On n’a pas parlé du petit-fils de Martine

Le 14 décembre,un attentat à la voiture bélier a touché un petit garçon de 14 mois . Les sites pro- israéliens en ont beaucoup parlé, pas la Presse française.

Martine était à Paris, dans la jolie petite boutique où elle vend de la lingerie depuis 25 ans. Elle a eu soudain envie d’appeler son fils et sa belle-fille en Israël, parce qu’elle aime bien « les avoir plusieurs fois par semaine ». Son fils, qui a vécu à Paris jusqu’à ses 19 ans, est allé s’installer en Israël il y a six ans et demi.

Ce matin-là, sa belle-fille a répondu tout de suite à son portable. Elle lui a dit de rappeler plus tard, avec une voix qu’elle n’a pas reconnue. Martine s’est demandée quelle mouche l’avait piquée. Le soir, quand elle a rappelé, c’était en sortant du métro à République, elle se souvient d’un enchaînement bizarre de phrases :

« Martine, il y a eu un attentat. On y était, mais tout va bien. Mais Martine, il va falloir être forte. Yotam va être amputé. »

Yotam est le petit-fils de 14 mois de Martine. Un bébé, « content tout le temps », qui lui a attrapé le cœur. Quinqua divorcée et dynamique, elle n’était pourtant pas certaine de vouloir déjà devenir grand-mère.

Martine dans sa boutique, le 22 janvier 2016 - Audrey Cerdan
Martine dans sa boutique, le 22 janvier 2016 – Audrey Cerdan

Martine se souvient qu’elle a fondu en larmes dans la rue. Elle a eu sa sœur et sa meilleure amie au téléphone. En rentrant chez elle, elle a mis trois culottes et trois t-shirts dans une valise et elle s’est « enfilée » un Xanax. Le lendemain, elle a pris le premier vol pour l’aéroport de Tel-Aviv.

Ce 14 décembre, Yotam a été victime d’un attentat à la voiture-bélier. Un terroriste a foncé sur un abri bus de Jérusalem. Le petit garçon a été amputé d’un pied et il est encore hospitalisé en cette fin janvier. Ce qui est arrivé à Yotam a ému les Israéliens.

« Là-bas, c’est Patrick Bruel. Il a reçu l’équivalent d’un magasin de jouets. Des hauts placés lui ont rendu visite. Je me souviens d’une famille très orthodoxe de six enfants, qu’on ne connaissait pas, qui est venue le voir alors qu’il était encore en soins intensifs. J’ai dit non en essayant de ne pas les vexer, ils venaient de loin. »

En France, sur les réseaux sociaux, la communauté juive a aussi communié. En partageant des articles de sites militants pro-israéliens comme Europe-Israël et la cagnotte Leetchi lancée par un ami de Martine – 1200 participants, près de 300 messages de soutien. Ce jour là, sur les réseaux sociaux, Yotam, ses yeux très bleus et sa tétine verte, étaient très présents.

Le sujet qui met mal à l’aise

Le lendemain, il n’y avait rien dans la presse nationale française. La dépêche AFP du 14 décembre, reprise par quelques sites, est succincte. Extrait :

« Un bébé âgé d’un peu plus d’un an a été gravement blessé à la jambe et a été transporté à l’hôpital Hadassah où il doit être opéré, a indiqué une porte-parole de l’établissement. Onze autres personnes ont été légèrement blessés, deux plus sérieusement. L’agresseur avait une hache dans sa voiture, a dit la police. »

Capture d’écran d’une page Facebook de soutien à Yotam

 

Depuis le début de ce que les médias appellent « l’intifada des couteaux », la presse française, y compris Rue89, ne raconte pas qui sont les victimes franco-israélienne du terrorisme palestinien (contrairement aux victimes des attentats de Paris ou Ouagadougou – même si, c’est vrai, on s’étend évidemment plus sur les morts que sur les blessés).

Pour s’informer, les juifs de France se tournent vers la télé israélienne i24 ou des sites communautaires, souvent militants et parfois radicaux.

J’ai contacté plusieurs journalistes français, correspondants en Israël, pour discuter de ce choix éditorial. La réception a été froide, personne n’a voulu témoigner. On m’a plusieurs fois répondu :

« Il y a des victimes tous les jours, surtout côté Palestiniens, pourquoi s’intéresser spécialement à Yotam ? »

Et moins souvent :

« L’aspect humain du coté israélien n’est pas traité. Quoi qu’on pense du conflit, on devrait le faire, mais ce n’est pas jugé prioritaire. »

« Dimension affective forte »

Jérôme Bourdon, historien et sociologue des médias, est professeur à l’université de Tel-Aviv. Il a écrit « Le récit impossible », un livre qui étudie la complexité du traitement médiatique du conflit israélo-palestinien. Il parle d’une « coupure » entre une grande partie du monde juif et la presse nationale française.

« Les gens sont blessés que les médias français ne racontent pas leur histoire. Et beaucoup de lecteurs juifs ont le sentiment qu’ils critiquent systématiquement et injustement Israël. »

Parmi les choses vécues comme insupportables, Jérôme Bourdon donne l’exemple des médias qui « privilégient la souffrance ou la victime palestinienne », depuis le début de la vague d’attentats au couteau.

Pour quelqu’un qui n’est pas sensible à ces questions, c’est très abstrait, mais dans les faits, les titres de presse sont souvent construits ainsi : « Un Palestinien abattu après une attaque au couteau ». Sans que le lien de causalité (le Palestinien a été abattu parce qu’il attaquait au couteau) ne soit évident. C’est en lisant le chapeau qu’on le comprend.

Extrait d’un article de Nolwenn Le Blevennec publie par L’OBS Rue 89

http://rue89.nouvelobs.com/2016/01/24/attentat-a-jerusalem-na-parle-petit-fils-martine-262902

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3 Comments

  1. En attendant des jours meilleurs, les Juifs aujourd’hui, tant en Israël qu’en France et ailleurs, se doivent de résister face à l’indifférence ou à la tiédeur de leur entourage.
    « Ein bréra », disait-on en Israël face au rejet arabe de la partition de la Palestine mandataire le 15 mai 1948.
    Ein bréra : on n’a pas le choix.

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