L’Espagne, ou du moins l’Espagne de la conquête et de la primauté islamique, Al-Andalus, pèse lourd dans la psyché islamiste, en particulier chez les suprémacistes islamistes comme Al-Qaïda et les Frères musulmans. Le monde hispanophone actuel – l’Espagne, l’Amérique latine et au-delà – qui a évolué à de nombreux égards depuis ce qui apparaît comme un passé historique distant, est souvent béatement ignorant de la puissance des symboles et de l’histoire, qui peuvent nous affecter et le font vraiment.
Nous pouvons nous souvenir des prouesses artistiques de l’Espagne islamique et de la vision idéalisée de la convivencia (coexistence). Nous avons gravé dans nos mémoires les niaiseries politiquement correctes des maux de la culture et de la civilisation occidentale et de la supériorité de toutes les cultures, sauf la nôtre.[1] Nous gobons tout cru le « mythe du paradis andalou »[2] et oublions naturellement et de manière compréhensible l’invasion militaire étrangère qui a englouti presque toute l’Ibérie et n’a reculé que lors de la défaite musulmane à Tours, au centre de la France, en 732.
Aux yeux du monde arabe, l’Espagne, ou du moins l’image romantique et nostalgique d’Al-Andalus, est encore un concept qu’il faut conjurer.[3] Le grand écrivain progressiste syrien Abdel Salam Al-Ujayli (qui provient, quelle ironie, d’une famille importante du bastion de l’Etat islamique, Raqqa), a abordé ce thème dans son roman évocateur et sympathique, Les lanternes de Séville (1954).[4] La plus grande partie de ce narratif traite d’un passé perdu idéalisé, dans le contexte d’un déclin plus vaste. A cet égard, les lamentations concernent autant ou plus « les musulmans », que l’Espagne elle-même. C’est un thème courant. En 2014, le commandant des Corps des Gardiens de la Révolution islamique d’Iran, Qasim Suleimani, a fait remonter le déclin du monde musulman à la chute de l’Espagne musulmane. [5]
D’autres échos d’Al-Andalus sont plus subtils ou diplomatiques. En 1997, la famille saoudienne au pouvoir a construit une mosquée blanche massive sur le rocher de Gibraltar (celle-ci étant nommée, bien entendu, au nom du conquérant d’Al-Andalus, Tariq Ibn Ziyad, et Gibraltar signifiant ainsi la « montagne de Tariq ») dans le territoire britannique d’outremer du même nom. Le compte-rendu du 22 décembre 1997 publié par la Ligue musulmane mondiale dans Al-Alam Al-Islami, et traduit par MEMRI, est surprenant de franchise. C’est essentiellement un compte-rendu historique du combat pour la suprématie du site entre les musulmans, les Espagnols et, plus tard, les Anglais, tout en observant que « le drapeau de l’islam a été levé très haut sur la Péninsule ibérique, pendant les huit siècles de gloire, de culture, de pensée et de science ». Il n’y a peu ou pas de revendications, ni de langage argumenté ou connoté.
Beaucoup plus répandue est l’idée que la perte de l’Espagne est un tort historique, qui doit être réparé par la violence. Les salafistes-djihadistes, d’Oussama Ben Laden aux combattants de l’Etat islamique en Afrique du Nord y font souvent référence. « Le monde entier doit savoir que nous n’accepterons jamais que la tragédie d’Al-Andalus se reproduise », était une phrase employée par Ben Laden dans son message vidéo d’octobre 2001, après les attentats du 11 septembre.[6] En 2013, les Talibans ont appelé à reconquérir l’Espagne, accusant l’Occident infidèle d’avoir « aliéné les musulmans de leur histoire glorieuse ».[7] Les djihadistes parlant ourdou ont comparé la perte du Cachemire à celle d’Al-Andalus.[8]
Le département médiatique officiel d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) est dénommé Al-Andalus.[9] Lancé en 2009, ce nom a été choisi à dessein « car il s’agit du paradis perdu des musulmans ». AQMI a expliqué ce choix en citant l’activiste du djihad et fondateur d’Al-Qaïda, Abdullah Al-Azzam, qui affirmait que « le djihad est une obligation individuelle depuis 1492, date à laquelle Grenade est tombée aux mains des Infidèles – les chrétiens – et jusqu’à ce jour. Et le djihad restera une obligation individuelle jusqu’à ce que nous reprenions chaque morceau de terre qui appartenait autrefois à l’islam et aux musulmans ».[10] Dans une autre diffusion de 2007, AQMI a qualifié l’Espagne de « terre volée ».[11]
Al-Andalus est aussi le nom de la station de radio pro-Al-Shabaab en Somalie.[12] Un porte-parole de l’Etat islamique a récemment parlé d’utiliser la Libye comme point de lancement de la conquête de Rome et de l’Espagne. Dans une autre vidéo de l’EI de mars 2016, des enfants soldats en Syrie sont endoctrinés pour se battre en vue de reconquérir la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem et à Al-Andalus.[13
Pour lire la suite cliquer ici http://www.memri.fr/2016/05/05/lespagne-dans-la-ligne-de-mire-de-lislamisme/
Notes :
[1] Sevilla.abc.es/sevilla/sevi-rafael-sanchez-saus-idealizado-al-andalus-pesar-humillacion-sufrieron-cristianos-201603071304_noticia.html, 7 mars 2016.
[2] Mmisi.org/ir/41_02/fernandez-morera.pdf, automne 2006.
[3] The New York Times, »Was the Islam Of Old Spain Truly Tolerant?», 27 septembre 2003.
[4] Talinedv.com/2015/09/07/a-syrian-writers-eulogy-for-seville, 7 septembre 2015.
[5] Dépêche spéciale de MEMRI No. 5716, IRGC Qods Force Commander Soleimani: ‘War Is A Grand School For Love, Morals, [And] Loyalty,‘ 20 avril 2014.
[6] Aarchive.indianexpress.com/oldStory/43116/, 17 mars 2004.
[7] Dépêche spéciale de MEMRI No. 5313, Taliban Magazine ‘Azan’ Calls For Jihad To Retake Andalus, 27 mai 2013.
[8] Dépêche spéciale de MEMRI No. 3367, Pakistani Jihadist Weekly Examines the Islamic Status of Kashmir, Says: «Kudos to the Muslims of Kashmir that in Contrast to the Muslim Conquerors, They Never Welcomed Infidels on the Land of Kashmir,» 10 novembre 2010.
[9] Ctc.usma.edu/posts/imagery/0237.
[10] Rapport MEMRI JTTM Al-Qaeda in the Islamic Maghreb Launches «Al-Andalus» Media Productions, Says Jihad Obligatory Until Spain is Restored to the Muslims, 8 octobre 2009.
[11] Dépêche spéciale de MEMRI No. 1543, Islamist Websites Monitor No. 82: The Comprehensive Security Encyclopedia, 13 avril 2007.
[12] Radioandalus24.com/?p=4657, 26 juin 2015.
[13] The Irish Times, »Islamic State schools army of child soldiers in terrorism,» 8 mars 2016.
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