Thomas Piketty : « Le choc Sanders »

Comment interpréter l’incroyable succès du « socialiste » Bernie Sanders aux primaires américaines ? Le sénateur du Vermont devance désormais Hillary Clinton parmi l’ensemble des sympathisants démocrates de moins de 50 ans, et seuls les seniors permettent à Hillary de maintenir l’avantage. Face à la machine Clinton et au conservatisme des grands médias, Bernie ne gagnera peut-être pas la primaire. Mais la preuve est faite qu’un autre Sanders, sans doute plus jeune et moins blanc, pourrait un jour prochain gagner la présidentielle américaine et changer le visage du pays. Par bien des aspects, on assiste à la fin du cycle politico-idéologique ouvert par la victoire de Ronald Reagan aux élections de novembre 1980.

Bernie Sanders à Concord dans le New Hampshire le 9 février 2016. | DARCY PADILLA/ VU POUR "LE MONDE"
Bernie Sanders à Concord dans le New Hampshire le 9 février 2016. | DARCY PADILLA/ VU POUR « LE MONDE »

Revenons en arrière. Des années 1930 aux années 1970, les Etats-Unis mènent une ambitieuse politique de réduction des inégalités. En partie pour ne pas ressembler au Vieux Continent, alors perçu comme hyper-inégalitaire et contraire à l’esprit démocratique américain, le pays invente dans l’entre-deux-guerres l’impôt fortement progressif sur les revenus et les successions, et met en place des niveaux de progressivité fiscale jamais utilisés de notre côté de l’Atlantique.

De 1930 à 1980, pendant un demi-siècle, le taux applicable aux revenus américains les plus élevés (supérieurs à 1 million de dollars par an) est en moyenne de 82  %, avec des pointes à 91  % des années 1940 aux années 1960, de Roosevelt à Kennedy, et toujours 70  % lors de l’élection de Reagan en 1980.

Cette politique n’affecte en rien la vigoureuse croissance américaine de l’après-guerre, sans doute parce que cela ne sert pas à grand-chose de payer des super-managers 10 millions de dollars plutôt que 1. L’impôt successoral, tout aussi progressif, avec des taux applicables aux plus grandes fortunes de l’ordre de 70 % à 80 % pendant des décennies – alors que ce taux n’a presque jamais dépassé 30 %-40 % en Allemagne ou en France –, réduit fortement la concentration des patrimoines américains, sans les guerres et les destructions européennes.

Capitalisme mythique

Les Etats-Unis mettent également en place dès les années 1930 un salaire minimum fédéral, bien avant les pays européens, et dont le niveau (exprimé en dollars de 2016) dépasse à la fin des années 1960 les 10 dollars par heure, de loin le plus élevé de l’époque. Tout cela sans chômage, ou presque, car le niveau de productivité et du système éducatif le permet. C’est également le moment où les Etats-Unis mettent enfin un terme aux discriminations raciales légales toujours en place dans le sud du pays, fort peu démocratiques, et lancent de nouvelles politiques sociales.

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