Dans le cadre d’une nouvelle politique de restitution, le dessin, « Trois danseuses à mi-corps » de Degas, spolié par les nazis à Maurice Dreyfus a été rendu à ses descendants.
L’émotion est palpable, le moment, solennel. Audrey Azoulay, la ministre de la Culture, prend la parole, épaulée par Viviane Dreyfus, fille de Maurice Dreyfus et d’Antoine Djikpa, président des Généalogistes de France. Dans une litanie de chiffres, elle invoque le passé des œuvres placées sous le sigle des « MNR ». Bien qu’en connaissant l’histoire, son rappel est toujours aussi abrupt. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, plus de 60 000 œuvres et objets d’art, soit spoliées par les nazis à des familles juives, soit abandonnées par celles-ci, reviennent en France. Si près de 45 000 d’entre elles furent rendues à ses propriétaires, les autres furent majoritairement vendues à des particuliers. Quant au reste, un conglomérat de 2000 œuvres, il constitua le fond des « MNR » (Musées nationaux de récupération). À la première spoliation des nazis, les propriétaires allaient devoir faire face à une seconde, bien plus insidieuse, celle de la paresse, ou du déni de l’État. L’histoire du dessin de Degas « Trois danseuses à mi-corps » rendu ce lundi 9 mai, en est le récit.
Le 28 août 1940, le dessin est saisi par les brigades de l’ERR au domicile de Maurice Dreyfus et déposé à l’ambassade d’Allemagne. En 1951, alors que l’ancienne ambassade d’Allemagne est occupée par les services du ministère des Affaires étrangères, on découvre dans un placard le dessin de Degas. Sans plus de détails, il est automatiquement incorporé au cabinet des dessins du musée du Louvre par un arrêté du ministère de l‘Éducation nationale. 62 années durant, l’œuvre est jalousement conservée au cabinet des dessins jusqu’à ce que, en 2013, l’État initie une nouvelle démarche. Jusque-là, pour qu’une œuvre puisse être rendue, le processus de restitution devait être initié par les familles spoliées. Mais les années passant et la mémoire du patrimoine s’estompant, les familles ont pour la plupart oublié ou n’ont jamais eu connaissance de leurs biens spoliés. Pour y remédier, la Direction générale des patrimoines a mis en place un partenariat avec les Généalogistes de France. Ceux-ci, à l’aide d’une méthodologie rigoureuse, ont pu retrouver certains des ayants-droits des œuvres classées « MNR ». Sur les 2000 de la liste, 145 sont été spoliées par les nazis. Pour ces 145, vingt-sept ayant droits ont été retrouvés. Et sur ces vingt-sept, six dossiers de restitution ont été entamés. La restitution de ce Degas est la première de ce nouveau processus. En présence de la fille de Maurice Dreyfus et de ses petites filles, la cérémonie est chargée d’une ambiance lourde. Entre secrets familiaux et douleurs inavouables, Viviane Dreyfus raconte comment, la voix forte mais tremblante, les premiers enfants de son père furent exterminés à Auschwitz. Le souvenir du dessin était resté pour lui comme une madeleine de Proust empoisonnée, comme un souvenir douloureux de sa vie d’avant la guerre. « Un silence assourdissant » évoque Viviane. La restitution du dessin de Degas est bien plus que la restitution d’un dessin d’un grand maître. C’est la mémoire qui refait surface, brute, nette. Viviane Dreyfus témoigne encore : « Nous sommes extrêmement touchés par le travail fait pour nous retrouver. Nous n’aurions jamais su que cette œuvre d’art nous appartenait ». Ceci nous rappelle que les œuvre sont plus que des œuvres, ce sont des attaches, des histoires, des traces qui nous lient avec notre passé.
Poster un Commentaire