C’était un front quasi figé depuis plus de trois ans. Cette semaine, la bataille pour le contrôle de la région d’Alep vient de connaître une brutale accélération. Mercredi, l’armée syrienne, avec l’aide capitale des combattants du Hezbollah libanais, de milices irakiennes et afghanes, de soldats iraniens mais surtout de l’aviation russe, est parvenue à briser le siège de deux villages chiites clés, Nubul et Zahraa.
La ville même d’Alep, symbole de l’opposition à Bachar El-Assad depuis le soulèvement de 2012, est aujourd’hui menacée d’encerclement par le régime. « Jamais depuis 2011 l’Armée syrienne libre [ASL] ne s’est trouvée dans une telle situation, reconnaît Jamal Jneid, membre du Conseil du gouvernorat d’Alep libre. Aujourd’hui, son existence est menacée dans la région. » Il suffit de jeter un œil sur une carte. La principale route d’approvisionnement reliant Alep à la Turquie échappe désormais à l’opposition. Autre conséquence pour l’ASL et les brigades islamistes alliées, dont Ahrar Al-Cham : leurs troupes sont désormais coupées en deux.
Conséquence humanitaire immédiate, les villages de la campagne d’Alep se vident, des milliers de civils fuient par peur des bombardements russes et des représailles des miliciens pro-Bachar. Entre 30.000 et 35.000 personnes auraient rejoint les environs de la ville syrienne d’Azaz, proche de la Turquie. « Le problème est que les camps de réfugiés sont déjà pleins », affirme François Destenabes, responsable adjoint aux opérations en Syrie à Médecins sans frontières (MSF). Plus au nord, à Bab Al-Salamah, 20.000 autres déplacés sont aussi bloqués, attendant l’ouverture de la frontière turque. Samedi soir, elle était toujours fermée.
Un sentiment de panique chez les rebelles
La coalition russo-irano-syrienne a donc remporté une manche décisive cette semaine. Mais à quel prix! « Les Russes appliquent la stratégie de Grozny, qui consiste à bombarder intensément tous les quartiers, y compris les zones civiles, pour faire fuir les habitants et assiéger les combattants », explique au JDD Joshua Landis, directeur du Centre d’études du Moyen-Orient de l’université d’Oklahoma. Les hôpitaux sont également la cible des chasseurs et bombardiers russes.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), raids et combats auraient fait depuis lundi 435 morts, dont 71 civils. « Ces trois derniers jours ont été les pires qu’ait connus la rébellion », témoignait, vendredi soir depuis Alep, Abou Yazane, activiste de 30 ans. Joshua Landis complète : « La puissance de feu des Russes a créé un sentiment de panique chez la plupart des groupes rebelles. Des centaines de combattants ont déjà quitté leurs positions dans les quartiers nord et est d’Alep et autour de la ville. »
Le combat est effectivement inégal. Les rebelles ne disposent pas de missiles sol-air. Les Américains refusent qu’il leur en soit livré, de peur qu’ils ne tombent entre les mains des djihadistes de l’État islamique ou du Front Al-Nosra. Il semble aussi que les missiles antichars Tow, qui avaient décimé les tanks de Bachar El-Assad en octobre et novembre, manquent désormais.
La situation humanitaire
pourrait virer au drame à Alep
Si le régime parvient à pousser son avantage plus au sud, les quartiers anti-Assad d’Alep pourraient se retrouver assiégés. Y vivraient encore 150.000 à 200.000 personnes. « Beaucoup cherchent aujourd’hui à fuir! », assure Jamal Jneid. Mais désormais, seule une route, dite de Castello, permet de sortir de la ville par l’ouest pour rejoindre la frontière turque ou la région d’Idlib : « Cette route est très dangereuse, elle traverse des zones de combat et est constamment bombardée », explique le journaliste Alaa Aljaber, aujourd’hui réfugié en Turquie. « Le Front Al-Nosra est arrivé dans ce secteur au nord-est d’Alep, affirmait samedi Jamal Jneid. Ils creusent des tranchées pour sécuriser la voie. Mais le régime veut s’en emparer. »
En cas de siège, la situation humanitaire pourrait virer au drame à Alep. « Les soldats d’Assad ne se battront pas dans les rues que nous contrôlons, anticipe Abou Azane. Cela leur prendrait trop de temps et leur coûterait beaucoup d’hommes. Ils vont plutôt chercher à nous affamer, comme ils ont fait à Homs ou à Madaya. » Pour l’heure, la ville semble disposer de suffisamment de nourriture et de médicaments. Mais l’activiste s’inquiète pour le fioul et l’essence, déjà rationnés.
Assèchement de l’aide turque
L’offensive du régime pourrait aussi modifier les équilibres au sein de la rébellion présente dans la deuxième ville syrienne. « Les combattants modérés étaient parvenus à éloigner le Front Al-Nosra, analyse Joshua Landis. Mais ces derniers jours, ils ont abandonné plusieurs positions qui ont été reprises par la franchise syrienne d’Al-Qaida. Le régime veut éliminer les forces modérées pour se retrouver face aux djihadistes. Il sera ensuite plus facile pour lui de rallier l’opinion internationale à sa cause. » Damas a bien l’intention d’affaiblir suffisamment cette rébellion modérée pour arriver en position de force aux discussions de paix, qui devraient reprendre à Genève le 25 février.
Dans les rangs de cette opposition, certains accusent les pays amis – Turquie, Qatar, Arabie saoudite – de les avoir lâchés. « Comme par hasard, juste avant que le premier round de négociations ne commence à Genève, fin janvier, nous n’avons plus rien reçu venant de Turquie », s’indigne Abou Azane. Selon le politologue libanais Ziad Majed, cet assèchement de l’aide turque remonte en fait à plusieurs semaines : « Si la Turquie a cessé de fournir des armes, c’est parce que les Américains le lui ont demandé. Washington a peut-être voulu privilégier un camp pour qu’enfin les négociations avancent. » Dans tous les cas, l’opposition peut se sentir trahie et abandonnée à son sort. Pourtant, Abou Azane, l’activiste, n’envisage pas une seconde de quitter Alep. « Trop de sang a été versé ici pour que nous partions maintenant! Notre combat est juste. Nous demandons simplement la liberté et que ce régime criminel soit jugé par un tribunal. Pas plus. »
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