachez qu’alors que ni la famille, ni les Haredi ne se présentèrent, le Tribunal statua pour un enterrement laïc, conforme aux dernières volontés de la défunte, exprimées par écrit, comme l’a relayé I24News : Ne faites pas beaucoup d’efforts pour la cérémonie, je voudrais quelque chose de modeste avec beaucoup de fleurs. Rappelez-vous que c’est ce que j’ai choisi comme le meilleur pour moi. J’accepte que vous disiez que je suis égoïste, j’accepte aussi votre manque de compréhension concernant mon choix. Néanmoins, le tribunal a ajouté que ses deux parents ultra-orthodoxes devraient être en mesure d’y participer : l’enterrement serait donc composé d’une cérémonie laïque suivie d’une cérémonie religieuse.

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Certes rarement des funérailles ont créé tant d’émoi et réuni tant de monde. On nous dit qu’à Petach Tikvah, un groupe imposant de Gerrer haredi femmes hassidiques assistèrent à l’enterrement, sanglots à l’appui, et que des hommes de la Communauté, tristes, tous debout sur le côté, attendirent tranquillement et poliment le moment de prendre part à la procédure.

Il y eut tous les amis d’Esti, et une foule imposante, ceux et celles que cette affaire mobilisa et qui se sentirent concernés par cette tragédie. Il y eut Tami Montag, qui quitta la Communauté avec sa mère, son amie, selon ses propres mots.

La mort d’Esti rouvre le débat passionné qui oppose les laïcs aux religieux depuis la création de l’Etat hébreu, et Yair Hess, directeur de l’organisation Hillel, qui offre un soutien aux membres de la communauté ultra-orthodoxe qui veulent quitter la religion, évoque Esti, bénévole dans l’organisation, comme une femme forte, un modèle, ajoutant : Nous ne savions pas à quel point ses blessures étaient profondes.

Sarah Cattan

[1] Montherlant.

[2] Craignant Dieu.

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5 Comments

  1. L’article « elle porte plainte contre El Al pour avoir été forcée de changer de siège » et celui sur « Sotah, soupçon d’adultère », fait réagir certains sur le comportement des ultra orthodoxes de Jérusalem. A ceux-là, je demande de se positionner sur la mort de cette jeune femme. Elle dit clairement pourquoi elle ne peut plus vivre. Sa communauté l’a rejetée , sa famille a suivi. Pourquoi? Parce qu’elle a choisi de « sauver sa peau ». Parce qu’elle n’a pas pu supporter d’être ainsi traité sous prétexte qu’elle est née femme . C’est par pulsion de vie qu’elle est partie. Elle en est morte. Cette tentatrice qui a osé demander que la communauté ne régisse pas da. Je sexuelle. Cette femme qui n’a pas supporté que l’époux choisi pour elle ne l’ait jamais appelée par son prénom. Ils l’ont niée. Ils l’ont gommée. Ils ont indubitablement à voir avec son suicide .

  2. Lorsqu’on est définitivement sourd. Embrigadé. Lorsqu’on n’a pas retenu le conseil du dalaï lama: si tu perds, ne perds pas la leçon .
    Voilà la lettre ouverte que publie la mère d’Esti Weinstein ces jours derniers:
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    La mère de Esti Weinstein (un mère ex-hassidique de 7 enfants qui s’est suicidée) écrit une lettre émouvante à sa fille
    11 juillet 2016 | Classé dans: Général,Judaïsme,L’Actualité en Israël | Publié par: Alyaexpress-News

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    mere de esty

    Yehudit Irenstein, la mère de Esti Weinstein, la femme qui s’est suicidée après des années d’éloignement de ses enfants dans la communauté hassidique Gour, a écrit une lettre ouverte à sa fille, dans laquelle elle rappelle la bonté et la grâce de Esti, et exprime l’espoir que son histoire apportera une plus grande compréhension et d’empathie entre les personnes de différents horizons.

    Irenstein promet également que son mari et elle sera les «père et mère» de la fille du défunt Weinstein Tammy, le seul de ses enfants qui a quitté la communauté Gour et l’observance religieuse avec elle.

    Voici le texte de la lettre:
    Notre chère Esti,
    Tu me manques chaque jour, chaque heure et chaque minute. Il n’est pas naturel pour les parents d’enterrer leur fille, et c’est difficile. Très dur. Nous ne savions pas que tu souffrait beaucoup. Tu nous appelais toujours pour nous dire combien tu était heureuse et comment tout allait bien parce que tu voulait honorer tes parents avant tout et tu ne voulez pas nous causer de la douleur.
    Voilà pourquoi nous ne pensions pas à prendre des mesures et trouver de solutions qui auraient pu t’aider . Quand tu as décidé de quitter le giron de l’observance religieuse, nous espérions qu’un jour, tu reviendrait. Nous avons prié pour vivre et voir ce que tu allais devenir.
    Nous venons de terminer la semaine de deuil. Des centaines d’hommes et de femmes sont venus chez nous pour nous consoler, et ils nous ont dit ces histoires étonnantes. Des histoires sur une belle femme. Avec un cœur d’or, tu as passé tous tes jours à donner aux autres. A ma grande angoisse, nous ne te méritons pas .
    Ton départ a provoqué une tempête dans le pays, nous avons payé le prix le plus élevé. Espérons que cela aidera les gens à mieux se comprendre.
    Tu as dit que tu était notre main droite. Chaque jour, chaque heure, pas une semaine sans que tu viennes nous dire : «Maman et Papa, venez chez moi, pour un repas. » Quand tu entendait que l’un d’entre nous ne se sentait pas bien, tu était là dans la minute. Tu as constamment cherché ce qui était bon pour nous. Ton amour pour nous, et le nôtre pour toi, ne peut pas être exprimé en mots.
    Je t’ écris avec un cœur brisé. Je ne peux pas croire que tu n’est plus avec nous, ici. Tu était une femme belle et sage , une femme de bonté et d’empathie. Tu as construit une famille merveilleuse et tu était une mère dévouée qui a élevé ses enfants dans la manière la plus positive possible. Je te promets que nous serons une mère et un père pour Tammy et prendront ton fils dans nos cœurs comme tu nous l’as demandé, et nous allons toujours garder l’espoir qu’un jour eux aussi reviendront vers le chemin.
    Avec tout mon amour,
    Maman
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  3. Ce récit est bouleversant et angoissant, qu`une femme aussi formidable soit traitée ainsi par notre religion. Elle n`est pas la seule, il y en a beaucoup qui vivent dans la soumission et le dénigrement du féminin.

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