Bruno Le Maire entre en campagne pour la primaire LR et Manuel Valls continue de surcommuniquer sur le projet El-Khomri. Les deux ont en commun de passer pour de bons communicants alors qu’ils sont déjà dépassés…Manuel Valls et Bruno Le Maire sont souvent présentés comme des modernes en communication politique. Mais le sont-ils en vérité? Si, politiquement, tout les oppose, médiatiquement, tout les rassemble. C’est cette identification générationnelle, que traduit une appréhension similaire de la communication politique, qui nous amène aujourd’hui à les assimiler, et ce d’autant plus qu’ils sont les vedettes de ce début de semaine. Le premier parce qu’il continue de défendre son projet de loi El-Khomri de révision du Code du travail, le second parce qu’il se lance de manière définitive, à Vesoul, dans la campagne présidentielle en actant sa candidature à la Primaire Les Républicains.
Sur RTL, Manuel Valls a continué de se poser en rupture avec le socialisme, en tout cas celui d’Epinay. « J’irai jusqu’au bout » a martelé le Premier ministre, ajoutant au passage, interrogé qu’il était sur le recours au 49-3, qu’il ne fallait pas « préjuger de l’intelligence collective des députés ». Ce qui signifie, en creux, que ces mêmes députés seraient peu intelligents s’ils contraignaient le gouvernement au 49-3, ce qui peut apparaitre comme une manière de les amener à obliger le gouvernement au 49-3. Bref, de façon objective, Manuel Valls continue d’appliquer une stratégie politique qui ne recoupe pas celle de François Hollande, et cela se voit de plus en plus.
Des ficelles trop grosses
Bruno Le Maire a voulu voir Vesoul. C’est chose faite. Il y est ce mardi en majesté, donnant le coup d’envoi de la campagne « Troisième homme » de la Primaire LR.
Manuel Valls et Bruno Le Maire sont comme des jumeaux de la communication politique : ils font dans le cosmétique. Les ficelles qui agitent l’héroïque marionnette se voient. Et c’est bien cela le sujet : c’est qu’on ne voit qu’elles et à l’ère du décryptage et de la transparence, c’est un problème.
Prenons Manuel Valls par exemple. Sur France Info, Jean-Luc Mélenchon s’est amusé à décrypter la stratégie politique du Premier ministre. Mélenchon, roi de la déconstruction politique et médiatique, l’a ainsi campé en Iznogoud, bien décidé à devenir Hollande à la place de Hollande. Mélenchon a brisé l’interdit d’antan, qui dit tout haut ce qui était réservé jusque-là au cercle des initiés. Et s’adressant à un imaginaire collectif qui pense que la politique c’est magouilles et trahisons, son décryptage n’en est que plus dévastateur.
Idem pour Bruno Le Maire. Déjà l’on avait appris qu’il prenait des cours de théâtre avec un coach, pour travailler son charisme. Et son entrée en campagne est traitée à l’aune du plan com’ qu’il va déployer dans les jours qui viennent. Un plan d’une originalité confondante: un livre, une déclaration, des passages télé au 20h, BFMTV et au Grand journal de Canal Plus (ce qui est déjà un choix qui acte d’une communication datée, car le Grand journal est lui-même un produit mort en ce qu’il n’est plus prescripteur). En clair, Le Maire fait aussi dans le cosmétique, qui tente de se fabriquer une stature présidentielle en recourant à une communication vue, revue et jamais corrigée.
Des Français qui ne sont plus dupes
Or, nous changeons d’époque. Nous entrons dans un temps où il n’est plus possible de limiter le champ de la communication politique, essence du politique, à la cosmétique. Pourquoi? Parce qu’aujourd’hui les Français sont devenus des experts en communication politique. Ils voient tout. Savent tout. Parce qu’on leur décrypte tout. De plus en plus, il leur est dit ce que l’on ne leur disait pas auparavant (cf Mélenchon-Valls). La phénoménologie de la communication politique est partagée comme jamais elle ne l’a été. La révolution numérique a servi, aussi, à cela.
Signe des temps, le succès d’estime de la série Baron noir porte la marque de cette mutation. Le feuilleton montre ce qu’il en est de la réalité politique, auscultée au plus près des ambitions humaines. Les coups tordus entre socialistes. Les alliances d’un jour défaites le lendemain. Les postures démenties par les actes. Les mensonges. Les manipulations d’âmes fragiles. Le tout souvent au service du bien commun, paradoxe du politique. Jamais une fiction télévisée n’était allée aussi loin.
Quand on pense qu’il y a deux ans à peine, France 2 livrait, avec Les Hommes de l’ombre, une fiction politique paresseuse en mode Derrick, mettant en scène un pays imaginaire, avec des politiques sans identité définie, on mesure le chemin parcouru. Baron noir met en scène des socialistes et des Républicains, en France, en 2015. La série de Canal Plus est importante, malgré ses imperfections notables, parce qu’elle acte que désormais le décryptage du fonctionnement vrai de la politique est permanent. Y compris dans et par la fiction.
Décryptage permanent
Signe des temps encore, voici que France 2 annonce que désormais dans le magazine 13h15 du samedi, des comédiens joueront, dans des scènes reconstituées, les rôles des politiques impliqués dans la campagne présidentielle. Objectif: donner corps à cette partie de la politique inaccessible aux regards profanes. Baron Noir pour de vrai. L’information fictionnée au service du décryptage qui dit le vrai, nous y sommes.
Ce mouvement en phase d’accélération va dominer la campagne présidentielle qui s’ouvre en vue de 2017. Ce sera la campagne du décryptage permanent. Autrement dit, gare à celui qui produira un visible entrant en contradiction avec le lisible.
C’est que l’électeur aussi a changé. C’est désormais un « SPF », un sans parti fixe. L’électeur moderne est un sentimental, volatile, volage, en recherche d’authenticité et de vérité. C’est un phénomène que décrit fort bien la sociologue du CEVIPOF Anne Muxel : « Largement autonome, l’individu est aujourd’hui plus enclin à suivre ses affects, ses émotions, ses sentiments. Et à se libérer des carcans qui autrefois l’enfermaient et le poussaient à demeurer toute sa vie du même bord politique, à voter toujours pour le même parti. Les individus sont aujourd’hui moins rigides, plus ouverts, plus sensibles. Nous vivons dans une démocratie du sensible qui influe non seulement sur le rapport des individus à la politique mais aussi, du côté des élus, sur la manière de gouverner. Sans oublier les médias qui jouent à fond de la mise en scène des affects et des émotions. »
Tout se recoupe, l’électeur sentimental, « ce citoyen d’aujourd’hui à la fois plus autonome et plus incertain, changeant et réversible » sera de plus en quête de vérité et d’authenticité. Puisque les médias, tous les médias, vont mettre en scène les affects et les émotions, la communication politique devra nécessairement s’y adapter. La mutation s’annonce compliquée, d’autant plus que selon Anne Muxel, il existe « à la fois une demande d’horizontalité, d’aplatissement des hiérarchies, une critique de l’empilement des médiations qui organisent traditionnellement la vie politique et en même temps une attente de verticalité, d’autorité, d’un chef. » Appliquée à la communication politique, cette demande exige authenticité, donc vérité, le tout dans l’univers du décryptage permanent.
Une communication dépassée
Manuel Valls et Bruno Le Maire sont révélateurs de ces politiques qui sont en train de passer à côté de cette mutation.
Le premier, parce que le lisible nuit au visible. Derrière le Premier ministre inflexible se voit de plus en plus un Baron noir qui parait de moins en moins enclin à faciliter la vie de son président.
Le second, parce que sa méta-communication, « Je prends des cours avec un acteur de théâtre pour avoir l’air plus charismatique », est de nature à nourrir le sentiment qu’il n’est pas dans la recherche d’une authenticité, mais d’un artifice supposé le rendre charismatique.
Confrontée à l’électeur du sentiment, soumis à décryptage permanent, expert en politique, en quête de verticalité authentique et d’horizontalité vraie, la communication politique du cosmétique, telle que la pratiquent Valls et Le Maire, est appelée à mourir. Ou plutôt, ce sont ceux qui continueront à en user qui mourront, à l’image d’un Jean-François Copé dont le retour en politique, ces dernières semaines, porteur d’une contradiction entre le visible (« Je suis devenu modeste et simple ») et le lisible (« J’envahis les écrans avec mes éléments de langage cosmétique ») a été décrypté jour après jour, tant au Petit journal qu’à On n’est pas couché, pour son plus grand malheur. Peut-il être vrai et authentique ce Copé qui dit qu’il ne veut plus envahir les écrans sur tous les écrans possibles et inimaginables?
Au-delà des cas Valls et Le Maire, 2017 couronnera celui qui aura refusé la com’ pol’ du cosmétique, celle du temps court, au profit de la communication du temps long, qui construit le héros dans la durée, ce Héros au mille visages de Joseph Campbell, qui « s’aventure à quitter le monde du quotidien pour un territoire aux prodiges surnaturels, y rencontre des forces fabuleuses et y remporte une victoire décisive. Le héros revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à ses proches ». En clair : le président de la Ve République.
Bruno Roger-Petit
challenges.fr
Très bonne analyse, mais également effrayante: La clé de la démonstration repose sur un l’émergence d’un électeur « enclin à suivre ses affects, ses émotions, ses sentiments ».
Un constat définitif de la mort de la raison.