Il est l’un des derniers survivants juifs de la Shoah vivant au Luxembourg… Gerd Klestadt avait 11 ans lorsqu’il a été déporté avec sa famille dans les camps de concentration. L’homme a mis 70 ans avant de prendre la parole.
Le regard clair et le geste alerte, Gerd Klestadt, 82 ans, a passé une matinée au collège Anatole-France de Mont-Saint-Martin, parmi les élèves de deux classes de 3e.
Invité par les professeurs d’histoire-géographie, de français et d’allemand du collège, le visiteur a raconté pendant trois heures ses souvenirs de déporté, avec des images saisissantes à l’appui. La promiscuité dans les wagons à bestiaux, l’horreur du camp… Gerd Klestadt se souvient de tout. Comme des retrouvailles avec son libérateur, en 2014, auquel il sauvera la vie à son tour.
Arrêtée en janvier 1943, la famille Klestadt est internée dans le camp de Bergen-Belsen, en Allemagne. Tandis que son père devait « travailler aux champs », le jeune Gerd se retrouvait tous les matins devant « une immense montagne de chaussures » qu’il avait à trier, sans savoir qu’elle appartenait aux milliers de déportés morts dans les chambres à gaz. « J’ai dormi côte à côte avec mon père sur le lit. On a dormi corps contre corps parce que ça tenait chaud », se souvient le témoin de l’Histoire.
Jusqu’au 4 février 1945… « Comme chaque matin, j’ai mis ma main sur mon père… et j’ai découvert qu’il était décédé », lâche Gerd Klestadt, en plissant légèrement les yeux et en dessinant des lèvres soudain plus fines.
« 600 morts par jour »
Des scènes atroces vécues à Bergen-Belsen il y a 70 ans, le Luxembourgeois garde en mémoire « les images des tas de ce qui restait des êtres humains et qui était en train de se décomposer sous les arbres. Il y en avait des milliers. A Bergen-Belsen, on comptait à peu près de 600 morts par jour ! » Mais il reste aussi à Gerd le souvenir d’une libération inattendue… Après un voyage de six jours dans un wagon, sans possibilité de sortir, son train stoppe net près de Magdeburg. « Il y avait deux chars américains à l’horizon. Ils sont arrivés et ont libéré le train ». C’était le 13 avril 1945. Gerd Klestadt n’apprendra que 65 ans plus tard, le nom de son libérateur, un certain Frank Towers.
Le 9 juin 2014, dans un hôtel parisien, il a rencontré cet Américain. Le rescapé des camps s’en souvient avec encore un brin d’émotion dans la voix. « On s’est embrassé, on a pleuré. On a discuté. Il était seul dans la chambre. Et au bout d’un moment, il m’a dit : « Je ne me sens pas très bien ». »
Il sauve son libérateur
Frank Towers a fait une attaque cardiaque. « J’ai immédiatement appelé les pompiers , poursuit Gerd. Plus tard, l’un d’eux m’a dit : « Grâce à vous, il est encore en vie » ». Frank Towers, 99 ans, a pu retourner, chez lui, aux États-Unis, cinq jours plus tard. Gerd venait de sauver la vie de son libérateur… Un juste retour des choses.
Mais pourquoi raconter cette histoire ? Gerd Klestadt s’est souvent posé la question. Qu’avons-nous appris de l’histoire ? De ces millions de juifs, tziganes, homosexuels, handicapés, communistes, syndicalistes, francs-maçons, témoins de Jéhovah, exterminés par le régime nazi ?
Cinquante ans après la libération des camps de concentration, le génocide de 8 000 musulmans à Srebrenica, en 1995 en Bosnie, rappelait au monde que le nettoyage ethnique existe encore, comme si le passé n’avait eu aucune influence. Et ces millions de réfugiés qui fuient leurs pays en guerre, comme des millions d’Européens fuyaient le régime nazi en 1940… L’histoire se répète, au grand désespoir de Gerd Klestadt. Mais sans que le Luxembourgeois puisse se résoudre au silence.
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