Professeur titulaire au Département d’histoire d’Israël à l’université Ben Gourion, originaire de Jérusalem, chercheuse en philosophie juive, auteur de plusieurs ouvrages mystiques, Haviva Pedaya est pour la première fois traduite en français et présente ses « Contes des miroirs brisés » (Editions Avant-Propos). Inspirés par le Hassidisme (mouvement orthodoxe) et la Kabbale (mystique juive), les contes sont un mélange de poésie et d’interrogations alliant d’anciennes traditions à la littérature fantastique, en passant par le mysticisme juif. Récompensée par plusieurs bourses et prix, Mme Pedaya est aussi une militante pour la paix. Avec images, métaphores et paraboles, elle répond aux questions d’IsraPresse.
Israpresse: Vous êtes une femme, d’origine orientale, kabbaliste, professeur, écrivain. Comme vous le décrivez dans vos contes, y a-t-il un fil conducteur qui vous mène vers chacun de ces rôles?
Haviva Pedaya: Je vis la réalité dans de nombreuses dimensions simultanément et essaie de la situer de différentes manières. Votre question me conduit à penser inconsciemment qu’il y a un mouvement entre les multiples dimensions de la perception de la réalité – comme un kaléidoscope – et l’écriture littéraire dans laquelle j’aime ouvrir des portes ou des labyrinthes. Cela me rappelle qu’en tant que chercheuse en Kabbale, au départ j’ai montré la correspondance chez les premiers kabbalistes de Provence (France) et ceux de Gérone (Espagne) entre le double sens du texte biblique et la perception de la réalité s’étendant sur deux niveaux. Il y avait aussi des kabbalistes dont la perception de la réalité s’étalait sur quatre niveaux d’écriture et de créativité, le Pardès (concept kabbalistique permettant de faire référence aux quatre niveaux de compréhension possible de la Torah correspondant aux quatre niveaux de l’âme, NDLR). Alors peut-être que chez moi aussi, les perceptions sont différentes. Le réaliste, allégorique, fantastique, symbolique sont les premières portes que j’ouvre vers l’infini de la réalité et de l’écriture.
Israpresse: En tant que poète et kabbaliste, avez-vous un regard différent sur le monde en général et notre pays en particulier?
Haviva Pedaya: Je ne sais pas si mon regard est différent mais je peux décrire ce que je vois. Je vois le monde comme une énigme mystérieuse. Tout au long des différentes civilisations, l’effort a été de représenter un certain secret ou au contraire, de le réduire. Le processus de réduction du secret est parfois encore plus grave que l’énigme que représente le monde. Dans cet exil dont personne ne connait l’origine profonde, les gens essaient d’aimer et de donner la vie et, en même temps, tuent. Les affrontements entre le secret et l’objet de la passion sont centraux non seulement à l’échelle de l’individu mais au niveau collectif regroupant un pays voire des nations et dont l’objet de leur désir est habituellement de dimension nationale. Le peuple juif est venu dans le monde avec un mythe et un mysticisme très fort sur la création et l’exil de l’âme et du monde. En fait, la souffrance du peuple juif vient de l’exil et simultanément tissant des histoires symboliques. Notre mission aujourd’hui, entre les processus en Europe ou le monde islamique et Israël, est d’isoler les passions imaginaires d’Apocalypse et retenir les querelles sur des objets concrets, parfois cela peut être fait en élargissant le puzzle et l’acceptation de l’humilité. Utiliser à la fois le mythe de la création et le mythe de l’exil pour créer quelque chose de tolérant et de durable.
Israpresse: Avec votre livre, nous retournons vers la tradition des contes populaires. Que pensez-vous de ce genre littéraire en Israël?
Haviva Pedaya: Ce genre ne doit pas être étranger au judaïsme, car le judaïsme possède un trésor de contes, aussi bien populaires que mystiques comme ceux de Rabbi Nahman de Breslev. Il est vrai qu’en Israël le processus de retour d’exil a entrainé un verrouillage de la littérature juive, une sorte de honte du trésor de créativité juive en Europe et dans les pays musulmans. J’aime vraiment ce genre qui m’intéresse beaucoup. Comme artiste dans le domaine du théâtre visuel, j’ai toujours aimé travailler avec les contes d’Andersen qui permettent l’accès à l’animation des objets. En tant que conteuse, le conte permet d’observer le destin et les actions des êtres humains. En hébreu, le mot est venu de l’action, inaction et de l’autre côté, il est aussi énigme, histoire miraculeuse, magie. A mon sens, les légendes anciennes touchent des énigmes décisives, donc pour moi, elles sont l’axe des trois forces en conflit: la réception (comprendre le mystère), la psychanalyse (comprendre les conditions et les névroses du destin), et de l’action (la bonté ou la malédiction dans l’acte lui-même).
Israpresse: Vos contes mêlent la vie quotidienne avec la Kabbale, le Hassidisme et d’autres éléments encore. N’est-ce pas la vie finalement?
Haviva Pedaya: Oui, c’est cela la vie, pas toujours ce que nous voulons ou pouvons vraiment voir. Parfois, le moment de la confrontation avec le moment de réflexion – un miroir ou une image, un sentiment que les masques tombent ou inversement beaucoup d’images que l’on n’a pas remarquées – est un moment dans lequel nous ressentons les dimensions de la profondeur de l’existence humaine.
Propos recueillis par Nelly Ben Israël
http://www.israpresse.net/haviva-pedaya-femme-poete-et-kabbaliste/
Poster un Commentaire