Malgré les polémiques, François Hollande a déclaré sur Europe 1, que s’il était décidé de maintenir le concert (pour le moment annulé) du chanteur Black M à Verdun, l’Etat prendrait ses responsabilités. Une prise de position qui n’est pas dénuée de sens politique.
François Hollande a osé. Alors que depuis quatre jours, le peuple de droite (et certains naïfs, à gauche, prêts à foncer tête baissée dans les pièges identitaires tendus par les droites) ne cesse de dénoncer le principe d’un concert avec la présence du chanteur Black M organisé en marge de la prochaine commémoration de la bataille de Verdun, alors même que ce concert, compte tenu des menaces qui pesaient, a été pour le moment annulé, voici que le président déclare sur Europe 1 que si, finalement, la mairie de Verdun décide de le maintenir, l’Etat prendra ses responsabilités. “Si le maire voulait, l’Etat mettrait les moyens” a déclaré le chef de l’Etat. Compte tenu du tollé, et des enjeux symboliques, ce n’est pas rien que de voir ainsi le président Hollande s’engager de la sorte, quand bien même le maire de Verdun ne reviendra(it) pas sur sa décision.
D’abord, François Hollande valide le principe même d’un concert. A ses yeux, il est possible de se recueillir, de commémorer et célébrer, se souvenir des Morts, puis de revenir à la vie. Et de célébrer la vie. En liberté. Pourquoi sont-ils Morts à Verdun ou ailleurs? Pour que leurs enfants, petits-enfants et suivants profitent de cette liberté. Qu’ils vivent comme ils l’entendent. Qu’ils ne se s’enferment pas dans une France figée et immobile, une France mortifère qui n’en finirait pas de se vautrer dans le deuil.
Le président de la République, dépositaire de la Mémoire nationale, considère qu’une fête est possible, même à Verdun, et alors? Qu’y a-t-il de plus beau à offrir aux Morts que la preuve d’une transmission réussie, celui du spectacle de la vie comme elle va? Sinon, que les opposants au concert soient cohérents, qu’ils demandent la fin des bals du 14 juillet à Paris au nom du souvenir de nos Morts ayant contribué à la chute de la royauté honnie… Tant qu’à donner dans la frénésie mortifère, pourquoi se retenir?
En second lieu, François Hollande signifie, sans aucune ambiguïté, qu’il juge légitime la tenue du concert avec le controversé Black M, en marge de la Commémoration de Verdun. Malgré la campagne initiée par l’extrême droite en général et le Front national en particulier, campagne habile en ce qu’elle a constitué un dossier à charges contre le chanteur à partir de la dénaturation et de la décontextualisation de bouts de chanson, le tout destiné à duper les honnêtes gens que de tels propos, ainsi livrés de manière que l’on ose ici affirmer de malhonnête, ne pouvaient qu’indigner.
Le droit de la rédemption
Homophobe, antisémite et anti-français, tel serait le chanteur que François Hollande prendrait le risque de soutenir, indirectement, en assurant que si le concert prévu est finalement maintenu, il se porte garant de ce que la sécurité et la tranquillité publique seraient garanties? Le président de la République serait-il devenu fou, au point de soutenir un tel personnage, si peu représentatif de la France d’hier, d’aujourd’hui et demain?
Et même (ce qui, de notre point de vue, demeure à prouver) en admettant que Black M ait, à un moment de sa vie, gravement pensé de travers, doit-on lui contester le droit à la rédemption? Au progrès de soi-même? A entrer dans le champ de l’harmonie républicaine?
Victor Hugo exilé par Napoléon le petit avait vu juste quant à la grande dichotomie de l’âme française. La France des Misérables n’a guère changé. Elle demeure partagée entre les Mgr Myriel et les Javert.
Les premiers croient en l’homme, en sa capacité à toujours être en situation de se perfectionner, s’amender, progresser. C’est parce qu’il sauve Jean Valjean d’une dernière faute, d’un dernier vol, que Mgr Myriel, le plus républicain des curés, sauve l’Homme Valjean, lui rendant d’un coup sa dignité, donc sa liberté.
Les seconds, qui hurlent aujourd’hui contre la présence de Black M à Verdun au nom de son passé, qui serait coupable, forcément coupable, sont les Javert de l’époque. Il n’y jamais de rédemption pour le présumé coupable, qui sera toujours coupable d’avoir été coupable. Pour eux, la suspicion et le doute sont déjà culpabilité. Comme Valjean, Black M se voit assigné un passeport jaune. Le passeport de celui qui a fauté, ou pire encore, qui a peut-être fauté, et qui ne peut être pardonné. Jamais. Le coupable est éternel. La stigmatisation perpétuelle. Il doit demeurer coupable. La société doit s’en détourner, à jamais. Les Javert de l’époque enferment Black M dans la prison mentale des préjugés de la même façon que Javert poursuit Valjean de sa vindicte vengeresse, lui niant toute possibilité d’amendement et de rédemption. Se faisant, par le rejet sans condition, ils créent eux-mêmes le mal dans la société qu’ils entendent protéger.
La fin du nationalisme mortifère
Mais dépassons la personne de Black M, alibi identitaire fabriqué par ceux qui veulent dénaturer ce qu’est devenu le souvenir de Verdun. En vérité, François Hollande, en soutenant tout à la fois le principe du concert, et l’invitation faite à Black M, remet Verdun à sa juste place: la commémoration de la grande bataille de 14-18 ne doit plus relever de l’attachement identitaire à une forme de nationalisme mortifère.
“Nos Morts”, “Nos Poilus”, “Nos soldats” proclament ceux qui s’indignent, et du concert et du chanteur, exigeant silence, recueillement, sonnerie aux Morts et drapeaux en berne… Ces gens-là, de bonne ou mauvaise foi, toutes bannières identitaires et nationalistes déployées, nous ramènent un siècle en arrière. Le danger est là, Front national et autres Robert Ménard ou Nicolas Dupont-Aignan, sont en passe de réussir leur entreprise: rabaisser le souvenir de Verdun à sa seule dimension identitaire et nationaliste, piégeant au passage certains qui, à gauche, ont parfois tendance à “identariser” la République.
Depuis que François Mitterrand et Helmut Kohl se sont donné la main à Verdun, il y a plus de trente ans, communiant ensemble au souvenir des Morts, Verdun a cessé d’être français pour les Français. De même qu’il a cessé d’être allemand pour les Allemands. Depuis ce geste fondateur, il est dit qu’il n’y a plus que des morts européens à Verdun, symboles d’une Europe qui, sans Europe, se fait la guerre. Ceux qui en doutent sont invités à lire Genevoix et Jünger, tous les deux officiers durant la Grande guerre, narrant Ceux de 14 subissant les mêmes Orages d’acier. L’un comme l’autre utilisent les mêmes mots pour décrire les corps déchiquetés par les terribles éclats de Shrapnels. Le tout au nom de la défense de l’identité nationale et du nationalisme.
Mitterrand et Kohl avaient acté la transcendance de Verdun. D’où l’absurdité régressive que constitue la dénonciation de la tenue du concert de Black M en mode “Ce sont Nos Poilus que l’on offense”. En 2009, quand Nicolas Sarkozy avait lancé son grand débat sur l’identité nationale, Robert Badinter en appelait déjà au souvenir de Verdun et de 14-18 pour réfuter la dangereuse initiative: “les mots que vous avez prononcés-là, disait-il à ceux qui l’interrogeaient sur le sujet, ont rempli les cimetières de millions de morts en 14-18. Toute la jeunesse d’Europe a été massacrée au nom de l’identité nationale”.
Les Morts de Verdun, tombés des deux côtés des tranchées ont été victimes des sentiments dangereux que mettent en avant aujourd’hui ceux qui ne veulent pas de concert et de Black M. Les identitaires du souvenir sautent comme des cabris sur leurs chaises en criant “Nos Morts! Nos Morts! Nos Morts!”, mais cela n’aboutit à rien et ne signifie rien. Les soldats tombés à Verdun sont d’abord les victimes de l’identité nationale et du nationalisme. Et de rien d’autre.
De manière implicite, François Hollande ne dit pas autre chose que François Mitterrand, tendant la main à Kohl à Verdun, ou évoquant, devant le Parlement européen en 1995, la nécessité de bâtir une Europe transcendant les nationalismes, donc dépassant les guerres insensées : “Il faut vaincre ses préjugés” et “Le nationalisme c’est la guerre!”, avait lancé le président français, sous les applaudissements. Et oui, le nationalisme, c’est la guerre. Et le concert de Black M à Verdun, c’est la paix.
Bruno Roger-Petit
Les grands parents de mon mari se sont battus pour la France au nom de qui et de quoi? ils doivent se retourner dans leurs tombes quand ils voient l’état de la France et de ceux qui les représente.
Et si on y avait joué “les 4 saisons” de Vivaldi, c’eut été mortifère ?
Le racolage du gouvernement pour sensibiliser la jeunesse est pathétique et montre l’impuissance du système éducatif à mener un devoir de mémoire intelligent. Massacrer intellectuellement les grands massacres patriotiques est une preuve de décadence, d’abandon, de manipulation méprisante. Verdun mérite études sérieuses et surtout une grande pudeur à la hauteur du sacrifice de tous ces jeunes hommes.