« Le Rapport Karski » ou l’entretien avec le résistant polonais exhumé en 2010 par Claude Lanzmann.
Le Rapport Karski, que Claude Lanzmann réalise en 2010, n’est pas un prolongement de Shoah (1985). Même s’il a été réalisé à partir de l’entretien que Jan Karski, un messager de la Résistance polonaise, avait accordé à Lanzmann lors du tournage de son chef-d’œuvre, son propos est différent. C’est à la fois une contribution historique à la question de savoir quelle était la priorité des Etats-Unis – gagner la guerre contre l’Allemagne nazie ou mettre fin à l’extermination des juifs – et une manière d’expliciter la phrase de Raymond Aron, qui figure en introduction du film : « Je l’ai su, mais je ne l’ai pas cru. Et, parce que je ne l’ai pas cru, je ne l’ai pas su. »
Dans la seconde époque de Shoah, Jan Karski fait le récit de ce qu’il a vu lors de sa visite du ghetto de Varsovie, en 1942. A la fin de ce témoignage capital, il ajoute simplement : « J’ai fait mon rapport ; j’ai dit ce que j’avais vu ! » Dans Le Rapport Karski, c’est la suite de ce récit, inédite à ce jour, que propose Lanzmann.
« Une falsification de l’Histoire »
Pour l’essentiel, Karski y relate ses rencontres, en 1943, avec le président Franklin D. Roosevelt et le juge à la Cour suprême des Etats-Unis Felix Frankfurter. En voyant ce film, on comprend pourquoi, d’un point de vue cinématographique, Claude Lanzmann n’avait pas souhaité intégrer cette partie du témoignage dans Shoah. Filmé le lendemain du jour où il raconte ce qu’il a vu à Varsovie, c’est un autre Karski que l’on découvre, grandiloquent et qui cherche à ménager ses effets. Rien à voir avec l’inoubliable Karski de Shoah, au bord du gouffre tout au long de son récit, habité par la nécessité de transmettre son « témoignage pour l’Histoire ».
C’est parce que Lanzmann est en radical désaccord avec le contenu de Jan Karski, un roman de Yannick Haenel consacré à la figure du résistant polonais (Gallimard, septembre 2009) et couronné deux mois plus tard par le prix Interallié, qu’il a éprouvé la nécessité « impérieuse », dit-il, de restituer ce qu’il appelle « la vérité ». « Ce livre est une falsification de l’Histoire et de ses protagonistes », avait écrit le cinéaste, dans un article de six pages publié en janvier 2010 dans l’hebdomadaire Marianne.
Film « contraint », qui aurait pu ne jamais exister,
« Le Rapport Karski » est néanmoins
un document important
Film « contraint », qui aurait pu ne jamais exister, Le Rapport Karski est néanmoins un document important. Ce que rapporte Karski, personne d’autre que lui ne pouvait le dire. Personne ne s’est jamais trouvé en pareille situation. « Je ne vous crois pas, lui répondit Felix Frankfurter, après son rapport. Je ne dis pas que vous mentez, mais je ne vous crois pas. Je suis un juge des hommes. Je connais l’humanité. Ce que vous dites est impossible. »« Ce genre d’événement [l’extermination des juifs] n’était jamais arrivé, tente de comprendre Jan Karski. Pour un être humain normal, cultivé, avec des responsabilités politiques – pour chacun de nous, d’ailleurs –, le cerveau ne peut fonctionner que dans certaines limites : ce que notre environnement, avec les livres, la connaissance, les informations, a mis dans notre cerveau. Et, à un certain point, nos cerveaux n’ont, sans doute, plus la capacité de comprendre. »
Le Rapport Karski, de Claude Lanzmann (Fr., 2010, 48 min). Le dimanche 24 janvier, à 21 h 50, sur Toute l’Histoire.
Hélas, l’histoire de la Shoah et de Daesh, ne laisse guère de doute sur la capacité des hommes à servir le mal!
Il faut à l’homme changer de coeur!