Shemi Zarhin, l’art de raconter des histoires

Avec De Douces Paroles en salles le 25 mai, le réalisateur israélien capte les secousses provoquées par le deuil et suit le « retour sur identité » d’une fratrie dont la quête, et l’enquête, virent au tragi-comique…

En 2004, la presse et le public français découvrent un réalisateur appartenant à la « nouvelle génération » de cinéastes israéliens, Shemi Zarhin : son film Bonjour Monsieur Schlomi, est un portrait d’adolescent saisi avec beaucoup de délicatesse, une chronique familiale sensible et drôle.Shemi Zarhin

Plus récemment, en 2013, les spectateurs du Festival du Cinéma Israélien de Paris, ont également pu voir The World is Funny, de nouveau projeté lors de l’édition 2016.

Depuis ses débuts avec Passover Fever en 1994, le cinéaste a été récompensé à de multiples reprises dans les festivals du monde entier mais aussi, par les Ophirs1 du cinéma israélien. Car Shemi Zarhin est un conteur-né, qui déroule le fil de ses histoires entre tendresse et ironie.

Explorant la psychologie des personnages, il réussit l’exploit d’éluder la pesanteur inhérente à ce genre d’exercice au profit d’une « incarnation » les rendant terriblement vrais : quels que soient leurs égarements ou leurs failles et en dépit de l’exaspération que leurs excès peuvent susciter, ses personnages sont toujours attachants.

Le cinéma de Shemi Zarhin, a la particularité d’être bienveillant.

Dans De Douces Paroles, à l’affiche le 25 mai sur les écrans français, vous racontez l’histoire d’une jeune femme, Dorona, et de ses deux frères, Natanel et Shai, qui perdent leur mère adorée et découvrent que celui qui les a élevés, n’est pas leur père biologique : le début pour eux d’un long périple, de Jérusalem à Paris et Marseille, et presque jusqu’en Algérie…
Comment avez-vous eu l’idée de cette histoire ?

Sincèrement, je ne sais plus exactement. C’était il y a longtemps. Mais peut-être que la « petite graine » lui ayant donné naissance – comme tant d’autres – a été plantée lorsque j’avais sept ou huit ans, bien avant de savoir que je deviendrais conteur… Je me suis probablement disputé avec mon père, ce qui m’a conduit à me demander : « Et s’il n’était pas mon vrai père ? ». Une question à la fois très effrayante et réconfortante.
Des années plus tard, la question est devenue : « Qu’est-ce qui est vrai ? » et « Qu’est-ce qu’un père ? ».
Ces conjonctions – et si ? – marquent généralement la première étape dans l’élaboration d’une histoire…de douces parolesBien que les protagonistes vivent des événements graves, le ton de ces Douces Paroles oscille entre humour et émotion ; or les spectateurs sont habitués à ce qu’on leur « balise » le registre des films – ici l’on rit, là on pleure…
Pourquoi préférez-vous ne pas trancher entre un registre ou un autre ?

Penser au public lorsque j’écris, est trop abstrait pour moi – et cela me semblerait arrogant ou prétentieux. Je me concentre donc sur les personnages, faisant de mon mieux pour leur donner tout ce dont ils ont besoin afin que leur voyage soit significatif.

L’humour comme « béquille » et sel de l’existence

Dans le film, les situations les plus dramatiques créent souvent des moments d’hilarité. Cela correspond-il à votre façon d’aborder la vie ou plutôt, de la rendre supportable ?

Cela fait partie de moi en effet. C’est aussi une façon de rendre ces instants plus complexes et profonds, avec plusieurs dimensions émotionnelles. Il est alors beaucoup plus perturbant et difficile de faire face à ces situations : parfois ce qui se passe, heurte si violemment que l’on ne sait plus quoi faire en premier – rire ou pleurer…

Les répliques et les situations décalées, les visuels hilarants (comme celui où la fratrie, assise en rang d’oignons, « se restaure » dans la maison maternelle), s’enchaînent de façon très fluide.
Avez-vous un sixième sens pour « détecter » les situations loufoques et les représenter à l’image ?

Je ne suis pas le mieux placé pour répondre à cette question… mais merci, cela résonne comme un compliment ! Pourrais-je en avoir d’autres ?

D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ?

Au début du film, les trois frères et sœur souffrent d’un manque d’équilibre personnel – peut-être parce qu’ils ignorent une partie de leurs origines familiales.
Ils finissent par découvrir « d’où ils viennent » … mais est-ce la clé pour se trouver eux-mêmes ?

C’est la nature humaine : nous cherchons à trouver dans le passé les réponses à nos problèmes et à nous convaincre que notre identité représente l’ultime vérité. Malheureusement, ce processus se fait au détriment de la compréhension de notre présent, en nous excluant nous-mêmes et cela nous empêche de croire en notre avenir. On le remarque dans des existences individuelles aussi bien que dans l’histoire des pays – Israël en étant un exemple, pour le meilleur et le pire.

Je trouve les mots présent et futur beaucoup plus « doux » que le mot passé. Cela me rend triste de constater régulièrement que le passé joue un rôle majeur dans nos vies et s’immisce dans le présent et l’avenir. Nous sommes esclaves du passé, d’une identité qui est en partie fausse, et de notre aveuglement.

Dorona symbolise une certaine génération de femmes israéliennes, avec son tempérament rebelle : elle a peur d’aimer et de devenir « véritablement » maman…
Idem pour Natanel, devenu haredi essentiellement pour pouvoir s’intégrer dans la famille de sa femme, et Shai, qui assume sa bisexualité mais dont le fils vit désormais en Europe…
Avez-vous conscience, durant la phase d’écriture, d’effectuer une sorte de radiographie de vos contemporains ?

Non. Je m’occupe d’une personne, ou devrais-je dire – d’une idée cinématographique qui prétend agir et ressembler à une personne réelle. Je fais de mon mieux pour trouver ce qui rend ce personnage unique, spécifique.
En réalité, créer un personnage est à l’opposé d’un processus d’analyse de ce que le personnage représente. Je me contente de raconter une histoire.

«Cette sœur et ses deux frères ont les meilleures
intentions du monde, mais ils font l’inverse !
»

De Douces Paroles repose sur une distribution époustouflante…

Merci !

Levana Finkelstein et Sasson Gabai, Tsahi Halevi dans un rôle très intéressant (une sorte d’ange), et Rotem Zisman-Cohen, Roy Assaf + Assaf Ben Shimon, en frères et sœur plus vrais que nature…
Comment les avez-vous dirigés pour obtenir un tel résultat ?

La ressemblance physique ne m’intéresse pas. D’une manière générale, je pense que la « réalité » perturbe la créativité quand il s’agit du casting – et même au-delà. Dans le choix et la direction des acteurs, l’aspect émotionnel et conceptuel est beaucoup plus important que le souci basique de vraisemblance. Il était clair pour nous tous qu’il devait y avoir beaucoup d’amour entre les trois frères et sœur – celui que leur mère leur a prodigué pour les protéger durant le voyage qu’ils entament.
Créer cela, correspond à un long processus. Mais ce que je recherche avant tout, ce sont des acteurs dont la présence me touche et correspond à ce que j’essaie de dire des personnages.

Selon vous, Dorona, Shai et Natanel « souffrent d’aveuglement mais sont certains de voir mieux que quiconque » …

Tout-à-fait. Il y a une certaine naïveté, un côté enfantin, une gentillesse en eux – liés à leurs caractères : ils ont les meilleures intentions du monde mais font l’inverse !  C’est ce qui les rend humains – déchirants, amusants et ennuyeux en même temps.
Je recherche cette qualité, cette aptitude-là chez les acteurs. D’où peut-être le fait que je retravaille avec des comédiens que j’ai déjà dirigés. C’est mon second film avec Sasson Gabai, le troisième avec Levana Finkelstein et également le troisième avec Rotem Zisman-Cohen – que j’ai découverte il y a treize ans dans Bonjour Monsieur Shlomi

« Les histoires que je raconte correspondent
à mes opinions et mes souhaits
 »

Les Européens ont tendance à voir Israël comme une enclave européenne au Moyen-Orient. Dans une interview accordée à une consoeur américaine (FF2 Media), vous avez déclaré « vous sentir plus proche des Arabes que des Européens ou des Américains ».
Est-il facile de dire cela en Israël ?

Peu importe que cela le soit ou non. J’exprime ce que je ressens.

Vous évoquez de nombreux sujets de tensions de la société israélienne : le faire par le biais du conte, est-il l’unique moyen de rendre possible une réflexion sereine à leur égard?
Et l’un de vos objectifs, est-il de contribuer à donner une image plus « juste » des Israéliens ?

En réalité je ne me considère pas comme un professeur qui devrait « éduquer » le public… Les histoires que je raconte, correspondent à mes opinions, mes pensées, mes sentiments et mes souhaits.
Quant à mon objectif principal, il est de me débarrasser d’histoires qui me dérangent depuis qu’elles ont fait irruption dans ma tête, afin de pouvoir mieux dormir la nuit !

De douces paroles… et une riche actualité isralienne

De Douces Paroles a été le plus gros succès du box-office israélien en 2015 et les professionnels l’ont sélectionné dans douze catégories différentes (dont celle du Meilleur Film), pour les Ophirs 2015. Film de clôture du Festival du Cinéma israélien de Paris, il y a également reçu un accueil enthousiaste.
Quel est votre état d’esprit au moment de sa sortie française ?

C’est très excitant ! J’aimerais être une mouche posée sur les murs des cinémas pour pouvoir observer les spectateurs. Etant trop absorbé par mes projets actuels en Israël, je ne peux être présent cette fois, mais ce n’est que partie remise…

Sur quoi travaillez-vous ?

J’écris un nouveau roman, que j’espère finaliser très bientôt… Je peaufine également une pièce de théâtre, qui se jouera au théâtre Habima l’an prochain. Enfin, mon nouveau livre sera publié dans les jours à venir : il combine la version originale du scénario de mon premier film, Passover Fever, et des extraits d’un mémoire rédigé durant le processus de création du film.

1 – Les Ophirs sont les équivalents israéliens des Oscars américains ou des Césars français, décernés par l’Israeli Academy of Film and Television depuis 1982. Le nom de ces récompenses, rend hommage à l’acteur et mime Shaike Ophir tout en faisant référence au riche port biblique d’Ophir.

BIO EXPRESS – SHEMI ZARHIN

Né en 1961 à Tibériade, Shemi Zarhin est réalisateur, scénariste et romancier.

Diplômé du département de cinéma de Tel Aviv, il enseigne la réalisation à l’école Sam Spiegel de Jérusalem.

On lui doit le scénario de nombreux longs-métrages (dont Tel-Aviv Stories et Family Secrets), il a également réalisé des dizaines de publicités et d’épisodes de séries TV. Il publie par ailleurs régulièrement des articles et des critiques cinématographiques dans la presse israélienne.

Depuis 1994, il a écrit et réalisé les films suivants : Passover Fever (1994), Dangerous Acts (1998 – sept Ophirs dont celui du Meilleur réalisateur), Bonjour Monsieur Shlomi (2003), Aviva My Love (2006), Abanibi (2009) et The World is Funny (2012).

Il a reçu le Prix de la culture du Ministère des Arts d’Israël en 1996 et le prestigieux Prix Landau en 2009.

Propos recueillis par Lydie Turkfeld

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