On bombarde Daech ? Par Kalman Schnur

Le battage médiatique auquel se livrent désormais François Hollande et son gouvernement au sujet de leur  intention de bombarder Daech en Syrie défie, sur plusieurs aspects, l’intelligence et la mémoire de ceux qui les écoutent.
combattant daech
Sachant que Daech est francophone et attentif aux médias, que pourrait-il tirer comme conclusion d’un tonitruant avertissement préalable annonçant en avance qu’il serait bombardé MAIS « après plusieurs semaines de vols de reconnaissance » ? Lui laissant tout loisir de déménager ou de protéger ses installations ? De préparer aux avions français un accueil chaleureux de missiles sol-air? D’installer dans ses locaux promis au bombardement pseudo-écoles et simili-hôpitaux histoire de fabriquer des images de civils, dont enfants, écrasés sous les bombes françaises ?
La Grande Muette est-elle devenue bavarde ? Suicidaire au point de divulguer à l’ennemi ses plans d’action par le menu ? Certainement pas.
Il ne peut donc s’agir que d’un effet d’annonce.  C’est le sommet politique de l’Etat qui gesticule dans les médias dans le genre comique ou pathétique « retenez-moi où je fais un malheur ». Comment ne pas penser que l’annonce est sa propre finalité ; on ne veut pas véritablement éradiquer Daech, on veut seulement nous le faire croire ; jusqu’à nouvel ordre.
Comment ne pas penser à la prétendue activité aérienne « coalisée » contre Daech qui se déroule depuis longtemps (nous dit-on) ; certes en Irak mais aussi en Syrie (appellations provisoires faute de mieux, les deux pays n’existant plus) ; activité malgré laquelle Daech s’y porte à merveille, merci pour lui.
Comment ne pas penser à la brève pièce tant médiatisée jouée par le « Charles De Gaulle » sur la scène du Golfe Persique au printemps dernier ; suite à laquelle, comme chacun sait, il ne reste plus un djihadiste débout dans le secteur…
Autrement dit : l’attaque aérienne française annoncée contre Daech sera de portée limitée voire de pure forme ; on nous distille d’ailleurs déjà que les moyens octroyés à ces opérations ne permettent qu’une sortie aérienne par jour.
Car, si promettre d’éradiquer l’abominable Daech que nous adorons haïr pourrait rapporter politiquement ou électoralement, tenter de le faire véritablement serait contreproductif. L’inavouable vérité étant que, engeance sunnite radicale ennemie des chi’ites et donc de Assad, du Hezbollah et de l’Iran,  Daech rend service à l’Occident et à ses alliés: aux USA, à Israël, à la Turquie, à certaines monarchies du Golfe.
On se  demandait sur ces colonnes déjà en octobre 2014 « De quoi Daech est-il vraiment le nom ? » En mars dernier on récidivait ailleurs sous le titre « Si Daech n’était pas là il aurait fallu l’inventer ». Et en juin « L’Orient Le Jour », journal libanais d’obédience chrétienne et donc fin connaisseur du problème, publiait un article intitulé presque à l’identique : « Si Daech n’existait pas il aurait fallu l’inventer »…
Il reste à tenter de comprendre le pourquoi.
Pourquoi l’ennemi n’est subitement plus (nous racontait-on encore le mois dernier…) le boucher de Damas, Bachar el Assad, génocidaire de son propre peuple, ayant, comme son papa Hafez en son temps, usé de gaz moutarde sur sa population civile, coupable de deux cent mille morts, d’un nombre incalculable de blessés, de millions de réfugiés, d’une destruction massive de villes syriennes… Ayant franchi toutes les lignes rouges…
Assad l’Alaouite, allié donc des chi’ites, qui se bat contre plusieurs ennemis majoritairement sunnites en Syrie ; le principal étant Daech.
Et c’est Assad que l’on va soutenir en bombardant Daech ???…
Étant donné la mansuétude dont semble bénéficier Assad la velléité apparente de s’en prendre à son ennemi Daech ne peut qu’avoir des  motivations inavouables.
Rien ne permet non plus d’espérer qu’une telle intervention contribuerait à assécher le tsunami migratoire vers l’Europe. Bien au contraire, sachant que celle, cataclysmique, de la France en Libye en 2011 transforma ce pays en chaos islamisant et déversoir de toute la misère d’Afrique sur les rivages européens.
Quelle conséquence peut-on espérer d’un (hypothétique…) bombardement en Syrie, de Daech ou d’un autre, sinon l’accélération du flot de réfugiés ?
« On ne nous dit pas tout » est en l’occurrence un gentil euphémisme. Aucun prétexte politiquement correct avancé pour bombarder Daech en Syrie ne résiste à l’examen.
A moins que l’enjeu soit désormais de rétablir de lignes rouges ; d’empêcher la confiscation de morceaux considérables du Proche-Orient par un Daech devenu trop envahissant.
A moins que le djinn sanguinaire sorti de la bouteille d’Aladin dûment frottée par l’intervention américaine en Iraq en 2003, tel le monstre de Frankenstein ou le Golem de Prague, ait pris ses aises au point de devoir être, non éradiqué car il peut toujours servir, mais ramené à de proportions plus raisonnables.
Voyons de passages pertinents de l’article cité supra de « L’Orient Le Jour » de juin dernier :
« On gère (désormais) la menace terroriste sans chercher à la résoudre ou à l’éradiquer…. On canalise, on oriente, on instrumentalise….. Il y a 4 lignes rouges qui ne bougent pas. La défense de Bagdad ……. La défense et la protection de la Jordanie qui est un protectorat américano-israélien. Le Kurdistan ….. Le Liban ….. Si Daech n’existait pas, il faudrait l’inventer. Ça permet de maintenir une croissance du budget militaire, des millions d’emplois…. dans le complexe militaro-industriel…. ».
Ces lignes rouges, exclusivement « occidentales », oublient celle de la Russie, pourtant traditionnellement présente en Syrie par sa base militaire de Tartous, unique ancrage naval russe en méditerranée, en zone alaouite, fidèle aux Assad ; d’où le massif et constant soutien russe à ces derniers et la réticence de Moscou de voir Damas tomber au point de laisser se manifester récemment, en Syrie, une impressionnante présence militaire terrestre et aérienne.
Une mainmise trop complète de Daech sur la Syrie et l’Irak ne s’inscrit certainement pas dans le scénario idéal échafaudé par certaines chancelleries ; il faut l’endiguer, dresser donc des digues ; « containement », disent les anglophones ; et non l’éradiquer.
Qu’ils continuent donc à s’écharper, semble être le mot d’ordre, jusqu’à l’avènement, par émigration forcée, dans les anciennes Syrie et Irak de territoires stabilisés,  ethniquement et religieusement homogènes, faisant fi des anciennes frontières ; quitte à provoquer les exodes que nous constatons. C’est  ce qui s’est toujours appelé  » épuration ethnique ».
Un nouveau statu-quo pourrait en sortir in fine qui arrangerait tout le monde.
Sauf les pauvres populations civiles locales, passées par pertes et profit.

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