Le Pape exhorte aux devoirs d'accueil et de discernement, par Jean Taranto

Dans son interview à la radio catholique portugaise Radio Renacenza la semaine dernière, le pape a répété le devoir d’accueil tout en engageant à un devoir de discernement. Cette part de son intervention n’a pas été relayée par les médias catholiques européens de langue française. pape françois
Chaque église (elles sont nombreuses dans le christianisme et les obédiences diverses dans la catholicité) tire des propos du pape ce qui l’arrange, selon les tabous, les non-dits, les rives historiques, et les publics en vigueur.
En France, l’importance de la population musulmane, la législation laïque, la tradition ouvriériste et missionnaire d’une large frange de la catholicité, mais aussi la présence d’une extrême droite et d’une extrême gauche qui se réclament de la « Tradition » ritualiste et croisée pour l’une et de la « Tradition » séculariste et libertaire pour l’autre, fondent une tension politique sur laquelle le catholicisme français doit surfer avec une grande souplesse. Les évêques, rappelons-le, n’ont pas d’électorat, mais ils ont charge d’âme et de corps au-delà de la stricte bâtisse ecclésiale, dans la mesure où comme on le sait la parole semée revient toujours « selon son espèce ».
Ajoutons que l’Islam, pour l’Eglise n’est pas un fait nouveau ni une question puisque la France fut parmi les premières à compter de grands religieux et scientifiques catholiques et chrétiens qui furent des précurseurs dans l’étude et la connaissance des sources coraniques -qui sont multiples- surtout à partir du terreau colonial de Syrie-Liban, d’Afrique de l’Ouest animiste et du Maghreb de culture arabo-européenne.
L’Eglise n’est apparemment pas suivie aujourd’hui en France, mais il ne faut pas se fier à ce qui a disparu, mais à ce qui transparait : elle imprègne profondément, en France, la pensée universaliste et humaniste, au moins autant qu’en elle transpire depuis peu à l’échelle anthropologique l’existentialisme positiviste qui fait parfois de son discours une métaphore sociale apparemment coupée de la parabole biblique. La parabole convertie en métaphore. Or, c’est précisément, comme on le voit, le contraire que le pape jésuite cherche à opérer : une contre-offensive de la parabole, du commentaire contre la métaphore qui est un genre poétique, allégorique, mais non expérimental.
L’Eglise est aujourd’hui, même contre sa propre intelligentsia cléricale et laïque,  en état de replacer le réel humain au milieu de l’allégorie divine que la négation de la théologie comme science de l’observation de l’engendrement des nations et d’Israël a nié et qu’elle fait mentir.
On peut dire que c’est elle qui maintient vivace dans la France poétisée et romancée par les élites coupées du peuple « puant et suant », la conscience d’un devoir d’accueil et de solidarité. Le discours du pape sur l’attention aux pauvres et jusqu’à sa réaffirmation de la « Maison commune » comme origine et destin des sociétés -sens étymologique de l’Ecologie- est tout entier animé par la conscience que si l’on parle d’un devoir d’accueil, il n’est pas d’un riche lointain vis-à-vis d’un pauvre affaissé dans le néant, mais d’égal à égal.
Il est intéressant de lire la façon dont, en France une part du clergé catholique, et une majorité des médias a accueilli cette encyclique « Laudato si' » en en faisant une ode à la virginité naturaliste et une proclamation de l’humanité dévastatrice.
On retrouve les mêmes accents négationnistes de l’humain dans la critique constante de l’impuissance, de la vacuité et de l’arrogance européennes. Or, pas un seul texte du pape, pas plus que ses homologues orthodoxes et les responsables protestants non « sectaires » ne condamne ni n’admoneste ni ne prennent ce chemin de la contestation du réel.
La démarche de l’Eglise, comme celle, d’ailleurs, d’Israël, est fondamentalement placée dans l’orbite de la Révélation dont le périgée est pour un chrétien l’Incarnation et son apogée la Résurrection. Quoi qu’il fasse, l’Humain est « appelé », « prélevé » pour devenir ce qu’il reçoit, c’est à dire vivant (fécond) et saint (c’est-à-dire égal de Dieu en se faisant égal du « pauvre »).
On remarquera que dans cette perspective séculariste de lutte entre la Raison et la Foi, où la révélation doit abdiquer devant l’évidence de l’expérience personnelle immédiate universalisée par la transmission numérique, on se retourne contre l’Eglise lorsque ce devoir d’hospitalité et de compréhension manque où que ce devoir place les politiques face à leurs impuissances ou leur manque de sagacité.
La République est laïque. Pas la Nation où les combats confessionnels ne demandent qu’à ressurgir à la faveur d’une « tolérance » qui oublie son socle de fraternité (mais nul ne sait qui est le père et que fait la mère..). Car en effet, la « tolérance », qui est une vertu chimique de côtoiement, et non morale d’assumation, ne vaut pas grand-chose sans la certitude de cet égal à égal que Caïn premier né a perdu face à un Abel dernier venu. Nous sommes ici, dans ce que les médias appellent d’une façon étrange « crise des migrants » face à un redoutable questionnement sur le sens de la fraternité humaine. Qui est le père? Qui est la mère? (Bien qu’ils aient tendance à disparaître dans les éprouvettes des instituts de reproduction humaine).
C’est une grande question, là aussi, culturelle et presque métaphysique, sur la disparition des parents, et avec eux, des fils, des frères, des sexes et des générations, produisant une inéluctable confusion entre les amis et les ennemis qui ne permet ni discernement, ni combat, ni réconciliation; ni vision d’un « Autre » qui n’est ni double ni clone ni « étranger ».
Il est notable qu’aujourd’hui, un regard, un battement de paupière, la seule présence physique, le seul son de la respiration peut valoir un coup de poing, une injure, ou pire. Comment est-ce que la présence de l’autre dans un autobus ou une voiture de RER peut valoir à celui qui regarde qui respire ou même qui se tait les yeux baissés et qui fait un mouvement des mains, une pluie de coups, une bordée d’injures?
Ce qui a provoqué cela, c’est la mise en doute d’un cosmos commun, issu d’un sens commun générique d’une explosion de diversités humaines. D’une « disgrâce » de la mort et de la naissance, masqués et obérés, qui sont les deux faits inéluctables à chacun, indéniables, irréversibles, d’ailleurs, puisque le fait de naître est littéralement l’ouverture d’un passage dans la mort, un comblement du vide et un aplanissement de l’aléa.
Plus on découvre la beauté de la matière, sa cohérence, sa multiplicité, son odeur et même sa persistance à se transformer en qualité, et en quantité, plus on aime l’Homme qui en est la sommité aimante et pensante.
Dans l’Eglise, pour ce qui la concerne, cela est premier. C’est pour cela qu’elle ne se résoud pas à lancer des diatribes sans payer de sa personne, ni à enseigner sans d’abord vivre elle-même la Révélation qui la porte. Elle considère que le premier Exode massif du XXIème siècle est partie intégrante de son engagement par lequel l’échec cuisant de la crucifixion et de la persécution -remis au goût du jour tels quels et à dessein par les armées de l’EI- est le sommet du don divin commencé en Adam et confirmé dans la ligature et la délivrance d’Isaac.
Si le discours social du pape ravit des élites sartriennes trop contentes d’y trouver un socle existentialiste commun, ses appels à la responsabilité et au discernement des acteurs de l’hospitalité et de la gestion des flux migratoires ont été passés sous silence dans les déclarations publiques des responsables associatifs et de certains prélats catholiques, paralysés à l’idée de laisser entendre que cela pourrait passer par un « oui mais » qui accrédite à la fois la droite souverainiste adepte des barbelés aux frontières (et majoritaire en Europe), et mécontente une gauche catholique très puissante, nourrie de l’existentialisme de Mai 68 relayée par des loges maçonniques qui prêchent pour la multi culturalité fusionnelle des genres, des ethnies et des catégories.

Préserver identité et indépendance

Le droit des Etats à préserver leur identité et leur indépendance (qui est un devoir d’Etat) est confronté à leur devoir de porter assistance et provende à tout nécessiteux passant et résidant sur leur sol (ce qui est aussi un droit).
L’Europe qui ne s’est pas bâtie uniquement à coups de guerres puniques et de conquêtes gothiques ou latines, mais par l’installation de migrations dès l’âge du bronze, par ses deltas et ses cols de montagne, est aujourd’hui précisément entre ses racines indo-perses qui ressurgissent aujourd’hui dans l’irrationalité de sa diplomatie et les atermoiements de sa laborieuse Union, et son imprégnation juive et son corollaire chrétien qui placent comme suprême valeur le respect et la rédemption de la personne et son pendant nécessaire qui est l’assimilation de l’étranger et la conversion/intégration de l’ennemi en ami pour le bien commun de la Terre, du peuple et de la Nation.
Cette idée de « berceau de l’Humanité » que l’on cherche toujours parmi les chrétiens d’Orient, dans les rifts africains, dans le lit de l’Euphrate, où à la cime de la prière d’Israël, est proprement mosaïque, sachant qu’un berceau peut très bien voyager d’un bout à l’autre du Nil et échouer là où il est récupéré dans des mains de fortune. En l’occurrence, la fille de pharaon, figure de la Providence offerte aux nations, a été bien inspirée. Elle a donné au fondateur du prophétisme, bâtisseur de la morale universelle, et surtout réfugié des réfugiés, les moyens inespérés pour s' »intégrer », jusqu’à ce que les souffrances du peuple fut si manifeste que Moïse fit le choix de l’en délivrer par une bénédiction divine réentendue.
La parole du pape, patriarche de l’Eglise d’Occident et successeur d’un Saint Pierre juif  tour à tour enflammé par la foi et brûlé -sans avoir été consumé- par le repentir, n’a pas pour rôle de dire : « barricadez-vous et faites la guerre! ». Elle repose donc sur trois éléments : la confiance en la Providence, c’est-à-dire en l’historicité des attitudes et des positions humaines qui écrivent l’Histoire, en définitive. (ce que décide un Parlement ou un dirigeant aujourd’hui vaudra pour les générations à venir).
La confiance en la personne humaine qui aspire de façon spontanée et intrinsèque à la vie et à l’éternité de la vie, et donc ne peut se satisfaire d’une situation de guerre et de malheur à laquelle elle aurait consentie et qu’elle aurait provoquée.
La confiance en des institutions sans cesse remises en cause, affaiblies là où le peuple souffre, mais qui sont les émanations légitimes d’une inspiration transcendante des groupes humains à s’entendre malgré tout, vaille que vaille, nolens volens, et ceci est à encourager.
Cela donne un sens et une perspective à tout ce qui semble sans relation : où vont tous ces réfugiés? Ils vont vers « nous ». D’une façon certaine aussi, ils brisent la séparation et annulent la distance symbolisée par le désert théologique et historique qui s’étendait entre l’Ouest vert et industrieux et l’Est aride et où l’eau fait vivre comme une rareté. Les pères de l’Eglise en venaient : Turquie, Mésopotamie, Egypte, Syrie… Parmi les réfugiés d’aujourd’hui, il y aussi les apôtres de demain.
Nous ne nous doutons pas à quel point ceci est un bouleversement dans un Occident qui a depuis 3 siècles fait du kabyle père de l’Eglise d’Occident Saint Augustin le païen qu’il n’a pas voulu rester.
Ce retour du paganisme en Europe, via le dualisme musulman -mais fractionné en des obédiences très nombreuses et hétéroclites dans le rituel- est très intéressant à mesurer et à observer, et l’on voit mieux, notamment, à travers la critique d’Israël et ce que son attitude suscite en France, les forces et les véritables « valeurs » en présence.
Les 500,000 juifs de France sont plus que jamais la mesure de l’interdit et du permis, la présence casher en France, la « bénédiction » qui donne au peuple de France marqué par le baptême -même si tous ne sont pas baptisés, tous reconnaisse une devise nationale puisée dans l’Evangile et interprétée de lui- la limite et aussi la perspective de son rêve d’émancipation et de ce qui lui est possible d’en réaliser.
On devrait s’intéresser à cela : l’oralité biblique de l’Orient accourt, se précipite, se bouscule au chevet de l’écrit scientifique théologique occidental si sophistiqué  par sa critique qu’il est devenu sa contestation pure et son raisonnement dévié et décharné que l’on nomme de façon simpliste « laïcité ». En France, marquée par la pensée redimensionnée de St Augustin et par le positivisme révolutionnaire qui est à la fois une critique du jansénisme et sa réhabilitation, on dirait que le berceau de Moïse tressé à la hâte et calfaté avec soin, nous revient entre les mains, et nous ne savons qu’en faire… Est-il vide? Est-il plein? Qui va là? Qui flotte encore sur les eaux?
Le fait que l’Eglise catholique soit surprise par un flot de réfugiés qu’elle découvre et peine encore à nommer ainsi, provenant des contrées où elle est présente depuis bien avant qu’elle le fut en Europe occidentale et du nord, mêlé à une population musulmane qui se trouve pour la première fois massivement confrontée à une persécution de la part de ses pairs (population musulmane qui n’est nulle part au monde aussi libre qu’en Europe qui n’est pas son « berceau ») représente un défi majeur pour le peuple chrétien coupé en deux et soudé à chaud par une guerre sans nom, puisqu’elle reste innommée et innommable.

Le chien européen et le chat asiatique

C’est avant tout une guerre de langage, où le chien européen qui se couche sur le dos pour manifester son abandon et sa bonté est mal traduit par le chat asiatique pour qui cette attitude est celle de la soumission.
Tout part, peut-être, en un sens, de la Vulgate, transcription latine d’une Bible hébraïque recomposée en grec et commentée dans les langues du bassin méditerranéen, puis retraduites tout récemment dans les idiomes vernaculaires d’Europe et du monde chrétien, en commençant par le germain. Merkel n’oublie pas Gutenberg. Elle a fait un peu demi-tour depuis, mais enfin, sa Bible est ouverte.
Sans doute y-a-t-il là une série de malentendus propagés par la confusion des termes qui mélangent morale sociale, théologie, religiosité et bienséance polie.
L’accueil de l’étranger et l’assistance au pauvre et au faible est fondé sur le devoir d’aimer Dieu de toutes ses forces et son prochain comme soi-même. Il n’y avait pas encore, en ce temps-là de « patrie » ni d’étendard, mais la possibilité d’une libération de l’esclavage et de l’exil.
Aujourd’hui, l’esclavage et l’exil d’où fuient tant de gens pour cause de leur foi, de leur langue et de leur culture, vient à la rencontre du nôtre, qui fuyons depuis des siècles notre identité véritable à coup de concepts systémiques et de planification productiviste de bien-être.
Le pape aujourd’hui dans l’île collectiviste et très catholique cubaine et demain dans le post-industrielle et « hype » Massachusetts fera à la fin de son pélerinage caribéen et américain un discours attendu à la tribune de l’ONU. Il rappellera donc ce « devoir » spirituel des nations pour accepter cette rencontre entre les mains et le berceau, mais aussi que les populations chrétiennes s’étendent bien au-delà de la paroisse méthodiste, évangélique ou catholique du coin. Il rencontrera aussi les « dignitaires » religieux chrétiens, la communauté assyrienne de NYC et le rabbinat. Il va relancer le « devoir de contemplation » du frère dans ce que le patriarche œcuménique orthodoxe de Constantinople Barholomée Ier, un des inspirateurs et collaborateur de l’Encyclique du pape, appelle « l’Ecologie de la Transfiguration ». La Maison Commune que nous voyons anéantie de l’extérieur et éclairée de l’intérieur. Il reste aux croyants en l’Homme divinisable et divinisée non par la force mais par le sursaut du courage à sortir de sa torpeur craintive.
La monnaie nous est rendue brutalement, jetée sur la table. Et le temps de payer de nous-mêmes pour mettre en œuvre nos « valeurs » démonétisées par nos crises économiques à répétition est venu. La solution à la pauvreté et à l’appauvrissement est dans le refus de nourrir les coupables sans leur demander des comptes et l’acceptation d’abreuver et d’abriter les exilés en leur donnant une société qui leur propose dignité et liberté en échange de leur consentement à vivre comme l’un de nous. Parmi nous. C’est l’un des noms de l’Eternel qui se présente toujours à l’improviste, toujours accompagné, mais n’entre pas dans la maison désertée et où rien n’est préparé.
Jean Taranto

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