« On a longtemps cru que les nazis ne réfléchissaient pas »

Quand assassiner des millions d’individus n’est plus un crime mais devient une nécessité biologique… Un historien dévoile la terrifiante logique de la pensée nazie. Professeur à la Sorbonne, Johann Chapoutot a consacré ses travaux à l’histoire de la culture nazie. Il est notamment l’auteur de Le Nazisme et l’Antiquité (PUF, 2008) et de La Loi du sang. Penser et agir en nazi (Gallimard, 2014).ghi-nazisme-couv-small

GEO HISTOIRE : Dans votre essai, La Loi du sang, vous appelez à «prendre les écrits nazis au sérieux». Pourquoi, durant des décennies, l’analyse de ces textes a t-elle rebuté les historiens ?

Johann Chapoutot : Tout d’abord, le contenu n’est pas plaisant… C’est une immersion dans un monde très sombre, très pessimiste et agressif. Mais il y a une autre raison. Jamais un régime politique n’a autant agi et détruit en si peu de temps. Les chiffres sont vertigineux. 60 millions de morts pendant la Seconde Guerre mondiale, la destruction du cœur de l’Europe ; à l’est, on compte 5 000 massacres équivalant à Oradour-sur-Glane, 500 en Grèce… Les historiens se sont donc dit légitimement que ce qui comptait, c’était l’établissement des faits, et qu’après tout, les écrits et discours nazis n’avaient pas d’efficacité pratique. Alors que le nazisme a développé une intelligence qui lui était propre, avec ses valeurs, son éthique et sa vision du monde et de l’Histoire.

Les écrits nazis décrivent l’Histoire comme un «long tunnel de souffrances». La race germanique serait-elle une victime ?

Oui, selon eux, depuis six mille ans. Pour les nazis tout comme les théoriciens de la mouvance nationaliste völkisch qui émerge au milieu du XIXe siècle, l’histoire de l’humanité est indissociable de celle de la lutte des races, et en l’occurrence de l’agression permanente du pauvre peuple indo-germanique, aimable et pacifique, par des ennemis qui veulent sa mort, notamment les juifs. Ce cycle d’agressions aurait débuté avec les guerres médiques, qui opposèrent les Grecs aux Perses au début du Ve siècle avant Jésus-Christ. Ou, selon l’interprétation nazie, l’attaque par l’Orient «enjuivé» de la Grèce germanique…

Les nazis ont souhaité «liquider» l’héritage de 1789. Pourquoi ?

La Révolution française offre le même schéma que les guerres médiques : une révolution menée par une sous-humanité racialement dégénérée contre l’élite qui gouverne la France à cette époque. Les nazis ne sont d’ailleurs pas originaux. Ils ne font que reprendre la théorie de la «querelle des deux races» qui a cours chez les aristocrates français depuis le XVIe siècle, avec cette idée de «sang bleu» : les aristocrates seraient issus d’une lignée pure, franque et donc germanique, pour dominer la plèbe gallo-romaine, racialement mélangée. Pour les nazis, il faut donc en finir avec l’influence philosophique de la Révolution. En 1930, le théoricien du nazisme Alfred Rosenberg évoque ainsi «cent cinquante ans d’erreurs».

L’idée étant aussi de se démarquer de Marx qui faisait de 1789 une référence…

Pour les nazis, le communisme marxiste fait partie, comme le christianisme égalitariste et universaliste dans l’Antiquité, ou plus récemment l’humanisme et le libéralisme, de ces doctrines néfastes qui viennent nier la hiérarchie naturelle et la loi du plus fort. La Révolution française marque ainsi l’insurrection de la lie raciale contre l’élite germanique. C’est le face-à-face entre la blonde Charlotte Corday et le basané Marat, aux cheveux crépus, qui est évidemment un être issu de l’aire méditerranéenne… Sans doute un juif ! Les révolutionnaires français auraient nié l’évidence biologique pour affirmer que, eux aussi, avaient des droits, alors qu’ils ne méritaient que d’être dominés. Le problème des nazis, c’est que le message universaliste de la Révolution française s’est répandu dans toute l’Europe, et notamment en Allemagne, avec l’importation du Code civil. Ce n’est donc pas un hasard si Goebbels annonce à la radio le 1er avril 1933 : «Nous avons effacé 1789 de l’Histoire.»

Pourquoi le racisme et l’antisémitisme prennent-ils tant d’ampleur dans l’Allemagne du début du XXe siècle, alors qu’elle est la nation la plus éduquée du monde ?

Ce n’est pas uniquement un phénomène allemand. Ni le racisme, ni l’antisémitisme, ni l’eugénisme ne sont nés entre Rhin et Memel. Avant la Première Guerre mondiale, l’Allemagne apparaît comme un havre de paix pour les juifs, et cela, depuis longtemps. Le royaume de Prusse, depuis le XVIIe siècle, a accueilli tous les opprimés d’Europe : les Huguenots français, les juifs qui fuyaient la persécution catholique en Autriche… Il n’y a, par exemple, jamais eu d’affaire Dreyfus en Allemagne. Quand les juifs de Pologne ou de Russie fuient les pogroms qui se déchaînent à la fin du XIXe siècle, c’est en Allemagne qu’ils se rendent. Mais tout change en 1918. Pour les Allemands, la défaite est inexplicable. Quand vous avez eu des communiqués de victoire tous les matins et qu’un beau jour, on vous dit que c’est fini, qu’on a perdu, c’est curieux, quand même ! Lorsque vous n’arrivez pas – c’est le cas dans tous les traumatismes sociaux – à donner sens à ce qui se passe, à un bouleversement qui s’opère (que ce soit la peste noire au XIVe siècle, la Révolution française, la Révolution bolchevique…), vous avez recours à ce que l’historien Léon Poliakov appelle la «causalité diabolique». Autrement dit, la théorie du complot… Se développe alors après-guerre un antisémitisme virulent avec la légende du «coup de poignard dans le dos». Les sociaux-démocrates et les communistes, qui ont négocié l’armistice ou qui ont fait la révolution en 1918, ce sont des internationalistes, c’est donc l’anti-Allemagne, ce sont donc des juifs. Les théories racialistes des nazis se retrouvent alors en phase avec une société qui cherche un coupable à tout prix.

Le christianisme est-il aussi un ennemi à abattre ?

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Source geo

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