Des bocaux des restes de victimes juives découverts à Strasbourg.

Des bocaux contenant des restes des victimes gazées au Struthof ont été découverts.
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Le 1er mai 1941, au lieu dit le Struthof, les nazis ouvrent un camp de concentration, le KL-Natzweiler (KL : abréviation de konzentrationslager camp de concentration).
Le camp central est situé en Alsace annexée, mais il y a une nébuleuse de 70 camps annexes répartis des deux côtés du Rhin.
Sur les quelque 52 000 déportés d’une trentaine de nationalités différentes, 22 000 y trouveront la mort.
Ils provenaient de tous horizons.
Déportés politiques, juifs, tziganes et homosexuels.
Tous y découvrent un univers où ils ne sont plus que des numéros et des sous-hommes.
Le KL-Natzweiler est l’un des camps les plus meurtriers du système nazi.
De 1941 à 1945, Le KL-Natzweiler est l’un des camps les plus meurtriers du système nazi.
Les déportés n’y sont pas gazés de manière systématique, ni à la suite de sélections de masse.
Mais c’est un lieu de travail au profit de l’industrie de guerre nazie et le camp abrite aussi les expérimentations médicales des professeurs nazis de l’Université du Reich de Strasbourg.
Les déportés sont entraînés dans un processus de destruction et de déshumanisation qui les conduit inexorablement à la mort.
Au moins deux fois par jour, et par tous les temps, les SS comptent et recomptent les déportés vivants ou morts.
Les vivants, forçats au service du IIIe Reich, travaillent le jour de 6 heures à 18 heures ou la nuit de 18 heures à 6 heures.
L’immense majorité d’entre eux travaille à la carrière, à l’extraction de pierres ou de gravier.
À partir de la fin de l’année 1942, ils sont affectés à la réparation de moteurs d’avion pour la Luftwaffe, l’armée de l’air allemande, et à la construction d’un bâtiment en béton semi-enterré.
La chambre à gaz est créée en 1943, par le commandant du camp, Josef Kramer, à la demande des professeurs de médecine nazis de l’Université du Reich à Strasbourg afin de procéder à des expériences médicales.

Josef Kramer SS-Hauptsturmführer
Josef Kramer SS-Hauptsturmführer

Du 14 au 21 août 1943, 86 déportés juifs provenant du camp d’Auschwitz y sont gazés.
Leur corps devaient servir à établir une collection de squelettes pour le professeur August Hirt, directeur de l’Institut d’anatomie de l’Université du Reich de Strasbourg.
August Hirt, directeur de l'Institut d'anatomie de l'Université du Reich de Strasbourg.
August Hirt, directeur de l’Institut d’anatomie de l’Université du Reich de Strasbourg.

August Hirt, dirige à partir de 1941 l’Institut d’anatomie de la Reichsuniversität Strassburg, université nazie créée en Alsace annexée. L’Université de Strasbourg, sans lien avec l’université d’occupation, était elle, à ce moment-là, repliée à Clermont-Ferrand.
La chambre à gaz sera également utilisée par le professeur Otto Bickenbach pour l’étude d’un traitement contre le gaz de combat phosgène (traitement à base d’urotropine).
Des déportés, principalement tziganes, y servent de cobayes.
La chambre à gaz du Struthof. Photo DNA-David Geiss.
La chambre à gaz du Struthof.
Photo DNA-David Geiss.

L’obstination du docteur Raphaël Toledano.

Le jeune médecin strasbourgeois Raphaël Toledano mène depuis des années des recherches sur les victimes du professeur Hirt.
Un seul des 86 déportés juifs gazés au Struthof, Ménachem Taffel, est identifié jusqu’à ce qu’un historien allemand révèle en 2003 la liste des 86 noms.
Un déclencheur pour Raphaël Toledano, qui mène jusqu’en 2010, pour sa thèse, des recherches sur l’un des médecins du Struthof.

www.dna.fr Le Dr Raphaël Toledano, médecin strasbourgeois, a été récompensé par le Cercle Menachem-Taffel pour son travail en faveur de la mémoire des victimes.
www.dna.fr
Le Dr Raphaël Toledano, médecin strasbourgeois, a été récompensé par le Cercle Menachem-Taffel pour son travail en faveur de la mémoire des victimes.

Il est à l’origine de la découverte de restes de victimes juives gazées dans le camp alsacien et conservées à l’Institut Médico-Légal de la Faculté de Médecine de Strasbourg.
Fin 2013, en poursuivant son travail sur le sinistre professeur Hirt, Raphaël Toledano découvre une lettre datant de 1952 du professeur de médecine légale de la Faculté de médecine de Strasbourg, Camille Simonin, le légiste ayant pratiqué les autopsies judiciaires de 17 corps et de 225 fragments appartenant aux 86 juifs.
La lettre reposait au milieu d’une trentaine de cartons. Quand il l’a exhumée, à sa troisième visite au fonds d’archives militaires du Blanc, dans l’Indre, Raphaël Toledano a eu un choc. Enfin ce jeune médecin tenait un élément tangible.
Il y est fait mention de bocaux contenant des prélèvements effectués au cours des autopsies judiciaires réalisées sur les victimes juives de la chambre à gaz du Struthof.
Le professeur Camille Simonin avait répondu au président du tribunal militaire de Metz qui l’avait convoqué pour témoigner au procès des médecins du Struthof :
« Souhaitez-vous que je présente deux bocaux dont l’un contient des fragments de peau […] et l’autre, le contenu d’un intestin et d’un estomac? Je dois préciser que ces bocaux ne font pas partie des scellés mais se trouvent au musée de l’Institut de Médecine Légale de Strasbourg ».
Membre du Conseil scientifique du Struthof, Raphaël Toledano a fait des recherches au sujet du devenir des corps livrés à l’Institut d’Anatomie pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le courrier de Camille Simonin l’a mené à une découverte de taille, celle d’une petite pièce de l’Institut Médico-Légal de Strasbourg, où il y avait des restes humains d’au moins une des 86 victimes juives acheminées en 1943 du camp d’Auschwitz vers celui du Struthof, en Alsace et gazées sur ordre de l’anatomiste nazi August Hirt, qui voulait documenter ce qu’était la « race juive ».
En 2005, la faculté avait publié un communiqué affirmant qu’il n’y avait aucun reste à l’Institut d’anatomie. Mais personne n’avait cherché à l’Institut Médico-Légal. Un lieu distinct mais dépendant de la Faculté.
La direction de la faculté de Strasbourg avait toujours assuré que les restes des victimes découverts par les Alliés en 1944 étaient tous inhumés au cimetière israélite de Cronenbourg depuis 1951.
L’enquêteur amateur tente alors un stratagème : accéder à la bibliothèque de l’Institut Médico-Légal de la Faculté de Médecine de Strasbourg pour jeter un œil au musée mais sans succès.
Début 2015, il veut en avoir le cœur net et prend rendez-vous avec le directeur de l’Institut, le Professeur Jean-Sébastien Raul.
« Si ces bocaux sont là, leur place est dans une tombe plutôt que dans un musée », assène-t-il. Le directeur tombe des nues. Il n’en a jamais entendu parler. Ils filent vérifier.
Avec la participation du Professeur Jean-Sébastien Raul, Raphaël Toledano parvient à identifier plusieurs pièces, parmi lesquelles « un bocal contenant des fragments de peau d’une victime de chambre à gaz ».
Ces restes appartiennent bien à plusieurs des 86 victimes d’un projet de « collection de squelettes juifs » voulu par August Hirt.
A noter que la majeure partie de ceux-ci avait été retrouvée par les alliés peu après la libération de Strasbourg en 1944, et fut rapidement inhumée dans un cimetière juif.

L’aboutissement d’une longue quête d’un Sherlock Holmes en blouse blanche.

Les identités des personnes sont tracées par les numéros matricule et d’expertise sur les éprouvettes, puisqu’il s’agit de préparations constituées en vue de documenter.
Les étiquettes identifient chaque pièce avec précision et font notamment état du matricule 107969, qui correspond au numéro qui fut tatoué au Camp d’Auschwitz sur l’avant-bras de Menachem Taffel, une des 86 victimes du projet de « collection de squelettes juifs » voulu par August Hirt, comme cela est confirmé par les archives du Camp d’Auschwitz.
Plusieurs scientifiques avaient contesté leur existence.
Mais comme d’autres étudiants en médecine, Raphaël Toledano avait senti face aux bocaux présentés en cours d’anatomie qu’il s’agissait de victimes du professeur Hirt.
Depuis des années la rumeur persistait comme une blague potache.
Dans la collection de l’université de Strasbourg, certains affirmaient avoir vu des bocaux contenant des fragments de corps de victimes juives avec l’étiquette « Juden ».
Dans son dernier livre Hippocrate aux enfers, les médecins des camps de la mort, Michel Cymes affirmait l’existence de ces prélèvements.
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Une version qui avait provoqué en janvier dernier la colère de l’Université. Aujourd’hui, la preuve est faite que ces restes existaient bien.
La communauté juive a réclamé la restitution de ces prélèvements pour qu’ils soient à leur tour inhumés.
Le cercle Ménachem Taffel a eu de grandes difficultés pour faire apposer une plaque en mémoire des 86 juifs à l’Institut d’Anatomie.
La direction de la Faculté craint toujours l’amalgame entre la Reichsuniversität et celle de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand.
Ces restes seront inhumés à Cronenbourg, où ­reposent les dépouilles des 86 victimes du Professeur Hirt.
Des recherches génétiques pourraient avoir lieu pour tenter de vérifier l’identité des fragments de peau. « Mais leur long séjour dans le formol peut rendre ces analyses difficiles », juge le patron de l’Institut de Médico-Légal.
Le président de l’université envisage lui de créer une commission d’experts. Les historiens le réclament car la découverte des bocaux marque un tournant et serait l’occasion de faire la lumière, d’apaiser les descendants et de transmettre la vérité aux futurs médecins.
D’autres pièces pourraient émerger.
Car quid des 250 « préparations anatomiques » que le Professeur Hirt a confié, avant son suicide en 1945, avoir réalisées à l’Institut ?
« On n’a pas fait le tour de tous les placards », dit Raphaël Toledano. Mais la porte s’est entrouverte.
Il est d’ores et déjà entendu pour tous que ces pièces doivent être remises à la Communauté juive de Strasbourg, afin de faire l’objet d’une inhumation et de rejoindre les restes des victimes inhumés au lendemain de la guerre au cimetière israélite de Cronenbourg.
Pascale Davidovicz
Sources : www.struthof.fr – www.francetvinfo.fr – www.lejdd.fr – www.ouest-france.fr
 

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