Raphaël Enthoven, professeur de philosophie, animateur de radio et de télévision, familier des grands textes philosophiques, fait une lecture captivante et très juste de “Si c’est un Homme”, un témoignage historique incontournable du XXème siècle.
Tribune Juive a voulu en savoir un peu plus.
Entretien avec Raphael Enthoven
Tribunejuive.info : Si c’est un homme est un document historique majeur, considéré aujourd’hui comme l’une des œuvres les plus importantes du XXeme siècle.
Pourquoi avoir accepté de participer à cette lecture en format audio ?
Raphael Enthoven : Pour les raisons que vous donnez ! Auxquelles j’ajouterais le fait qu’il me semblait extrêmement difficile, sinon impossible, de lire un tel texte. C’était donc très tentant.
Tribunejuive.info : Est ce pour vous, une façon de résister, un combat contre l’oubli au Quotidien ?
Raphael Enthoven : Non, c’était d’abord un tête-à-tête (d’autant plus intime que d’autres étaient à l’écoute) entre moi-même et un séjour aux enfers. On a rarement l’occasion, dans la vie, d’être contraint de lire chaque phrase d’un livre terrible.
Je savais qu’en lisant ce texte, je ferais une expérience inoubliable. Au-delà, bien sûr, je n’ai pas résisté au sentiment qu’en répandant un peu l’écoute de « Si c’est un homme », je jouerais un sale tour à la tentation de l’amnésie.
Tribunejuive.info : Êtes vous d’accord avec Angelo Rinaldi quand il dit “si la littérature n’est pas écrite pour rappeler les morts aux vivants, alors elle n’est que futilité » ?
Raphael Enthoven : Absolument d’accord ! Et d’autant plus que la littérature s’y prend de plusieurs manières… Proust, par exemple, ressuscite chacun des fantômes de son livre et leur donne plus de consistance que n’importe qui. L’enjeu n’est pas seulement de rappeler les morts aux vivants, mais de les rappeler à la vie. Chez Primo Levi, qui n’a pas le génie de Proust, et dont le propos ne se prête guère aux contorsions de la mémoire, l’écriture est un tombeau qui conserve à jamais le souvenir des disparus. Le travail n’est pas le même. Le premier éternise le transitoire, et transforme chaque chose en souvenir, de peur qu’elle ne s’estompe. Le second lutte comme il peut, notamment par la mémoire, avec le mal absolu.
Tribunejuive.info : Familier des grands textes philosophiques, comment arrivez vous à résoudre avec talent la difficile équation que pose le texte de Primo Levi : comment nommer l’innommable ?
Raphael Enthoven : « talent », c’est vous qui le dites ! Paradoxalement, tout en essayant d’incarner ce texte, j’ai tenté, au fil des pages, de faire taire ma voix (si j’ose dire). J’ai essayé de ne jamais sacrifier le sens du texte au sens que, moi, je lui trouve. Bref, j’ai voulu disparaître, pour que le texte soit mieux entendu.
TribuneJuive.info : En cette période très troublée, cette version audio peut elle ‘inscrire dans le cadre d’une écoute pédagogique en classe ?
Raphael Enthoven : Je l’espère ! J’en serais extrêmement fier. Un récit ne prête pas le flanc à une polémique. Ce qui est viscéral n’est pas douteux. C’est sur la base de textes comme celui-là qu’une discussion de bonne foi peut reprendre entre les élèves d’une même classe.
Propos recueillis par Sylvie Bensaid
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