Les Français apprennent à vivre
désormais dans la peur des attentats,
comme les Israéliens.
Nous allons vivre longtemps avec cette menace terroriste ». « Longtemps » ! Les Français sont prévenus. En prononçant cette phrase (1), 48 heures à peine après les sanglantes attaques terroristes du 13 novembre, Manuel Valls n’a pas lésiné sur les mots : le pays doit se préparer à de « nouvelles répliques dans les jours qui viennent, et nous savons que d’autres opérations se préparent ». Il prévient qu’il ne « veut pas faire peur ». Mais trop tard ! D’un seul coup, la peur s’est déjà installée dans la capitale. Moins de monde dans le métro, le bus, baisse de la fréquentation dans les grands magasins (Galeries Lafayette -30 % sur les 8 premiers jours), moins de voitures dans les rues, de sorties au restaurant (-50 % du chiffre d’affaires), annulations de voyages sur le réseau TGV, mais un pic de +10 % pour les taxis (fuyant les transports en commun, certains ont privilégié les taxis), et enfin si les patrons de salles de spectacle ne cachent pas leur inquiétude, les cinémas et les musées, eux, ne semblent avoir été affectés que les premiers jours. Bref, Paris en berne…
Jamais l’impact d’un attentat terroriste n’a été autant massivement ressenti. C’est l’horreur absolue, au paroxysme de l’insupportable : 130 morts, 349 blessés. Ce ne sont plus des bombes déposées dans des lieux publics, mais des kamikazes barbares qui mitraillent aveuglément les terrasses de cafés ou abattent un à un les spectateurs d’un concert au Bataclan. Les Français en sont encore traumatisés. « Oui je l’avoue, après ces massacres sanglants, j’ai peur, confie à demi-voix Corinne, 38 ans, qui tient à Paris une agence de relations publiques, j’ai peur de me trouver, un jour, au mauvais endroit, au mauvais moment. J’ai peur pour mes enfants. J’ai peur de tout. Je n’arrive plus à maîtriser cette peur. Mon mari n’en peut plus avec mes angoisses. Je ne sais pas comment il fait pour me supporter ! Oui, vivre avec la peur est terrible. C’est un sentiment toxique. Elle inhibe ma capacité à vivre pleinement. Déjà choquée par Charlie Hebdo, je suis traumatisée aujourd’hui. »
La France ne découvre pas les attentats terroristes. Après la rue Copernic (1980), la rue des Rosiers (1983), le RER Saint-Michel (1995), les lâches assassinats de Merah à Toulouse (2012), ceux contre Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher (janvier 2015), l’attaque du Thalys (août), les tueries du 23 novembre ont fait croître de dix crans la peur des Français. Une peur qui s’est amplifiée depuis le 23 janvier dernier, quand Manuel Valls – encore lui ! – lançait à des lycéens : « Votre génération doit s’habituer à vivre avec ce danger, et ce, pendant un certain nombre d’années. » Les Français le pourront-ils ? Bien sûr, ceux qui ont tendance à s’angoisser pour un rien et pour n’importe quoi, auront plus de mal à gérer leur peur. « Je suis une angoissée de nature, confie Danielle, 69 ans, retraitée, qui habite Sarcelles. Ces attentats me laissent un goût amer. Depuis ce matin, je réagis davantage au bruit qui m’entoure, à l’objet qui tombe lourdement à terre, et qui déclenche en moi une attitude de repli et de défense. Allez savoir pourquoi ? Ces 130 morts m’obsèdent. Tous les journaux ont publié leurs noms comme un mémorial. Et vous savez quoi ? J’ai découpé les petits portraits qui accompagnaient leurs noms, et je les lis chaque jour un peu. Je n’en connais aucun. Mais je découvre des gens formidables. C’est ma façon à moi de leur rendre hommage. Alors, vous voyez, je vis avec eux. Avec ces morts innocents. Comment voulez-vous que je n’aie pas peur maintenant ! »
S’adapter au danger, c’est apprendre à vivre avec la peur. Apprendre à la gérer, et surtout à la dominer. Les solutions, oui, mais comment ? Beaucoup de Français rencontrés se réfèrent à Israël. « Les Israéliens, vous pensez à eux ?, s’emporte Myriam, 40 ans, mère de deux enfants, commerçante à Paris. Comment font-ils pour vivre avec le terrorisme depuis des décennies ? C’est à eux qu’il faut demander conseil. » L’État hébreu, en effet, est réputé pour avoir su intégrer dans le quotidien de chaque Israélien le risque terroriste. « Nous sommes habitués aux attentats, dit Raphaël, 23 ans, qui vit à Tel-Aviv, actuellement en service militaire. Nous l’avons inclus dans nos réflexes. Quand nous sommes en terrasse, on ne donne jamais le dos à la rue. On se met contre le mur pour voir qui vient et qui passe. C’est un réflexe. On ne va pas arrêter de vivre après un attentat. Aujourd’hui, beaucoup de mesures sont prises. À l’entrée des grands magasins, tout le monde est fouillé. Les vigiles scrutent les visages, procèdent à l’examen des tenues, profilent les visiteurs. Dans la rue, on marche normalement. Sommes-nous armés ? Seulement pendant le service militaire. Si non, on rend notre arme quand on finit le service militaire. Mais on est libre d’acheter une arme, naturellement après avoir obtenu le permis de port d’armes. »
« On a honte d’avoir peur, commente le journaliste Jacques Benillouche qui vit en Israël. En fait on n’a pas peur pour soi, on a peur pour les autres qu’une bombe explose. Je ne supporte pas que les terroristes m’imposent leur emploi du temps. Ce n’est pas une bombe qui va m’empêcher de faire ce que je dois faire. Donc je fonce. J’avance. Je n’y pense pas. J’étouffe cette peur pour ne pas la vivre. Ici, on se sent très protégé. Nous avons confiance en notre police. On se sent en sécurité. Ce qui fait sans doute de nous des personnes plus sûres d’elles-mêmes. » Les Français pourront-ils acquérir le sang-froid des Israéliens qui ont si bien appris à gérer le danger permanent qui les menace ? Doivent-ils vivre à l’Israélienne, c’est-à-dire avec cette « culture de la peur » qui leur colle à la peau ?
« Oui, répond le psychanalyste Georges Gachnochi (2), les Français peuvent prendre exemple sur les Israéliens qui vivent normalement parce qu’ils peuvent s’appuyer sur un État qui assure leur sécurité. En Israël, il y a l’idée générale que nous devons continuer à être nous-mêmes, nous ne devons pas céder. En ce qui concerne les juifs, ils sont en France dans la même situation que tous les autres Français. Est-ce que les Français ont vraiment le sentiment d’être protégés ? En Israël, il y a des gens armés qui protègent les autres quand quelqu’un sort un couteau. En France, il n’y a finalement que les assassins qui sont armés. D’un autre côté, la vraisemblance de la probabilité d’être victime d’un attentat reste faible. Cela dit, c’est à chacun de décider s’il veut aller dans telle salle de spectacle, tel supermarché, tel café dans les jours qui viennent. Le sentiment de terreur généralisée n’est pas justifié. C’est quelque chose que l’on veut nous implanter. Israël a connu toutes les formes de terrorisme. Les poseurs de bombe, les attaques contre les avions de la compagnie El Al, les attentats suicides. À chaque fois, les Israéliens ont trouvé la parade : portiques à l’entrée des lieux publics, scanner, fouille des sacs aux portes des centres commerciaux.»
« Aujourd’hui, Israël doit faire face à un nouveau terrorisme : les attaques au couteau. En trois mois, 22 morts, plus de 200 blessés. »
« Avec cette vague d’intifada au couteau, je découvre la peur des attentats avoue Michèle, 42 ans, mariée, deux enfants, installée depuis quatre ans à Ra’ananna. C’est vrai que c’est inédit comme terrorisme. En pleine rue, à l’improviste, par surprise. Et souvent par derrière. J’ai connu la guerre l’été dernier, mais c’est complètement diffèrent. La guerre, c’est clair. Tu rentres dans un abri et tu attends. Là, tu n’es pas tranquille. Avant on regardait les Arabes israéliens comme n’importe qui. Aujourd’hui, ce n’est plus pareil. » « Quand on voit quelqu’un sortir un couteau, on tire, avoue Raphaël. En faisant l’armée, nous apprenons à nous servir de notre révolver. On a constaté une augmentation d’achats de bombes lacrymogènes surtout chez les femmes. Les sacs à dos pour nous protéger des couteaux ? Oui, certains en portent mais on ne peut pas dire que ce soit efficace. Mais bon, si ceux qui le portent se sentent rassurés pourquoi pas ! »
Dans la planisphère internationale du terrorisme, Israël a démontré une capacité hors du commun d’adaptation à la menace du terrorisme. Mieux : il fait preuve d’une exceptionnelle résilience – un mot cher à Boris Cyrulnik – cette force qui permet de continuer à affronter un quotidien nourri d’attentats. Cette capacité à se relever n’exclut pas cependant les traumatismes. « Il y a les données statistiques qui montrent que globalement il y a moins de suicides, moins de dépression, explique le professeur Michel Lejoyeux, chef de service de psychiatrie à l’Hôpital Bichat (3). Tout se passe comme si, devant la menace extérieure, le sentiment national collectif l’emportait sur les souffrances individuelles, les faisant passer au second plan. D’où une certaine forme de résistance. Les pays comme Israël ou le Liban, on les voit bien reprendre une vie normale juste après les attentats. Probablement, parce qu’ils ont développé des stratégies à la fois de résilience et de résistance face au stress. »
Dans la revue Perspectives Psy (4), le psychanalyste Bernard-Israël Feldman cite les travaux de trois chercheurs israéliens qui montrent qu’après les vagues d’attentats-suicides de 2000 à 2002, seuls 9 % de la population israélienne souffrait de stress post-traumatique – contre 30 % aux États-Unis après le 11 septembre. « La population israélienne est habituée à développer des processus d’adaptation efficaces pour faire face aux grands dangers, écrit-il. Sans doute parce que, dans ce petit pays, la solidarité est très forte. Mais aussi parce que les victimes d’attentats sont prises en charge gratuitement et sans limite de durée par l’État, qu’il existe des dizaines d’associations de soutien et de groupes de parole dans toutes les langues. »
Mais en contrepartie, les Israéliens s’interdisent toute faiblesse. Ils font en sorte qu’après un attentat, la vie reprenne le plus vite possible. « Les Israéliens savent que la meilleure réponse c’est de continuer à vivre, confirme le Professeur Michel Lejoyeux, qu’on n’est pas obligé de déprimer, qu’on a le droit d’aller bien, qu’il y a peut-être une forme de résistance parfois même nationale et psychologique à accepter l’idée que certes, on passe par des moments difficiles d’inquiétude légitime, de peur, mais qu’on a le droit de continuer à vivre et de reprendre une vie normale le plus rapidement possible. »
L’expérience d’Israël est également prise en exemple dans sa lutte contre le terrorisme. Le patron du RAID, Jean-Michel Fauvergue, qui a donné l’assaut à Saint-Denis pendant sept heures, reconnaissant que la nouvelle forme de terrorisme modifiant les techniques d’intervention, il « s’est servi de l’expérience de nos amis étrangers et notamment des techniques utilisées en Israël pour essayer d’avoir moins de dégâts avec un kamikaze ». (5)
Finalement, peut-on apprendre à vivre avec le terrorisme ? « Oui, répond l’historien Jacques Sémelin, car ce qui est stupéfiant dans l’action terroriste, c’est qu’elle instaure une peur durable. On apprend à vivre avec parce que, passé la stupeur, la vie quotidienne se fait toujours plus forte, c’est une résistance de l’intime ». « C’est un travail de longue haleine, précise Noam Ohana, un franco-israélien, réserviste dans une unité d’élite de l’armée israélienne (6) Il faut enseigner la vigilance et les gestes qui sauvent très tôt, probablement à partir du lycée. Il ne s’agit pas de former des petits soldats mais tout simplement de bons citoyens. L’écrasante majorité des victimes de ce type d’attentat meurent d’hémorragie. Il y a bien sûr toujours des blessés qu’on ne peut pas sauver, mais il y en a beaucoup d’autres qu’un simple garrot appliqué correctement et immédiatement peut sauver. On ne transformera pas de simples gardiens de la paix en super-gendarmes du GIGN, ni de jeunes étudiants en urgentistes mais on peut commencer à changer les mentalités quand il s’agit de terrorisme. »
En multipliant les mesures de sécurité – extension de l’État d’urgence, création d’ici à 2017 de 8 500 postes supplémentaires dans la police, la gendarmerie et la justice, 2 000 interpellations administratives, 1 300 perquisitions, 320 armes saisies dont une trentaine de guerre, 250 procédures judiciaires et 210 personnes placées en garde-à-vue – le gouvernement rassurera-t-il les Français ? L’écrivain israélien David Grossman qui a perdu son fils au Liban, au combat, en 2006, veut apporter sa contribution et son expérience en suggérant à la France de bien comprendre que « ces actes terroristes ne sont pas des appels désespérés au dialogue, c’est une volonté hermétique de répandre la terreur. Vous ne pouvez rien négocier avec ses gens-là, ils sont venus pour tuer, et il ne peut y avoir aucun dialogue possible avec ceux qui veulent vous tuer non pour ce que vous faites mais pour qui vous êtes ». Il ajoute qu’il y a des moments dans la vie où l’on doit choisir entre deux choses désagréables : « La France doit absolument s’unir avec les pays qui combattent l’EI, et notamment la Russie. Et, surtout, elle doit aller combattre sur le terrain. L’EI a un impact énorme, mais c’est une toute petite organisation. En revanche, il ne faut surtout pas mélanger l’EI avec l’islam. C’est exactement ce que cherche l’EI : diviser la société française, monter les non-musulmans contre les musulmans » (7).
La France ne tombera pas dans ce piège-là. Manuel Valls vient de réaffirmer qu’il ne s’agit pas « de faire peur ou de créer un état anxiogène » mais tout simplement de savoir à qui nous avons à faire.!”
(1) RTL. 15 nov.
(2) Actualité Juive. 19 nov.
(3) France 2 Télé matin. 20 nov.
(4) M le magazine du Monde. Février 2006, vol.45.
(5) Figaro.fr. 18 nov.
(6) Tribune dans L’Opinion. 17 nov.
(7) Libération. 19 nov.
Les différentes couches du cerveau humain nous renseignent sur la façon que nous avons de réagir à une agression (et je fait “bref”):
A la première “agression”, c’est le “cerveau saurien” qui reçoit le choc, et il ne peut “qu’encaisser”. A la seconde agression, ce même cerveau fait réagir, il a “appris”: a ce stade, il n’y a pas d’étape de réflexion, ni même de peur et tous les êtres animés ( ou presque…) Alors? quid de la peur?…
Elle s’installe lors de l’attente et de la période de veille: c’est une étape où une autre “instance” du cerveau se met en branle: on est dans la phase “proie-prédateur” , perpétuellement “imaginée”, conceptualisée, mais raremement réelle, car vous ne pouvez pas TOUT prévoir, sinon la “chasse ne serait pas fructueuse”. Ici, le TEMPS est paradoxalement mauvais conseiller, car la PEUR a le temps de s’installer: C’est de l’ANTICIPATION et non de la préparation: Dans les cours d’arts martiaux, il n’y a pas de “méchants” contre des “bons”, mais “Tori et Tsouké”, “Adversaire qui mène l’attaque- Défenseur” ( c’est ce qui se pratique dans le “kumité”: Il n’y a pas de réflexion !!! Celle-ci se situe bien en amont (ou en aval) car ce sera alors de la technique ( et de l’entraînement !)
Voilà pourquoi la résilience n’est possible que si vous savez “remettre les choses à leur place” , ni plus ni moins…
La douleur, la peine, ou la peur ne peuvent être qu’à côté, (car la conscience du danger dépend de votre développement)… Cela semble évident, mais la confusion instillée par l’assaillant vous brouille les piste…
PLEURER , POURQUOI FAIRE?
(D’après les travaux du Pr Henri Labori et l’ouvrage “Communication et manipulations” )
Jacques