« L’Amant » de Harold Pinter à l’Akteon, par Sarah Cattan

Son talent fiévreux et son intelligence corrosive l’ont fait étiqueter comme l’horloger des angoisses contemporaines : Harold Pinter, le dramaturge considéré comme le représentant le plus éminent du théâtre dramatique anglais de la seconde moitié du vingtième siècle, joué dans le monde entier, sera à nouveau à l’affiche du théâtre de l’Aktéon à Paris, les samedis et dimanches du 26 mars au 1er mai 2016 à 18H, avec L’Amant.

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Né le 10 octobre 1930 à Londres, ce fils unique de parents Juifs immigrés et modestes tailleurs a gardé de sa prime jeunesse des images de crise sociale, chômage, montée du nazisme, guerre civile espagnole, et d’une importante campagne antisémite en Grande-Bretagne. En 1940, au déclenchement de la seconde guerre mondiale, sa famille quitte Londres pour échapper aux raids aériens allemands et Harold Pinter confiera plus tard: La condition de bombardé ne m’a jamais quitté.

À leur retour, il a quatorze ans. En 1948, profondément marqué par le génocide, il refuse, pour des raisons de conscience, de faire son service militaire : À mes yeux, l’idée de réarmement était ridicule. J’étais conscient des souffrances et des horreurs de la guerre et je n’allais, sous aucun prétexte, contribuer à son entretien. J’ai dit non. Et je dirais encore non.

LE THEATRE DE L’INSÉCURITÉ

Devenu auteur de pièces de théâtre grinçantes sur la société britannique, le dramaturge a toujours affirmé que l’antisémitisme aura été déterminant dans le choix qu’il fit d’écrire. Dès 1957, il donne The Room, puis The Dumb Waiter, et connaît en 1960 le succès avec The Birthday Party et The Caretaker : sa position en tant que classique moderne est dès lors illustrée par l’adjectif pinteresque, désignant une œuvre dramatique où les nombreux silences sont saupoudrés, understatement oblige, de réflexions à demi-exprimées, une œuvre où planent également fantasmes et obsessions érotiques, haines et jalousies, constitutifs de ce que les critiques appelèrent le théâtre de l’insécurité[1], une inquiétante étrangeté existant sous le quotidien.

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Celui qui fut nommé par deux fois aux Oscars dans la catégorie Meilleur Scénariste reçut le Nobel de Littérature en 2005, l’Académie Suédoise expliquant avoir voulu distinguer l’homme de théâtre qui, dans ses drames, découvre l’abîme sous les bavardages.

D’abord compris comme une variante du théâtre absurde, l’art dramatique de Pinter sera ensuite plus justement caractérisé comme Comedy of Menace, un genre où l’auteur nous laisse écouter le jeu de domination et de soumission qui se cache dans les conversations les plus banales, le drame surgissant, avec un minimum d’intrigue, de la lutte et du cache-cache dans la confrontation verbale. André Durand ira jusqu’à écrire que ses pièces sont intrigantes, alors qu’elles se passent généralement d’une intrigue, et cite, dans Le Comptoir littéraire, Harold Pinter : Shakespeare écrivait dans un monde en expansion, en exubérance, en naissance ; moi, j’écris dans un monde qui finit, qui agonise.

The Lover, L’Amant, pièce à l’humour abrasif créée en 1963 et écrite à l’origine pour la télévision, met en scène Richard et Sarah, couple en apparence heureux en mariage : lui est le typique banlieusard qui quitte sa femme chaque matin pour se rendre en ville et revient la retrouver chaque fin d’après-midi.

« TON AMANT VIENT AUJOURD’HUI ? »

Mais la première ligne du texte détruit toute illusion sur leur respectabilité puisqu’au moment où il s’apprête à partir le matin, Richard, ayant embrassé sa femme sur la joue, lui demande : Ton amant vient, aujourd’hui ? Avec la même désinvolture, Sarah lui confirme qu’en effet, son amant doit venir vers trois heures.

D’emblée le spectateur apprend que certains après-midis, Sarah reçoit Max, son amant, et que Richard le sait et s’en accommode. Qui est cet amant si peu dérangeant et à quels jeux pervertis jouent donc Richard et Sarah ? La réalité́ est simple : je suis un homme marié qui ouvre les portes toutes grandes à l’amant de sa femme, l’après-midi, en tout cas, chaque fois qu’elle le désire, dira Richard.

Ainsi, la franchise étant intégrée au contrat de mariage, Richard et Sarah s’organisent, se parlent, se dévoilent, mais si la sincérité semble être une règle de vie intangible, derrière cette transparence affichée se cache un couple un peu plus trouble qu’il n’y paraît, Harold Pinter se plaisant à transgresser les codes du vaudeville, en faisant planer une menace sous les dialogues, les sous-entendus et les silences retentissants.

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La libération sexuelle étant passée par là, les personnages se livrent à des jeux multiples, changeant continuellement de personnalité et de ton, obligeant le public à s’interroger : qui sont vraiment cet homme et cette femme : un couple posé de la classe moyenne qui cherche seulement à rendre la vie toujours plus surprenante? Un couple d’amants se permettant de vivre le fantasme du couple marié? Une prostituée et son client particulièrement imaginatifs ?

D’autant que… Lorsque l’amant se présente, il est en fait le mari…

Vous aviez cru être dans du vaudeville et vous vous ravisez, embarqué dans une réflexion sur le couple, la routine et l’usure du sentiment amoureux, et face à un Mari, une Femme et un Amant d’un suprême cynisme : s’agit-il de jeux de rôles pour pimenter une existence aux prises avec la réalité cruelle d’une vie à deux ? D’un Jeu sexuel?

Oui d’apparence, vous étiez face à une pièce de boulevard un zeste libertine. Mais surgissent des répliques surprenantes dévoilant rapidement la sauvagerie bien cachée des personnages, Harold Pinter se plaisant à faire tomber les masques de civilité que nous employons tous à foison.

Tout l’enjeu de ces joutes entre gens comme il faut, mais dont la violence est à fleur de peau, est peut-être de savoir qui sera le maître et qui sera le valet (en anglais : the servant), sauf qu’il ne s’agit pas d’asservissement social, mais sexuel, et que les personnages semblent tous mus par une même obsession : essayer de prendre autorité sur l’autre, le torturer, l’humilier, les relations humaines chez Pinter reflétant presque toujours une volonté de puissance sous-jacente.

La pièce alors joue sur nos nerfs, grâce aux silences qui en disent long, révélant la sauvagerie bien cachée des personnages.

Rendez-vous donc à partir du 26 mars au Théâtre de l’Aktéon à Paris pour découvrir L’Amant, Aïda Hamri et Jules Lecointe étant mis en scène par Cathy Guillemin : Vous serez réjouis par la subtilité, l’élégance et la modernité rares de l’écriture de Pinter, et saurez qui est qui !

Sarah Cattan

[1] L’Express, 26 décembre 2008, à l’occasion de la mort d’Harold Pinter.

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1 Comment

  1. Je suis allée voir la piece. Jeu formidable des acteurs Aïda Hamri et Jules Lecointe portés par la mise en scène de Cathy Guillemin. Surfant sur un texte d’une extrême subtilité , les deux acteurs nous entraînent dans ce triangle mari epouse amant: suspense au rendez-vous, réflexion , est-ce ainsi que le couple réussit. Harold Pinter brillantissime.
    Nous sommes loin du marivaudage mais devant un spectacle pétillant et profond: allez-le voir, et parlez-en autour de vous si vous êtes séduits comme moi.

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