Les souffrances psychiques endurées dans l’enfance augmentent le risque de survenue de certaines maladies mentales. Cet enchaînement tragique n’a pas épargné les survivants de la Shoah, qui ont été plus nombreux à souffrir de schizophrénie que ceux qui ont émigrés avant la Seconde Guerre mondiale. Dans une étude publiée dans Psychological Medicine, des chercheurs de l’université d’Haïfa (Israël) mesurent les séquelles psychiatriques de l’exposition au génocide juif.
«Leurs résultats apportent un élément nouveau à l’histoire de la Shoah, en soulignant ses conséquences médicales à long terme, commente le psychiatre Guillaume Fond (Henri Mondor, Créteil), spécialiste des facteurs de risque de la schizophrénie. Ils nous alertent sur l’importance du suivi médical des populations exposées à un traumatisme de masse.»
Les auteurs se sont intéressés à un groupe de 114.000 Juifs nés entre 1928 et 1945 dans les pays européens où s’est déroulée la Shoah et qui ont émigré en Israël. En examinant le registre des malades psychiatriques tenu par l’État hébreu depuis 1950, ils se sont aperçus que le risque de schizophrénie était supérieur de 27 % chez les personnes restées en Europe après le début des persécutions nazies, par rapport à celles ayant émigré avant. Cette vulnérabilité était encore plus forte chez les sujets exposés à la fois in utero et après la naissance aux horreurs de la Shoah, avec une augmentation du risque de 41 % dans ce groupe.
«Une controverse scientifique ancienne est en passe d’être tranchée, remarque le Pr Stephen Levine, auteur principal de l’étude. Selon certains chercheurs, les personnes ayant survécu à la Shoah sont plus fortes et en meilleure santé que la moyenne, et seraient donc moins à risque de souffrir de schizophrénie. D’autres pensent au contraire que l’exposition à un traumatisme durable les a fragilisés, et c’est cette hypothèse qui est confirmée par l’étude.»
Des facteurs de risque de schizophrénie liés à l’environnement identifiés
Plusieurs facteurs de risque de schizophrénie liés à l’environnement ont été identifiés. Le stress, certaines infections, la consommation de cannabis, la vie en ville et les migrations pourraient ainsi jouer un rôle dans le déclenchement de la maladie chez des sujets génétiquement prédisposés. Mais leur mécanisme d’action reste en partie mystérieux. «S’agissant des survivants de la Shoah, ils ont été exposés à un traumatisme psychique majeur, mais aussi à un stress physiologique engendré par les privations alimentaires et de sommeil», rappelle le Dr Fond. L’augmentation observée par les chercheurs israéliens reste toutefois modérée, nuance le psychiatre.
L’étude montre que l’impact du traumatisme est plus fort chez les personnes exposées dans le ventre de leur mère puis après leur naissance – soit à un moment clé de la formation du cerveau humain. «Les perturbations biologiques (hormone du stress, par exemple) affectant la mère passent dans le placenta. On pense aujourd’hui qu’elles peuvent activer ou inhiber l’expression de certains gènes impliqués dans l’apparition de la schizophrénie», décrypte encore Guillaume Fond, évoquant l’«empreinte biologique» ainsi laissée chez certains de ces enfants exposés très tôt, et pendant plusieurs années, aux horreurs du génocide.
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