FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – A l’occasion de la sortie du dernier numéro de Causeur, «antiraciste tu perds ton sang-froid», Elisabeth Lévy a accordé un entretien fleuve à FigaroVox. Pour elle, la traque perpétuelle des « néo-réacs » par une certaine gauche révèle l’affolement du « camp du bien ».
Elisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Dans son numéro de novembre, intitulé, «La guerre des idées est déclarée: antiraciste tu perds ton sang-froid», le magazine s’interroge sur l’impossibilité de débattre en France.
LE FIGARO.– Le dernier numéro de Causeur s’intitule «La guerre des idées est déclarée: antiraciste tu perds ton sang-froid». Eric Zemmour est justement poursuivi pour provocation à la haine raciale à cause d’un entretien au journal italien Corriere Della Sera. Que vous inspire cette judiciarisation du débat?
ELISABETH LEVY.– Je dis que les antiracistes deviennent fous! On sait déjà que n’importe qui peut se retrouver devant un tribunal pour un mot inconvenant – ou pas -, ou une blague un peu scandaleuse – ou pas. Et je ne parle pas du tribunal médiatique qui lynche avec bonne conscience. De sorte qu’il ne s’agit plus de combattre le racisme mais de coller l’étiquette «raciste» et les interdits qui vont avec, sur tout propos, idée ou personne déplaisant au chœur des vierges médiatiques. Mais dans cette énième affaire Zemmour, c’est encore plus grave, car il est poursuivi pour des mots qu’il n’a pas prononcés – le terme «déportation» a été ajouté dans les questions après la rédaction de l’entretien, on a donc l’impression que Zemmour l’approuve, ce qui est purement manipulatoire. Et le plus scandaleux, c’est que ce raté était de notoriété publique. Cela n’a pas empêché la rédaction d’Itélé (la rédaction, pas la direction…) de demander et d’obtenir sa tête à cause de cet entretien, et ceci dans l’indifférence générale de la corporation journalistique qui se targue de défendre la liberté d’expression! Alors, dans cette histoire, c’est lui qui devrait demander réparation. Au lieu de quoi la Justice le fait comparaître pour des propos qu’il n’a pas tenus. C’est un monde orwellien, orwellien-kitsch, mais orwellien tout de même.
«Nos Robespierre de salons sont tellement ivres
de haine et obsédés par ceux qu’ils appellent
« réacs » ou « néo-réacs »
qu’ils en parlent tout le temps !»
En acceptant la logique d’une sorte de guerre idéologique entre «bien-pensants» et «Néo-réacs», ne faites-vous pas le jeu de vos adversaires en versant dans le même manichéisme qu’eux?
D’abord quand des gens vous mitraillent vous ne tendez pas la joue gauche – enfin pas moi! Ceux que vous appelez «bien-pensants» et que je désigne de façon plus neutre comme le «camp progressiste» passent leur temps à s’étrangler de rage au simple prétexte que des gens qui ne pensent pas comme eux ont néanmoins le droit de s’exprimer! C’est encore la «une» de l’Obs cette semaine: sous prétexte de nous vendre les «intellos de gauche» – et ça, ce n’est pas triste -, ils en profitent pour annoncer dans une pastille jaune un journal avec «0% de Zemmour, Finkielkraut et les autres». Peut-être ont-ils compris que ces noms, même comme repoussoirs, attireraient plus le chaland que ceux dont on nous promet qu’ils sont l’avenir de la gauche et de la planète. Et en prime, c’est de la publicité mensongère car nos Robespierre de salons sont tellement ivres de haine et obsédés par ceux qu’ils appellent «réacs» ou «néo-réacs» qu’ils en parlent tout le temps! Et après ils se plaignent de nous voir partout! Tout ce qu’ils disent et écrivent à ce sujet se ramène à une seule question: pourquoi les réacs? Pourquoi ces salauds aux idées puantes ont-ils le droit d’exister? Scandale: la pensée unique n’est plus unique! Donc, ce n’est pas nous qui divisons le monde entre bons et méchants. Moi je ne pense jamais que les idées que je ne partage pas sentent mauvais. Mais puisque la gauche olfactive a déclaré une guerre idéologique totale à ses contradicteurs – moi et mes copains réacs -, va pour la guerre! Sauf que nous, nous ne voulons pas exterminer l’adversaire: nous demandons, non, nous exigeons de pouvoir parler, à égalité avec lui.
N’exagérez pas: sur ce point, vous avez déjà gagné!
Oui vous avez raison, en tout cas sur le plan quantitatif. D’où le titre de mon article dans Causeur – «Nous sommes partout!», c’est amusant, non? De même que cela me réjouit énormément de les entendre se désoler de notre pouvoir. Pourquoi les entend-on eux et pas nous? – eh bien, chers confrères, peut-être parce que ce que Finkielkraut a à dire intéresse plus nos contemporains que vos prêchi-prêcha de dames patronnesses… Donc, oui, nous avons gagné le droit de parler, seulement voyez-vous, j’ai la faiblesse de penser que c’est simplement normal. Nous aurons vraiment gagné quand le débat public sera ce qu’il devrait être: une confrontation des arguments, un choc des points de vue.
Et en quoi est-ce impossible aujourd’hui?
L’insulte et la calomnie ne sont pas les meilleures bases pour le désaccord civilisé. L’historien Nicolas Offenstadt, l’un des chercheurs destinés, selon Libération, à éclairer la gauche de demain a eu cette phrase au sujet du «bloc réactionnaire»: «Leur savoir est faible, leurs propos faux pour l’essentiel, et leurs intentions putrides.» Putride toi-même, mal élevé! Un autre, François Cusset, termine son texte en disant qu’il faut «appeler un chat un chat – et un faf un faf». C’est rebelle à mort de causer comme ça… Et Laurent Joffrin publie cela! Peut-on prétendre au statut d’intellectuel quand on s’exprime ainsi? Et c’est avec des gens pareils qu’il faut parler?
Eh bien oui, vous qui prônez la prise en compte du réel, vous ne pouvez pas choisir vos contradicteurs, vous devez prendre ceux qui existent…
Alors expliquez-moi comment débattre avec des gens qui réduisent les idées de dizaines de personnes allant de Nadine Morano à Michel Onfray à quelques phrases stupides ou scandaleuses que nul n’a prononcées ou écrites? Finkielkraut a consacré de longues pages à la dualité entre le charnel et le rationnel, l’histoire et le droit, la terre et la loi, qui est à la source de l’identité française. Mais les phares de la gauche de demain n’ont pas le temps de lire: tout ça, apprend-on de Pap N’diaye, c’est rien que des «obsessions racialistes de frontières bouclées à double tour pour protéger la «race blanche».» Pitié, où est-il allé chercher ça? Et c’est un exemple parmi des centaines d’autres. Assez de ces bobards! Le désaccord ne devrait pas exclure l’honnêteté. Or, ces gens-là ne citent jamais, ils inventent! Les guillemets, connais pas…
Mais par exemple, quand ils vous accusent d’être hostiles à l’islam, est-ce complètement faux?
Excellent exemple! Primo, nous (nous les réacs) exprimons tous, à des degrés et dans des termes très divers une certaine inquiétude sur l’évolution de l’islam et sur ses difficultés d’acculturation. Et nous citons à l’appui d’innombrables faits. Si ces inquiétudes sont infondées, qu’on nous explique pourquoi! Bon sang, après Merah, après les Kouachi et tout le reste, n’y a-t-il pas quelque raison de s’inquiéter? Au pays des Lumières, tout le monde, en particulier des gens qui se prétendent chercheurs, devrait être capable de comprendre qu’il y a une différence entre la critique de l’islam et la haine des musulmans, non? Apparemment pas. Là, encore, il n’y a jamais de réponse, juste des invectives: Islamophobes! Racistes! Nauséabonds! Seulement, une fois que vous avez braillé et montré votre jolie âme, les questions restent entières.
D’accord, mais ces questions ont aussi de mauvaises réponses…
Bien sûr, mais comment le saura-t-on si on ne les discute pas? En réalité, ce ne sont pas les mauvaises réponses que veut interdire le parti de l’Autre (formule de Finkielkraut), ce sont les questions elles-mêmes. Ce que l’hilarant duo de rebelles Louis/Lagasnerie avoue sans honte: il faut, nous disent-ils, dans Le Monde cette fois-ci, «fuir les débats imposés, refuser de constituer certains idéologues comme des interlocuteurs, certains thèmes comme discutables, certains problèmes comme pertinents». Comme ça, effectivement, l’ordre idéologique règnera. Eh bien, je le répète, ça ne marche plus. Si vous voulez débattre, soyez les bienvenus, donnez vos réponses, expliquez-nous en quoi nous interprétons mal les faits que nous observons. Sinon, nous nous passerons de vous comme le font déjà pas mal de gens. Et ne vous inquiétez pas: dans le camp du mal, on aime la diversité des idées, et nous avons assez de désaccords abyssaux entre nous pour ne pas nous ennuyer! Ce n’est pas un hasard si c’est dans Figarovox ou dans Causeur que le pluralisme existe aujourd’hui.
«Je suis sûre qu’ils n’ont que des amis de gauche,
ils ne doivent pas se marrer tous les jours !»
Existe-t-il une forme de complémentarité entre néo-réacs et néo-progressistes? Se nourrissent-ils mutuellement?
Mais non, puisqu’ils ne nous considèrent pas comme des interlocuteurs légitimes. Pour s’engueuler, il faut être deux! En réalité, ces gens sont restés staliniens même quand ils ne l’ont jamais été. Ils n’ont pas d’adversaires, ils n’ont que des ennemis! Je suis sûre qu’ils n’ont que des amis de gauche, ils ne doivent pas se marrer tous les jours!
Le «bloc réactionnaire» dénoncé par une certaine presse de gauche et qui tend, selon elle, à s’élargir chaque jour un peu plus, existe-t-il vraiment? Entre Alain Finkielkraut et Michel Onfray ; entre Elisabeth Lévy et Nadine Morano ; entre Jacques Sapir et Jacques Julliard, je vois plus de divergences que de convergences…
Votre liste parle d’elle-même: cette hydre réac a tellement de têtes qu’on ne voit pas bien ce qu’elle pourrait dire! Bien entendu, ce «bloc réactionnaire» n’existe que dans la tête de ceux qui le dénoncent. Mais «bloc réactionnaire», ça fait riche!
«Aujourd’hui, quiconque affirme qu’une école
où on apprend à lire et écrire est meilleure
qu’une école où on ne le fait pas
est dénoncé comme réactionnaire.»
Qu’est-ce qui vous rapproche malgré tout?
À force de désigner un «eux», on finit toujours par créer une sorte de «nous». Donc, il peut exister, entre un certain nombre des suspects, une connivence de réprouvés. Pour le reste, il y a aussi, dans des formes très diverses, une sensibilité aux questions que j’appellerais identitaires et culturelles. Encore une fois, on peut parfaitement ne pas partager cette sensibilité mais je ne vois pas en quoi elle est condamnable. De plus, aujourd’hui, quiconque affirme qu’une école où on apprend à lire et écrire est meilleure qu’une école où on ne le fait pas est dénoncé comme réactionnaire. L’ennui, c’est que ça commence à faire beaucoup de monde. D’ailleurs ces jours-ci, la liste noire s’enrichit chaque jour de noms de gauche. Cette traque de l’ennemi de l’intérieur révèle un genre d’affolement dans le camp du Bien, comme s’il sentait que la fin de son règne est proche. Ce qui explique que, derrière les prétendus désaccords, la haine soit de plus en plus ouverte, la rage de plus en plus palpable.
Les lignes idéologiques sont-elles en train de bouger? Dans quel sens?
«Le chantage au racisme ne marche plus.»
Je crois que cette pensée de gauche est réellement épuisée. Après les attentats de janvier, ses bons sentiments, son prétendu amour de la différence (différence qu’elle déteste en matière de points de vue) n’ont plus aucune prise sur le réel. Le merveilleux monde métissé qu’elle célèbre n’existe pas, le vivre-ensemble se fait aujourd’hui chacun chez soi. Le chantage au racisme ne marche plus. Et pis encore, les fatwas prononcées par la bonne presse n’ont pas la moindre importance. Croit-on que la détestation de Libé, du Monde, de l’Obs, ait fait perdre un seul lecteur à Zemmour ou Finkielkraut? Que les nôtres nous fuient parce qu’on traite Causeur de torchon réactionnaire? Ils n’ont plus le pouvoir de faire taire la divergence. Alors je ne sais pas si nous avons gagné, mais les adeptes de la censure et des procès de Moscou, eux, ont perdu. Et c’est une des rares bonnes nouvelles du moment!Elisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Dans son numéro de novembre, intitulé, «La guerre des idées est déclarée: antiraciste tu perds ton sang-froid», le magazine s’interroge sur l’impossibilité de débattre en France.
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/11/07/31003-20151107ARTFIG00111-elisabeth-levy-la-gauche-lyncheuse-a-perdu.php
Elisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Dans son numéro de novembre, intitulé, «La guerre des idées est déclarée: antiraciste tu perds ton sang-froid», le magazine s’interroge sur l’impossibilité de débattre en France.
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