C’est un film qui met le doigt sur une réalité dérangeante. Dans Ils sont partout qui sort en salles mercredi, Yvan Attal dénonce un antisémitisme « qui a grandi en France depuis dix ans à une allure vertigineuse », selon le réalisateur. L’occasion pour 20 minutes de faire le point sur le sujet, qui exige des nuances.
Les agressions antisémites ont progressé
depuis une quinzaine d’années
Selon le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) paru en mai, les actes antisémites (violences contre les biens ou les personnes, propos injurieux, menaces…) ont enregistré un léger recul de 5 % en 2015, mais sont encore très nombreux (808). « On est passé de 82 en 1999 à 744 en 2000. Depuis ils ne sont jamais retombés sous la barre des 200, avec des pics proches de 1.000 », souligne Nonna Mayer, chercheuse au CNRS et au Centre d’études européennes de Sciences Po. Et alors que les juifs représentent moins de 1 % de la population française, ils ont été la cible de 40 % des actes racistes commis en France en 2015. Une montée des agressions depuis quinze ans, très liée à l’actualité politique, selon la chercheuse : « les records de violences observés coïncident avec les interventions fortement médiatisées de l’arme israélienne dans les territoires palestiniens », explique-t-elle.
Autre réalité inquiétante « depuis dix ans, des juifs sont à nouveau tués parce qu’ils sont juifs », souligne Alain Jakubowicz, président de la Licra, qui évoque l’assassinat d’Ilan Halimi, la tuerie de Mohamed Merah dans une école juive en 2012 et l’ attentat contre l’Hyper Cacher en janvier 2015. « Et ces meurtriers ne viennent plus de l’étranger, mais sont français », souligne le sociologue Michel Wieviorka.
Plusieurs faits divers récents comme l’agression antisémite de Créteil, un professeur juif à Marseille, ont aussi profondément marqué l’opinion publique.
L’opinion à l’égard des juifs a évolué
positivement en France…
Selon l’enquête 2016 sur l’état de l’opinion réalisée pour la CNCDH par Ipsos, les juifs sont la minorité la mieux acceptée en France : « En 1946, un tiers des personnes interrogées par l’Ifop estimaient que les juifs étaient des Français comme les autres. En 2015, 85 % le pensaient. Et 86 % des sondés estiment qu’il faut condamner les propos antisémites », souligne le sociologue Vincent Tiberj. Un autre sondage Ifop pour l’Union des étudiants juifs de France et Sos racisme publié en février 2016 tiraient les mêmes conclusions, puisque seulement 2 % des sondés déclaraient éprouver de l’hostilité en apprenant qu’une personne de leur entourage était juive et 88 % estimaient qu’un juif était aussi français qu’un autre Français.
Reste que l’opinion publique semble moins prompte à s’indigner contre les actes antisémites, selon Alain Jakubowicz : « en 1990, un million de personnes avaient défilé dans les rues après la profanation du cimetière juif de Carpentras. La mobilisation n’a pas été de la même ampleur après la mort d’Ilan Halimi, par exemple ».
Mais des préjugés antisémites résistent
« Les juifs aiment l’argent et en ont, ils sont proches des sphères de pouvoir… »Ces vieux clichés ont la vie dure, comme le souligne l’enquête 2016 sur l’état de l’opinion réalisée pour la CNCDH. « Ce sont des a priori qui se perpétuent de génération en génération depuis le XIXe siècle et qui ne sont ni idéologiques, ni religieux. On entend par exemple encore l’expression abominable “fais pas ton sale juif”, visant à fustiger des comportements égoïstes », souligne Vincent Tiberj. « Ces préjugés sont d’autant plus répandus qu’ils sont devenus banals. Et leur diffusion est fortement liée à la crise car il faut trouver des boucs émissaires à son manque de fortune », déplore de son côté Alain Jakubowicz.
Qui sont les antisémites en France ?
Il faut distinguer les personnes qui ont des opinions antisémites de celles qui sont auteurs d’agressions antisémites, car elles n’ont pas forcément le même profil.
« La majorité des premières sont plutôt âgées, se situent à droite, sont peu ou pas diplômées et n’aiment pas non plus les noirs et les Arabes », souligne Nonna Mayer. L’insécurité économique est aussi un facteur amplificateur de leur rejet, estime la chercheuse. Selon Michel Wieviorka, de nouveaux antisémites sont aussi apparus dans les années 80 « tout d’abord ceux qui se définissent d’abord comme antisionistes, mais qui finissent par assimiler les juifs à la politique d’Israël ». Quant à l’antisémitisme d’extrême-droite, il existe toujours « mais les néonazis, les identitaires et les négationnistes ont plus de mal à recruter qu’il y a quelques années », estime Alain Jakubowicz.
Concernant les auteurs d’agressions antisémites, « la majorité d’entre eux quand ils sont identifiés, sont des hommes jeunes ayant un passé de petit délinquant », constate Nonna Meyer. « Il s’agit souvent d’islamistes radicalisés », avance aussi Alain Jakubowicz.
Les réseaux sociaux favorisent-ils l’antisémitisme?
« Oui, car les minorités hyperpolarisées y font ressortir le pire. Et ils peuvent entraîner derrière eux des esprits faibles », souligne Nonna Mayer. Un avis partagé par Vincent Tiberj : « Twitter et Facebook ont rendu publique une parole qui était latente. En deux clics, on tombe sur un discours de haine. Cela a permis non seulement de propager des thèses antisémites, mais aussi de renforcer l’activisme de certains », insiste-t-il. Cependant, selon Alain Jakubowicz, des progrès ont récemment été faits pour endiguer le développement de ces thèses sur la toile : « on arrive plus rapidement à faire retirer des propos nauséabonds en intervenant auprès des grands opérateurs ».
Comment réagissent les juifs par rapport à ce fléau?
« De nombreux juifs ont l’impression de subir un antisémitisme “ordinaire” au quotidien, constitué de regards réprobateurs, d’allusions insultantes… Ils ont le sentiment de ne plus être en sécurité en France et ont peur de porter la kippa », constate Nonna Meyer. « Nombre d’entre eux ont changé leurs habitudes vestimentaires ou hésitent à fréquenter les lieux considérés comme communautaires », ajoute Alain Jakubowicz. Quant à ceux qui font leur Alyah (émigration vers Israël), s’ils restent minoritaires, leur nombre progresse.
Les pouvoirs publics ont-ils suffisamment réagi ?
« La création de la Dilcra (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme et l’Antisémitisme) en 2014, la désignation de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme comme grande cause nationale en 2015 et la réaction du gouvernement après l’attentat de l’Hyper Cacher ont bien montré la volonté du gouvernement d’agir sur cette question », estime Nonna Mayer. Mais beaucoup de chemin reste à parcourir : « il faut mieux former les policiers à recevoir des plaintes concernant des actes antisémites, mieux former aussi les enseignants, contrer les discours de haine sur Internet », estime Nonna Mayer. « Il faut avant tout déconstruire tous les poncifs antisémites en faisant de la pédagogie dans les collèges et les lycées, mais pour cela, il faut davantage de moyens », insiste de son côté Alain Jakubowicz.
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