L’actuelle vague de violence en Israël-Palestine est directement liée à la question de Jérusalem, tant sur le plan symbolique que politique. Quand Israël prit le contrôle de la vieille ville en 1967, le ministre de la Défense Moshe Dayan, conscient que la question du mont du Temple-esplanade des mosquées était de la nitroglycérine, accepta le statu quo : le site devait rester contrôlé par les autorités religieuses musulmanes et toute prière, autre que musulmane, était bannie.
Ce statu quo fut, jusqu’au milieu des années 1990, assez aisé à tenir car les instances rabbiniques enjoignent aux juifs de ne pas se rendre sur l’esplanade par crainte qu’ils ne pénètrent, par inadvertance, en situation d’impureté rituelle, dans le Saint des Saints de l’ancien temple juif (dont la localisation exacte est incertaine).
Mais depuis une vingtaine d’années, ce statu quo est malmené : de plus en plus de juifs nationalistes-religieux, gagnés par une exaltation messianique croissante, ne se sentent plus tenus par cette prohibition. À l’inverse des ultra-orthodoxes – les hommes en noir – qui, eux, continuent à respecter strictement cette interdiction. Bien qu’ils n’y prient pas, ces milliers de juifs religieux qui se rendent sur l’esplanade chaque année – particulièrement lors des trois fêtes de pèlerinage du judaïsme – font craindre aux Palestiniens qu’Israël ne cherche, insensiblement, à modifier le statu quo pour autoriser finalement les juifs à prier sur le mont du Temple.
Oeil du cyclone
Ces développements ont alimenté une mobilisation croissante des musulmans palestiniens, y compris en Israël où le leader du mouvement islamique Raed Salah mène depuis deux décennies une incessante campagne autour du thème « Al-Aqsa est en danger ». Cette campagne repose sur beaucoup d’exagération, mais n’a pas de mal à prospérer, nombre de politiciens israéliens de droite n’hésitant pas à jeter de l’huile sur le feu. Les visites sur place de ministres et de députés se déclarant favorables à une modification du statu quo se sont ainsi multipliées au cours des dernières années.
Si Jérusalem s’est retrouvée dans l’oeil du cyclone, c’est aussi parce que ses 320 000 habitants arabes estiment, à juste titre, qu’ils sont les oubliés du conflit israélo-palestinien. Inclus contre leur gré, dès fin juin 1967, dans la ville « réunifiée », les Palestiniens de Jérusalem-Est se trouvent dans une triple impasse : sociale, politique et identitaire. Si le statut de résidents qui leur a été octroyé en 1967 leur permet de bénéficier de l’assurance-maladie et des droits sociaux israéliens, ils font l’objet d’évidentes discriminations : infrastructures en mauvais état, quasi-impossibilité d’obtenir des permis de construire, pauvreté généralisée. Ainsi 75 % des résidents arabes vivent sous le seuil de pauvreté.
Identité flottante
À cela s’ajoute la cohabitation très tendue avec des nationalistes religieux juifs qui s’installent délibérément dans de véritables « gated communities » (résidences fermées), au cœur de certains quartiers arabes (Silwan, Ras al Amud…) et multiplient les provocations. Enfin, l’identité « flottante » des Palestiniens de Jérusalem-Est entretient un malaise persistant : résidents permanents d’Israël, ils continuent de posséder des passeports jordaniens tout en votant, avec bien des contraintes, aux élections palestiniennes. Et cela, alors que l’Autorité palestinienne n’a, bien entendu, aucun moyen d’agir dans la « capitale réunifiée » de l’État d’Israël !
Jérusalem a toujours été un point de fixation du conflit israélo-palestinien, et ce depuis l’entre-deux-guerres. L’inquiétante évolution dont témoignent les événements actuels est la réduction croissante d’un affrontement politique à sa seule dimension religieuse, fondamentalement fermée à toute logique de compromis.
Le terrain est de plus en plus occupé, des deux côtés, par des militants gagnés par l’exaltation religieuse qui, lorsqu’ils n’ont pas l’oreille des hauts responsables politiques, pèsent fortement sur eux. Avec beaucoup d’inconscience, ils sont en train de faire de la question de Jérusalem une véritable bombe à retardement dont l’explosion aura des répercussions dramatiques bien au-delà du Moyen-Orient.
Alain Dieckhoff
directeur de recherches au CNRS Sciences Po
http://theconversation.com/jerusalem-bombe-a-retardement-religieuse-49410
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