Quelle « nation » envoie sa jeunesse, filles et garçons, se suicider et récompense les familles à coups de dollars, de soins hospitaliers, de bourses universitaires et de bonbons à chaque fois que deux ou trois enfants ne reviennent pas de leur expédition anti-juive ? Quel Etat profondément païen, si profondément, très profondément idolâtre de la mort et de la scarification guerrière (et en cela on comprend pourquoi l’Europe totémiste est si fascinée par la « Résistance » palestinienne qu’elle apparente à sa propre culpabilité de n’avoir pas su contenir plus tôt les nazis en Germanie) peut convaincre le monde de sa légitimité et surtout d’une volonté de paix qu’il n’a jamais eue ni montrée ni proclamée?
Regardez, écoutez de quelle manière la Hongrie, l’Autriche et l’Europe impériale du XIXème siècle, celle qu’on écoute jouer la valse le 1er Janvier, celle où les juifs ont presque tous disparu, l’Europe régentée par Constantinople, l’Europe slavophone et germanophone, l’Europe balkanique, celle que le pape italo-argentin a visité en premier, l’Europe de Srebrenica, l’Europe au balcon de la migration industrielle produite par Daesh est mise au pilori par l’Europe occidentale qui ne cesse d’épancher reproches, condamnations et hurlements contre ceux qu’une double épaisseur de béton germano-soviétique a séparés du reste du monde.
L’élastique oriental qui a gardé contenue toute son inertie, comme un défi à la réalité, revient à la figure de ceux qui l’ont tendu pour y lancer le XXème siècle.
Pas un mot n’a jamais été dit sur l’effarant aveuglement des nations européennes gouvernées par des clubs bien-pensants écolo-gauchistes ou christiano-nationalistes (deux versants outranciers de la chrétienté européenne laïcisée en « ressourcement » oriental) qui vivent sur trois haines superposées (par définition friables et posées à vide) :
– la haine contre une Amérique qui les a sauvées pour les empêcher de basculer dans le soviétisme d’un côté et le germanisme guerrier de l’autre.
– la haine contre les juifs que l’on aime souffrants, victimes, artistes ou intellectuels, géniaux, mais tant qu’il sont inoffensifs, silencieux et ailleurs que chez eux et qu’ils gardent les rugissements de la Shoah dans sa cage au Grévin des Mémoires.
– la haine contre soi, l’héritage chrétien qui est précisément une traduction latinisée de la Torah et une annonce personnalisée d’un Messie juif qui pour un européen chrétien, même non croyant et non pratiquant, même dualiste et libertaire (surtout lui, d’ailleurs) est déjà venu, est toujours là, et reviendra
que ce soit via l’Eglise, le Roy, la République ou le prolétariat.
Le citoyen européen attend toujours son « Ecce homo » providentiel sur le perron d’un palais romain. Son pape, son Obama, son Nobel de la paix, celui qui fera du pouce en signe de grâce.
D’ailleurs, cette année, il a renoncé à le chercher et ne l’a pas trouvé. Ou plutôt il en a trouvé quatre. Des tunisiens jugés capables de concilier l’islamisme tunisien et le libéralisme européen. Mais de quelle reconnaissance s’agit-il au juste ? Qu’est-ce qui est reconnu ? La sécurité des exportations de fruits et légumes ? Une expérience de laboratoire sur la stabilité politique au Maghreb ?
La preuve que Carthage peut se vaincre elle-même et relever ses ruines sans le secours de César qui l’a réédifiée après qu’elle fut une capitale punique ? Ou bien un débouché touristique assuré pour la saison printemps-été 2016… L’accès à la Ghriba sera-t-il libre et y aura-t-il plus de pèlerins et de fidèles que de policiers pour le prochain Pessah ?
Carthage était chrétienne, métropole byzantine, puis devenue arabe.. Tout le défilé européen est là, aux portes du gigantesque désert libyque qui lorgne sur Djerba d’un côté et sur la fertilité pharaonique de l’autre.
C’est tout l’ex-Empire romain en dispute, en reconstruction-déconstruction dans des frontières qui repoussent et se repoussent..
C’est pourquoi ces trois haines, la première d’impuissance, la seconde de jalousie et la troisième d’orgueil se confrontent aujourd’hui à des phénomènes nouveaux qui leur sont effrontément opposés.
Pour la première fois de son histoire moderne, l’Europe a une jeunesse musulmane très importante, dynamique, vigoureuse, libre, féconde et sous-employée. Une jeunesse qui n’a pas vécu son passé et tarde à intégrer et à assimiler son histoire et sa mémoire. Une jeunesse qui s’entend plutôt bien avec la jeunesse autochtone et qui partage les mêmes modes, les mêmes musiques la même alimentation même, puisque beaucoup de jeunes musulmans européens boivent de l’alcool avec les copains et rangent les bouteilles sous le strapontin du métro.
La jeunesse européenne n’est pas politisée bilatéralement, le conflit israelo-arabe, elle s’en fiche et d’ailleurs en vérité tout le monde s’en fiche, ce n’est pas ça qui donne du travail et permet de se payer son match du dimanche et ses vacances.
Les filles sont les plus émancipées, s’engagent en politique, sont des piliers d’associations, militent pour les droits de l’homme, ceux des animaux, ceux des femmes, ceux des enfants, y compris les leurs. Elles rêvent souvent à ce que les hommes n’osent plus demander pour eux-mêmes tant il leur est rappelé qu’ils sont fauteurs de guerres et de violences ce qui est faux.
Les filles européennes se bougent et ont beaucoup moins de complexes que les garçons. Enfin elles en ont d’autres mais plus tard. En tout cas moins de complexes sociaux car il ne leur pas demandé sans cesse de réussir économiquement, ce qui donne plus de marge pour y parvenir.
Elles ont souvent un niveau d’études et d’érudition supérieur à celui de leurs frères et si elles souffrent davantage du chômage surtout en solitude avec leurs enfants, leur carrière professionnelle étant plus courte, elles mettent plus d’ardeur à la parfaire, même avec des revenus plus bas. C’est sans conteste une émulation supplémentaire. Il y a sans doute possible un avenir européen qui tient dans la main des jeunes non européens de nature culturelle, et l’antisémitisme tient beaucoup plus à un culte d’archaïsmes éducatifs et à des mensonges liés aux non-dits sur l’Histoire qu’à un goût pour la destruction et l’inimitié. Comment puis-je aimer et estimer ce que j’ignore ?
Il y a aussi une générosité des gens plus grande, une ouverture au monde plus grande, un multilinguisme qui n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui. Le tragique est la dichotomie entre des élites renfermées sur elles-mêmes : politiques, médiatiques, universitaires, et une jeunesse qui veut de « l’international », qui n’est pas contre le religieux à condition que ce soit le moyen de se hisser quelque part et non d’être abaissé vers nulle part.
Un enseignant qui vous donne goût à la lecture, à la découverte, à la rencontre, à l’intelligence, au respect, à la science et qui vous décentre de vous-même le plus souvent possible, ne fait-il pas œuvre religieuse par définition ?
La jeunesse hait par définition la violence quand elle est usuelle, coutumière, quand elle brime la parole. Elle préfère crier que tirer. Influencer les consciences des jeunes pour leur faire trouver légitime et normal de tuer et de blesser pour se faire entendre sera jugé durement par l’histoire. Retirer le pain de la main d’un enfant, d’un jeune pour y mettre une pierre et lui dire : « vas-y ! lance-là sur le militaire qui est ton ennemi, sur ce couple en voiture qui est une entité sioniste ! », c’est un crime abominable. Un crime de lèse majesté humaine.
C’est pour cela que je pense que jamais il n’y aura d’Etat palestinien doté de toutes les prérogatives d’un Etat, tant que cela sera organisé, défendu, choisi, voulu et non réprimé et que l’éducation ira dans le sens de la pierre et non du pain.
Il est obscène de parler de paix bilatérale quand un côté ne penche pas vers l’autre. Quant à Israël il y a une Cour Suprême et des tribunaux, une police qui commettent beaucoup d’erreurs, qui doivent compter avec la res politica aléatoire, les intérêts partisans, mais qui sont soumis à une Constitution qui est respectée et qui ne prévoit pas de torturer à mort , d’amputer les prévenus, de regrouper les infirmes et les enfants sur un toit d’hôpital pendant un bombardement, de massacrer pour trahison et de brimer financièrement les familles qui ne s’engagent pas du bon côté.
La récompense du meurtre c’est le meurtre. Personne ne peut vivre ainsi et encore moins demander des concessions au voisin sans accepter de les faire soi-même; Tant de souffrances de part et d’autres, tant de murs indestructibles et qui ne sont pas de double renfort de béton précontraint…!
C’est facile, ridicule et confortable de demander que cela cesse. C’en est même honteusement naïf. Mais il faut le redire! Il faut le redire. On manque que cela soit redit parmi tout ce qui est dit.
Jean Taranto
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