Tribune Juive

Le Foulard de Latifa par Sarah Cattan

Le 11 mars 2012, Imad Ibn Ziaten, maréchal des logis à Francazal, est assassiné par Mohamed Merah. Il sera la première des 7 victimes du terroriste, qui exécutera 4 jours plus tard à Montauban deux autres parachutistes : Abel Chennouf et Mohamed Legouad, avant de s’en prendre, le 19 mars, à l’école juive Otsar haTorah de Toulouse en massacrant Jonathan Sandler, le directeur, Gabriel et Arié ses enfants de 4 et 5 ans, ainsi que la petite Myriam Monsonego de 8 ans tirée par les cheveux et abattue d’une balle dans la tête. Qui a oublié ces 7 victimes de Merah, ces 7 innocents, et qui pour ne pas penser encore et encore au deuil impossible de leurs leurs mères, leurs pères, leurs conjoints, leurs enfants orphelins. Imad, Abel, Mohamed, Jonathan, Gabriel, Arié et Myriam, fauchés par un barbare. Latifa, Albert, Katya, Caroline et Eden, Djemaa, Eva, Yaffa, Yaacov et Avichai, dont la vie fut soudainement brisée. De loin en loin nous avons de leurs nouvelles, chacun gérant son deuil comme il peut et aussi comme il veut.

UNE STAR MÉDIATIQUE INCONTOURNABLE

Ce matin, l’une d’entre eux, Latifa Ibn Ziaten, devenue star médiatique incontournable, se rappelle, elle, encore une fois à nous : omniprésente sur tous les plateaux, elle nous fait part de la campagne de financement participatif pour la réalisation d’un film qui lui sera consacré, et nous explique que pour deux euros donnés, un euro sera dédié à la réalisation du long-métrage et un autre versé à l’association Imad, pour la Jeunesse et la Paix. Nous apprenons par la société de production Haut et Court que Latifa, le cœur du combat, réalisé par Olivier Peyon et Cyril Brody, dressera le portrait intime de Latifa et filmera son combat pour éveiller les consciences et nous, qui partageons la douleur de cette mère, nous nous demandons l’intérêt de ce film dont la sortie est prévue juste avant la présidentielle.

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Depuis l’assassinat de son fils, cette mère sillonne la France et va prôner la paix dans les collèges, les banlieues mais aussi les prisons, où Mohamed Merah s’est radicalisé selon elle. Accompagnée de 17 élèves du Val d’Oise, elle est même allée en avril 2015 en Israël et dans les territoires palestiniens pour faire découvrir aux jeunes gens le berceau des trois grandes religions monothéistes. Why not.

Mais le combat sur tous les fronts de madame Ibn Ziaten nous questionne. D’abord parce que toutes ses conférences, elle les fait voilée. Alors il y a ceux que ça ne dérange pas car ils voient en elle la figure d’une Française musulmane pieuse qui explique partager les valeurs de la république française et porter le foulard islamique en signe de deuil, à quoi nous lui opposons un hadith rapporté par le célèbre érudit musulman Al Boukhari : la femme ne doit pas porter le deuil pour un mort plus de trois jours, sauf pour son mari, elle doit l’observer pendant quatre mois et dix jours.

Et puis il y a ceux que ce foulard insupporte par principe. Nous en sommes et partageons mot pour mot la pensée d’Eve Sauvagère dans Riposte Laïque[1] : la vision d’une femme enfoulardée, voilée – déguisée en un mot – est proprement insupportable sur le sol de France. Nous, Français, avons une histoire très longue, faite de luttes et de guerres qui nous ont permis d’être ce que nous sommes aujourd’hui : un peuple d’hommes et de femmes libres. Oui, nous pensons comme elle, et nous prétendons combattre la lâcheté de ceux qui président depuis quarante ans aux destinées de la France et qui ont permis ces débordements, que d’autres qualifient d’accommodements raisonnables et Malek Boutih de compromis à tout prix[2].

Nous n’allons pas ici rouvrir le débat sur le voile, parler de la différence entre le foulard et le voile et décortiquer à nouveau la loi imparfaite à ce sujet mais nous répèterons encore que chaque jour et partout dans le monde des musulmanes se battent et meurent pour le droit à la liberté, nous rappellerons que depuis ces vingt dernières années nous assistons à une incroyable montée de cet accoutrement imposé aux femmes iraniennes par exemple et nous assimilerons encore et toujours cette tenue à un signe de radicalisation qui n’a pas sa place en France, et le fait que Madame Ibn Ziaten ait perdu son fils ou explique à Jean-Jacques Bourdin sur RMC Info qu’elle est contre le voile islamique ne nous fera pas occulter l’incohérence de ses paroles et de ses actes, lorsqu’elle parcourt, ainsi accoutrée, les établissements scolaires, prétendant incarner la tolérance et défendre, coiffée de son foulard, le modèle de laïcité à la Française, s’autorisant de facto ce qui est interdit aux élèves comme à leurs enseignants dans ces lieux. Son incohérence, et celle de nos dirigeants.

SOUMISSION À LA LOI PATRIARCALE

Quel étrange cocktail en effet que ce foulard islamique et le combat pour la laïcité. Le journaliste et écrivain algérien Mohamed Sifaoui ne s’y est pas trompé en dénonçant le 19 novembre 2015 sur France 2 cette incohérence à faire enseigner les valeurs de la République par une personne voilée : Je suis quand même assez étonné que, dans un pays où on a compris qu’il y a avait une guerre idéologique à mener, on honore à ce point, une femme qui a perdu son fils mais qui porte le voile par ailleurs. Je sais qu’on sacralise la victime dans ce pays. C’est une vraie tradition, et c’est très bien. Mais il y a des limites. Il faut chercher un peu de cohérence. Ce n’est pas parce qu’une personne perd son fils, et il y en a beaucoup, qu’on va la faire sortir de ses fourneaux pour en faire une égérie de la lutte antiterroriste.

Peu de jours après, le 8 décembre 2015, Latifa ibn Ziaten fut huée lors d’une table ronde des VIe Rencontres de la Laïcité organisées par le groupe socialiste de l’Assemblée Nationale, des auditeurs allant jusqu’à quitter la salle en signe d’hostilité au port de ce foulard et l’ancienne ministre et députée socialiste Yvette Roudy, féministe, expliquant à BuzzFeed qu’elle avait elle aussi exprimé son hostilité au port du voile, ce symbole de soumission à la loi patriarcale[3].

Hélas les autorités politiques françaises courtisent Latifa ibn Ziaten : Jean Glavany a dénoncé ce manque de respect à l’égard de cette femme éminemment respectable qui a expliqué porter le voile en signe de deuil et le Ministère de l’Education Nationale soutient son association par une subvention annuelle, Najat Vallaud-Belkacem incitant les recteurs à favoriser ses interventions dans les classes, son témoignage constituant un outil de défense et de promotion des principes de laïcité, de citoyenneté et de paix. Avec son foulard.

Mais il n’y a pas que son foulard. Alors que dans Times of Israel[4], Illana Attali évoque en 2015 la posture quasi christique de cette dame, nous déplorons, nous, son absence totale d’esprit critique vis-à-vis de l’Islam, au nom duquel son fils a été tué. Par exemple, en mars 2013, invitée de RCJ, radio du FSJU, Madame Ibn Ziaten a nié tout lien entre les attentats de Merah et l’Islam, religion de paix, et elle déplore encore sur son compte Twitter l’acharnement sur cette religion qu’elle considère pareille à toute autre. Pour elle, Merah n’est que la preuve de la défaillance de l’éducation parentale et elle explique dans Ripostelaique.com, le 6 mars 2013, que Merah n’a pas tué son fils au nom de l’islam mais par souffrance, parce que la société française maintient les jeunes des cités comme en prison, ajoutant, dans le 20h de France 2 le même jour, la tête bien recouverte de son foulard, que Merah est une victime.

FACE AUX ADOS, LE POIDS DES MOTS

Elle continue, alors que tout un chacun s’accorde aujourd’hui pour définir le jihad comme l’étape d’une mission dont le but est la conversion, la reconquête des pays indûment occupés et l’instauration de la sharia, et alors que cette semaine le fils de Ben Laden a appelé tous les musulmans au djihad contre l’Occident, elle continue, elle, à occulter une réalité, expliquant à un collégien que faire le jihad, ce n’est pas tuer. […] Ce que je fais devant vous, c’est un djihad. Un combat pour le vivre ensemble[5]. Et Libération nous relate tout cela dans un article intitulé : Face aux ados, le poids des mots[6].

En avril 2015, lors d’un voyage en Israël, cette dame a emmené 17 lycéens chrétiens et musulmans de Garges et Sarcelles se prosterner devant la tombe d’Yitzhak Rabin mais aussi celle de Yasser Arafat, l’ex-leader palestinien tenu par Mahmoud Abbas lui-même comme initiateur de nombreux actes terroristes lors de la Seconde intifada.

Parlons encore de l’Association que Madame Ibn Ziaten a créée sous le parrainage de Djamel Debbouze : sous couvert de l’Association Imad-ibn-Ziaten pour la jeunesse et pour la paix, elle donne, accompagnées de discours sanctuarisant l’islam religion de paix, des conférences soulignant le rôle essentiel de l’éducation par la famille et les enseignants. Son action est soutenue par les autorités politiques françaises et américaines, louée par la Communauté Juive Française ainsi que par l’Ambassade d’Israël en France, et son message islamiquement correct est délivré jusqu’aux Emirats Arabes Unis en passant par les Etats-Unis, grâce à Mort pour la France, son livre publié en janvier 2013[7]. Olivier Le Naire décrit dans L’Express cette mater dolorosa, assise, hiératique, au beau milieu du canapé noir du salon, et tout de noir vêtue, et évoque l’ énigme Latifa, sanctifiée par les médias, cette nouvelle icône qui a su faire plier d’une main de fer, en jouant avec une singulière habileté sur tous les rouages de la machine politico médiatique, une République qu’elle trouva pourtant injuste au point de se tourner, mère éplorée métamorphosée en super communicante au carnet d’adresse digne d’un ministre, vers le Maroc, contactant là-bas une radio à laquelle elle raconta ses déboires : dès le lendemain, le pays s’enflamma pour elle et Mohammed VI lui fit savoir que le royaume prendrait en charge tous ses frais : Quand la république hésitait, le roi me donnait la main pour me redresser, conclut une Latifa flattée, enfin reconnue, bientôt courtisée par les journalistes, les ministres, les chefs d’Etat, les éditeurs.

Après, les familles des 3 soldats obtiendront pour leur fils le titre de Mort pour le service de la nation et seront invitées au défilé du 14 juillet, mais dans les media, on ne voit qu’elle. Les autres, les familles Chennouf et Legouad, sont bien là mais ne recherchent pas comme elle la lumière mais la fuient.

AUCUN MESSAGE DE SOUTIEN APRÈS L’HYPERCACHER

Promue Chevalier de la Légion d’honneur, elle reçoit en novembre 2015, des mains du Président de la République, le Prix de la Fondation Jacques Chirac pour la prévention des conflits, le Prix Copernic pour le dialogue, la paix et la fraternité remis à la Synagogue Copernic par l’Union libérale israélite de France en juin 2015, elle qui n’a jamais eu un mot pour dénoncer l’antijudaïsme islamique et les sourates anti-juives et qui, alors qu’elle a publié un post de soutien après l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, n’a posté aucun message de soutien aux victimes de l’attentat contre l’Hypercasher.

Déjà, l’AJC American Jewish Comittee l’avait récompensée en mai 2014 en lui remettant le Prix AJC du Courage moral et en mars 2016, elle reçut encore un des Women of Courage Awards décernés par le secrétaire d’État américain John Kerry.

Elle est cependant critiquée, et par des intellectuelles musulmanes: une prof de philo franco-marocaine écrivait fort à propos à son sujet : l’indécence n’a vraiment aucune limite. Non contente de venir jouer les philosophes dans nos établissements scolaires, d’avoir joué les ambassadeurs en France et au Maroc, d’avoir reçu indûment décorations et honneurs, maintenant, Latifa Ibn Ziaten s’improvise cinéaste! Elle exploite la mort de son fils. Point final. Et si seulement c’était fait dans l’intelligence et l’esprit des Lumières. Même pas ! Bigoterie et degré zéro de la pensée. Quand elle dit qu’elle est marocaine, j’ai honte ! Quand on ne maîtrise ni le français, ni l’arabe, on commence à remédier à ses carences avant de venir jouer la bledarde ou la daronne rebeu de service ! Elle fait honte aux Marocaines. Comme si chez nous, il n’y avait que ce modèle en magasin ! !! Et c’est pas la peine de venir me dire qu’elle est française, hein ! Elle est française de passeport, ça s’arrête là. Et au passage, son voile islamiste me la fait détester au point de la trouver moche comme un poux et bête, inculte, stupide et obscurantiste ! Oui, je sais. Je suis cinglante. C’est parfaitement assumé.

D’autres, sur les réseaux sociaux, fulminent contre son foulard : tu peux rien dire contre son voile parce que son voile est allé à Auschwitz et en Israël : on peut pas lutter.

DÉPOUILLE CATHOLIQUE ET IMPURE

Sachez encore qu’elle a refusé, lors de la cérémonie officielle, que la dépouille de son fils repose à côté de celle de son collègue, au motif qu’il n’était pas musulman, et imaginez la blessure des parents du jeune Abel dont elle jugea la dépouille catholique et impure, ce détail ayant été tu par tous pour préserver la paix sociale et ne pas contrarier les 10 millions de musulmans.

Nous ne doutons pas que cette mère qui a choisi de vivre son deuil devant les camera souffre éminemment, mais elle nous offre l’opportunité de saluer la dignité et la pudeur de Katya Chennouf qui confie au Parisien cette douleur toujours présente : j’ai arrêté de m’occuper de mon jardin, de mes rosiers, de mes légumes et celles de son époux Albert qui raconte comment il a pris 12 kg pendant que sa femme perdait le même poids : Il nous arrive même de nous disputer pour un oui ou pour un non. On n’a plus envie de quoi que ce soit. Plus rien n’a d’importance […] On n’a plus célébré de fête depuis la mort d’Abel. Ni Pâques, ni Noël. Rien. On n’a même pas eu de repas de famille, ce père expliquant à Yohann Taïeb pour le Monde Juif.info qu’aller se recueillir sur la tombe d’Arafat lui paraît une insulte et un viol mémoriel des victimes, ajoutant que le fils d’Abel, né deux mois après l’assassinat de son père, souffre d’une maladie rare et que cet enfant de deux ans et demi qui ne parle toujours pas nous oblige à admettre qu’il est une huitième victime collatérale du tueur et que son état de santé est lié au traumatisme. Discrètement, il a publié Mon fils, ma bataille[8], un livre dans lequel il raconte l’impossibilité de faire le deuil d’un enfant et il a créé avec l’épouse d’Abel, Caroline, une association[9] pour Eden. Discrètement.

Discrètement aussi, Yaacov Monsonego, le directeur de l’école Ohr Torah, père de Myriam, a accepté en 2015 de parler à Laetitia Saavedra pour France Inter, expliquant que lui et son épouse vivaient avec ça tous les jours, en marge de la vie : Plus rien n’a le même goût. Un paysage, une belle lecture, un plaisir. Tout est fade. Avec ma femme, on gère le quotidien, on essaie d’assurer avec les quelques forces qui nous restent. Elles ont beaucoup diminué. C’est horrible tous les jours. Il n’y a pas de mots pour ça. Le temps n’arrange pas les choses. La vie est insupportable.

Discrètement encore, Eva Sandler évoque sa vie avec Liora, sa fille de 4 ans, et sa décision d’ouvrir un kollel à Jérusalem, le beith Sandler, pour continuer à faire vivre son mari à travers l’étude de la Torah, et discrètement toujours, Djemmaa, mère de Mohamed, nous dit dans La Dépêche que son rayon de soleil s’est éteint.

Tant il est exact que les peuples malades ont besoin de faux héros et d’alibis… Madame Ibn Ziaten joue ces deux rôles à merveille : apaisant les bonnes consciences des soi-disant humanistes, nourrissant à foison le politiquement correct, elle est la preuve concrète de l’embarras de la France vis à vis de l’Islam. La starisation de cette femme devenue diva est une photographie de notre schizophrénie et son ascension médiatique devrait tous nous interroger.

Voilà… Pendant que Latifa Ben Ziaten a fait de son deuil un métier, utilisée par un Etat et des media qui s’en servent en la couronnant, quitte à lui reconnaître cette discutable et incohérente compétence à batailler voilée au nom de la laïcité, d’autres œuvrent, à l’écart, à faire reconnaître la responsabilité de l’Etat qui n’a pas su surveiller et empêcher l’assassin de ceux qu’ils ont perdus[10], et mettent tout leur effort à vivre.

Sarah Cattan

[1] Eve Sauvagère, Riposte Laïque, 7 mars 2013.

[2] Malek Boutih interviewé par Maïté Hellio, Obs, 6 avril 2016.

[3] Yvette Roudy, Buzz Feed, 9 décembre 2015.

[4] Illana Attali, Times of Israël, 28 avril 2015.

[5] Rabbin Daniel Fahri, Times of Israel, 30 avril 2015.

[6] Face aux ados, le poids des mots, Marie Piquemal, Libération, 16 janvier 2015.

[7] Mort pour la France, Latifa Ibn Ziaten, Flammarion, Paris, 2013.

[8] Mon fils, ma bataille, Albert Chennouf-Meyer, Editions Du Moment, Paris, Mars 2013.

[9] Association Aidons Eden chennouf.meyer@orange.fr

[10] Une décision sera rendue à la famille d’Abel Chennouf, représentée par Maître Béatrice Dubreuil.

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