Kurdes et yézidies,
l’alliance des femmes en guerre contre Daesh.
A Rojava, dans le Kurdistan syrien, une zone d’abord occupée par les forces de Bachar el-Assad, puis par Daesh, les femmes kurdes se sont regroupées en Unités de Défense Féminines l’YPJ au sein de l’YPG Unités de protection du peuple, bras armé du PYD Parti de l’Union démocratique que seuls les turcs ont classé comme organisation terroriste.
La commandante Rosa Sela dit que, comme tous les peuples opprimés, les kurdes refusent leur situation et veulent la liberté de leur peuple.
Dans cette guerre, où les kurdes sont pris en étau entre les forces syriennes et Daesh, la femme s’est retrouvée en première ligne à Kobané comme à Rojava.
Les combattants de Daesh ne supportent pas de combattre contre des femmes car pour eux il n’est pas possible et c’est infamant que ces petits bouts de femmes soient au front contre eux.
Ces femmes disent qu’elles ne combattent pas que pour les kurdes, mais aussi pour une Syrie démocratique et toutes les femmes opprimées. C’est leur vision de la liberté.
Sakine Cansiz, une légende du martyr kurde.
Révoltées contre la violence masculine turque comme de Daesh, les femmes combattantes kurdes ont décidé de changer le cours de l’Histoire.
Belles et joyeuses, elles chantent dans les véhicules qui les emportent au combat et crient des slogans qui résonnent bien au-delà de leur terre : « La barbarie tue à Paris comme elle tue à Kobané ».
Une femme incarne ce combat comme une icône, c’est Sakine Canciz, co-fondatrice du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) qui a été assassinée en plein Paris à l’hiver 2013 d’une balle dans la nuque avec deux autres militantes kurdes.
Un assassinat certainement commandité par de hauts responsables turcs, les mêmes qui nous réclament 6 milliards de dollars pour assurer l’accueil des réfugiés !
Sa disparition est commémorée chaque année par des milliers de kurdes venus de toute l’Europe.
Elle prônait l’autonomie du Kurdistan et était à l’origine d’un mouvement de femmes née il y a plus de trente ans et qui bouleverse aujourd’hui le Moyen-Orient.
Elle est inhumée à Dersim au Kurdistan turc, berceau de sa naissance et de son combat.
Dersim a été renommée Tunceli (main de bronze) en 1937 par l’Etat turc après le massacre perpétré à l’encontre des kurdes par l’armée turque à l’initiative de Mustafa Kemal Atatürk.
Les kurdes sont punis à la fois pour la révolte qu’ils ont fomentée et pour la protection que nombre d’entre eux ont apportée aux arméniens lors de leur génocide.
L’Alévisme kurde.
Dersim est un foyer de culture alévie.
L’Alévisme ne reconnaît aucun livre sacré, son livre sacré est considéré comme étant l’être humain lui-même.
La culture alévie est proche de la nature et humaniste.
L’être humain possède une conscience, cette conscience est plus forte que n’importe quelle force, le sens de la vie ne doit pas être enfermé dans la lettre mais doit être découvert dans l’esprit.
Dans l’Alévisme il y a une phrase philosophique très connue : « la voie est une, les chemins 1001. »
La culture alévie a imprégné le mouvement des femmes et sa genèse, car dans la croyance alévie les femmes et les hommes sont égaux et la femme a une place prépondérante.
En outre, à Dersim garçons et filles étaient scolarisés.
Mais, en 1937, vingt ans avant la naissance de Sakine Canciz, les kurdes alévis ont été sauvagement réprimés par Mustafa Kemal Atatürk qui lança une « mission de civilisation » à Dersim.
La population est déplacée, asphyxiée dans des grottes et massacrée.
Pour échapper aux soldats violeurs des femmes se jettent des falaises dans le fleuve Munzur.
Une femme se révolta et mourut les armes à la main, la plupart des hommes furent soumis.
La répression et la résistance.
Aysel Dogan, du mouvement des femmes libres et amie de Sakine Canciz, a passé comme elle de nombreuses années en prison.
Les femmes ont payé un lourd tribut lors la répression contre la lutte ouvrière et étudiante des années 70.
Sakine Canciz est arrêtée juste avant le putsch militaire de 1980 en Turquie qui instaure un nouveau régime qui ne deviendra civil qu’en 1983.
Des milliers de révolutionnaires sont emprisonnés, dont d’innombrables kurdes et une cinquantaine de femmes.
Dans la capitale du Kurdistan turc, Diyarbakir, la prison numéro 5 devient l’un des pires centres de torture au monde.
Sakine Canciz lutte pour que l’honneur de l’humanité reste sauf et organise un réseau de solidarité et de résistance.
A sa sortie de prison en 1990 après 12 années de détention, Sakine Canciz rejoint Leyla Zana, une femme politique kurde, crée l’association des femmes patriotiques et rêve d’une armée de femmes.
En 1991, Leyla Zana est la première femme kurde à être élue au parlement turc.
Elle ose y prononcer quelques mots dans sa langue : « Je fais vœu de promouvoir la fraternité entre kurdes et turcs. »
C’est un affront pour le parterre viril de nationalistes et elle est emprisonnée pour avoir parlé dans sa langue natale, le kurde, au Parlement turc, et pour avoir affiché des convictions politiques en faveur des revendications kurdes.
Sakine Canciz rejoint un camp d’entraînement du PKK qui a pris les armes depuis 10 ans en réponse à la violence exercée contre ses militants.
En 1995 réunies dans une grotte 400 déléguées officialisent la création d’une armée de femmes, c’est la 1ère conférence de l’armée des femmes
Elles proclament : « La libération du Kurdistan passera par l’émancipation de la femme et cela concerne toutes les femmes du monde »
La transmission par les femmes.
Aysel Dogan dit : « Nous étions les filles de nos mères, pas les filles de nos pères qui ont travaillé avec l’état turc et étaient devenus des sentinelles de l’état.
Ils interdisaient à leurs filles et à leurs fils de parler kurde à la maison.
Mustafa Kemal Atatürk était placardé sur les murs.
Une fois qu’on allait à l’école, on ne parlait plus kurde. Nos mères nous parlaient kurde quand nos pères étaient absents. Des hommes et des femmes se sont opposés à cette oppression. »
Il y a des femmes kurdes alévies qui, comme leurs mères, n’ont pas été touchées par la politique d’assimilation de l’état et leur cause rallie de plus en plus de mères et femmes de prisonniers.
En 1999, suite à l’arrestation du président du PKK Abdullah Utchalam, l’armée de femmes quitte la Turquie pour le nord est de l’Irak dans les montagnes du Kandil.
En 2003, il devient le fief des femmes libres et elles y construisent leur village.
Elles affirment que les femmes au moyen orient ont beaucoup de problèmes avec les hommes qui sont très cruels envers elles et, qu’aujourd’hui, elles sont bien plus libres qu’elles.
Des femmes venues de Syrie, d’Irak, d’Iran et d’Europe rejoignent en nombre les femmes libres du Kandil.
Dans le Kandil, elles créent leurs propres institutions idéologiques, culturelles et militaires.
Tout le système est conçu pour que la femme devienne l’avant-garde d’une société écologique et démocratique en approfondissant un travail intellectuel qui fait naître une obligation sur le plan idéologique et politique.
Elles éditent un journal et organise des rencontres internationales.
Sur le plan philosophique la croyance est proche du socialisme égalitaire
Elles ont pour modèles Rosa Luxemburg, Clara Zetkin, Emma Goldman et Germaine Tillion.
Un mouvement de femmes
qui invoque l’âge d’or lointain d’avant le néolithique
quand la femme était encore l’égale de l’homme.
C’est la thèse que défendait l’ethnologue Germaine Tillion, la résistante déportée à Ravensbrück et « panthéonisée » l’an passé.
Elle affirmait qu’avec la « révolution néolithique » au Moyen-Orient et dans tout le bassin méditerranéen, le mâle sédentarisé était devenu dominateur et conquérant, et elle y voyait l’origine de l’endogamie (obligation de contracter mariage au sein de son groupe social) et de la « république des cousins ».
Auparavant, en développant l’exogamie (mariage entre sujets n’appartenant pas au même groupe de parenté) et les alliances matrimoniales entre clans, on assurait la paix, maîtrisait la fécondité et favorisait le brassage des gènes et des idées.
Avec le néolithique, l’exigence vitale s’inverse, et dans les premières sociétés touchées par l’urbanisation et l’agriculture au Moyen-Orient et autour de la Méditerranée, la natalité devient de rigueur, d’où la polygamie et le mariage entre cousins, à la limite de l’inceste.
Les femmes libres kurdes du Kandil
au secours des yézidis.
Les femmes libres kurdes veulent se battre tant qu’il restera des femmes opprimées.
C’est pourquoi, venues du Kandil, elles affrontent désormais un nouvel ennemi : l’Etat islamique.
Les yézidis, attaqués en pleine nuit à l’été 2014 par l’Etat islamique, ont fui Sinjar en Irak et même les autorités kurdes irakiennes les ont abandonné à leur triste sort.
Les unités de femmes libres venues de Kandil, fières de venir libérer les yézidis, ouvrent un corridor pour sécuriser le passage de la population en fuite affamée et assoiffée.
Beaucoup sont morts de soif.
Il ne reste de Sinjar qu’un tas de ruines où Daesh a fait exploser des voitures piégées et des hommes avec des ceintures d’explosifs.
Des centaines, voire des milliers de yézidis sont morts, certains décapités, d’autres en morceaux ont été rongés par les charognards, et tous les autres sont tombés aux mains de Daesh.
Les yézidis ont vécu des choses inimaginables, les femmes ont été violées parfois en une heure par dix hommes, déshonorées, tuées de la manière la plus barbare et jetées dans des fosses communes avec les enfants.
Les femmes yézidies qui ont été violées n’ont plus droit de vie car elles ont été souillées parviennent à fuir et à vivre avec leur famille dans le camp de Newroz en Syrie grâce au corridor établi par les femmes libres kurdes.
Dès le début des massacres les femmes yézidies se sont rendues compte que les hommes ne les protégeaient pas assez, qu’elles devaient apprendre à se défendre elles-mêmes et à lire et à écrire.
Dans le Sinjar, les femmes yézidies restées sur place ont pris les armes contre Daesh, formées par les femmes kurdes du Kandil, et elles ont créé leurs propres unités de défense féminine.
Elles se sont réunies en assemblée et ont rejeté tant l’autorité des hommes que celle du gouvernement kurde d’Irak du président de la province autonome du Kurdistan irakien Massoud Barzani qu’elles accusent de les avoir abandonnées à Daesh.
Depuis la victoire emblématique à Kobané en Syrie, les femmes avancent sur tous les fronts et s’opposent à Daesh.
Des chrétiennes syriaques se révoltent à leur tour.
De jeunes syriaques créent à leur tour des unités combattantes à Rojava en Syrie.
C’est une première pour ces chrétiennes d’orient qui ont toujours été opprimées et ne se sont jamais révoltées, mais le souffle est venu de Syrie et d’Irak.
Tandis que les djihadistes recrutent en Europe des apprentis assassins, le mouvement des femmes libres attire des centaines de femmes du monde entier pour contrer la barbarie.
Au Kandil, une académie de rééducation des hommes fonctionne depuis longtemps pour qu’ils reçoivent une formation.
Neuf mois de cours d’histoire et de politique du point de vue de la femme.
Un homme dit : « On considère la masculinité comme un système de domination, et à ce titre, nous pensons qu’elle doit être analysée et modifiée.
La priorité n’est pas de réfléchir aux relations hommes femmes mais comment l’homme a pu rendre le monde invivable.
Les hommes perdent leur attitude dominatrice envers les femmes et envers le monde. »
Pour les femmes du Rojava l’enjeu est de construire dans le monde réel une société proche des idéaux proches du Kandil.
Une révolution entamée en 2011 quand le régime syrien affaibli par la guerre civile a perdu le contrôle de la région kurde.
Nassrin Abdalla, commandante des unités de défense féminines, dit « Notre révolution est sociale, politique, diplomatique, structurelle et nous mettons tout en œuvre pour construire l’autonomie démocratique. »
Au conseil législatif les combattantes côtoient les civils pour toutes les prises de décision.
Femmes arabes et kurdes siègent aux côtés des chrétiennes syriaques, assyriennes ou assyro chaldéennes.
Au Rojava toutes les institutions sont désormais paritaires, multi confessionnelles et pluri ethniques.
La relève de Sakiné Canciz est assurée.
Moitié réjouissante de l’humanité.
Pascale Davidovicz
Merci pour cet excellent résumé complet. Je me permets de témoigner humblement pour admirer votre grande connaissance de la question kurde, en toute objectivité.
Les Kurdes, marginalisés et opprimés depuis des siècles, manquent cruellement de penseurs et d’intellectuels pour défendre leur cause juste et humaine.
Merci beaucoup pour votre contribution, d’ailleurs exceptionnelles en son genre.
Merci à vous Hevine pour votre commentaire qui m’encourage à continuer mon travail acharné de témoignage pour celles et ceux qui ont peu la parole.
Bien amicales pensées.
Pascale Davidovicz
Pascale Davidovicz , comme Hevine, je trouve vos articles excellents, nécessaire témoignage de cette cause mal relayée . Merci.
Merci à vous Sarah pour votre commentaire et vos encouragements.
Je continue !
Bien amicales pensées.
Pascale Davidovicz
Madame Davidovicz, Merci pour Elles ; et a Elles, Merci pour nous !