“On vivait dans l’espoir d’un débarquement mais dans la peur d’être arrêté, d’être dénoncé. Cette peur, je l’ai encore”, témoigne Marise Crémieux-Hurstel, 90 ans, qui léguait mardi à Toulouse au Mémorial de la Shoah les carnets de son “Journal d’une adolescente juive sous l’Occupation” en France. Ces carnets iront rejoindre 40 millions de documents et témoignages conservés au mémorial.
Publié pour la première fois il y a quelques mois par les éditions Privat, ce journal écrit secrètement à partir de 1943 retrace la vie quotidienne de la famille Crémieux : Marise aux côtés de sa mère, sa grand-mère et sa soeur tandis que son père avait été arrêté et un frère était parti en Algérie faire la résistance.
Dans les locaux du Conseil départemental de Haute-Garonne, le directeur du mémorial de la Shoah Jacques Fredj et l’avocat et historien Serge Klarsfeld ont reçu des mains de Marise Crémieux-Hurstel les sept carnets de son journal, conservés pendant près de 70 ans ; ils sont en très bon état malgré le papier jauni. “Je suis vraiment sidérée, a confié Mme Crémieux-Hurstel. Ce témoignage, c’est important, je le réalise maintenant”. Pour Serge Klarsfeld, “on peut reconstruire la shoah par la qualité des témoignages” et, a-t-il souligné : “chaque témoignage apporte quelque chose et leshistoriens travaillent avec les témoignages et avec les documents”.
Ces carnets iront rejoindre 40 millions de documents et témoignages conservés au mémorial, précise Jacques Fredj : “Ce sont nos seules armes à opposer à ceux qui dans 50 ans, 100 ans, tenteront de malmener notre histoire”.
En fuite Marise n’a eu qu’un seul confident : son journal, une première fois détruit par Georgette sa gouvernante craignant qu’il ne fut découvert et ne les trahisse. Mais l’adolescente l’avait réécrit et le gardait constamment sur elle. Marise s’appelait désormais “Camus” et non plus “Crémieux” et elle ne pouvait, s’est-elle souvenue, “jamais dire” à quiconque qui ils étaient. “Ah, on ment très facilement avec une facilité extraordinaire”, s’est-elle exclamée. Elle avait vu l’arrestation des “meilleurs amis de mon père, autour de moi quatre familles différentes”. “Georgette ne nous a jamais quittés parce que maman, c’était un amour, mais c’était la gaffe permanente”, a raconté Mme Crémieux-Hurstel. La gouvernante, citée au Mémorial de la Shoah, est devenue Juste parmi les Nations.
A la fin de la guerre, les Crémieux espéraient le retour du père. “Il avait été arrêté, il était en Pologne, ça on le savait”, dit Marise. “On en a fait des démarches. On en a vu des cartomanciennes avec maman et toutes nous disaient d’attendre deux semaines, trois semaines… les salopes….On a donné de l’argent, on y croyait, on se raccrochait, voilà”, s’est-elle énervée. Longtemps après, “on a su qu’il était mort à Sobibor”, camp d’extermination allemand situé à la frontière polono-ukrainienne, a-t-elle poursuivi.Nicole Zimermann, journaliste et auteure toujours en train de questionner sa belle-mère a été la première à lire son journal. C’est elle qui a eu l’idée de le publier, après en avoir fait une copie à chacun des descendants de Mme Crémieux-Hurstel pour qu’enfin chacun connaisse ce témoignage. “Maman ne s’en est jamais sortie et son mari qui a eu une histoire similaire, non plus”, a confié Jean-François Hurstel, fils de Marise et époux de Nicole. “Pendant longtemps, ils se sont soignés par le silence. Ils étaient même honteux”.
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