Des fous ? Des loups solitaires ? Les spécialistes français du contre-terrorisme n’en croient rien. Pour eux, les djihadistes obéissent à un « mode opératoire » de nature quasi-militaire.
« Pour pouvoir leur faire face, il nous fallait comprendre comment ils agissent », explique le colonel Hubert Bonneau, commandant du GIGN. Sur le plateau de Satory, au sein du groupe d’élite de la gendarmerie, une petite équipe animée par un jeune officier doctorant en sciences politiques (dont l’identité est couverte par le secret défense) planche depuis 2012 sur la manière dont les terroristes agissent lorsqu’ils passent à l’action. Ils se sont confiés à l’Opinion.
Ces gendarmes pensent avoir compris ce qu’était « la trame, la matrice » de ces « tueries planifiées », qui se répètent régulièrement, depuis les attaques de Bombay en 2008. Avec l’aide des unités antiterroristes étrangères, cette cellule a analysé les attentats, notamment ceux d’In Aménas (Algérie), de Nairobi et de Garissa (Kenya), du Bardo et de Sousse (Tunisie), de Bruxelles et bien sûr ceux qui se sont déroulés en France (Merah, Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher,..
UN MANUEL TERRORISTE DE 1600 PAGES
Surtout, ces enquêteurs ont lu l’abondante littérature des djihadistes, dans laquelle ceux-ci exposent leur stratégie et leurs tactiques de manière très claire. Leur grand théoricien « militaire » est Abou Moussab al-Souri, un Syrien. Il a publié un manuel de 1 600 pages, décrivant en détail ce que doit être l’action terroriste au regard des préceptes religieux. Surtout, al-Souri a critiqué Ben Laden, dont il était proche, à la fois quant à son management – un commandement très centralisé – et sa stratégie tournée vers des coups spectaculaires portés à « l’ennemi lointain », l’Occident. Ces options ont provoqué une réaction militaire et policière très forte des Etats-Unis et de leurs alliés, aboutissant à l’affaiblissement d’Al Qaïda, dont la mort de Ben Laden dans sa maison d’Abbottabad (Pakistan), en 2011, reste le symbole.
Une nouvelle doctrine d’action a été élaborée, arrivant à maturité vers 2004-2005. Depuis dix ans, celle-ci « percole » dans les milieux djihadistes, jusqu’à former leur « ADN » que l’on retrouve aujourd’hui de manière quasi systématique. Il s’agit de promouvoir des actions « décentralisées », sans ordres venant du sommet : un « solo jihad cimenté par une idéologie, un nom, relevant d’une technique de marketing et une méthode » militaire. Celle-ci a été baptisée la stratégie des « milles entailles » : faute de pouvoir porter un coup fatal à l’ennemi trop puissant, on lui inflige des centaines de petites blessures qui finiront par le terrasser. Dans leur littérature, les djihadistes, qui annonçaient en 2005 la proclamation du califat entre 2013 et 2016 (elle a eu lieu en 2014), s’attendent à la « confrontation totale » à partir de 2016 pour une « victoire définitive » après 2020.
IMGHIMASSI. LES IMMERGÉS
Au cœur de leur mode opératoire, on trouve les Imghimassi, les « immergés ». Ce sont les combattants les plus honorés, les plus valeureux pour les djihadistes, au-dessus des moudjahdines et des chahids (martyrs). Leur nom renvoie à la lutte contre les Mongols, au XIIIe siècle, lorsque des soldats musulmans se jetaient au cœur de l’ennemi sans espoir de retour. Leur action n’est licite qu’à certaines conditions, « si et seulement si » : ils doivent évidemment agir au nom de l’islam, ne pas avoir l’intention personnelle de mourir (car le suicide est interdit par la religion), se trouver dans un rapport de force défavorable par rapport à l’ennemi et avoir l’intention d’entraîner avec soi le maximum d’ennemis dans la mort.
Tactiquement, leurs opérations de tueries planifiées, se déroulent en trois phases : destruction, retranchement, affrontement. Les assassinats ont lieu durant un temps très court, entre 30 et 90 minutes – ce qui ne laisse pas de temps aux unités contre-terroristes pour intervenir. Un maximum de personnes est alors tué : la « courbe de létalité » grimpe très vite pour se stabiliser durant le deuxième temps, celui du retranchement – avec ou sans otages – durant lequel les terroristes sont volontairement assiégés, puisqu’ils ne cherchent pas à fuir. Au contraire, ils attendent les forces de sécurité pour pouvoir les affronter en face-à-face, au moment de leur choix. « Ils ne se rendent pas. Ils sont là pour nous affronter », indique-t-on au GIGN.
C’est là le scénario idéal pour les djihadistes, mais, comme dans toute action militaire, il est soumis à la friction de la guerre : les choses ne se déroulent pas toujours comme prévu. Ainsi à Charlie Hebdo, les frères Kouachi semblent avoir été désorientés par le peu de résistance policière rencontrée dans la rédaction. Ils sont donc redescendus dans la rue, sont allés calmement au contact avec les policiers, puis les ayant repoussés ou tués, sont partis. Finalement, ils se sont enfermés dans l’imprimerie de Dammartin-en-Gôele, expliquant au patron qu’ils attendaient l’arrivée du GIGN pour le massacrer… Et lorsque les gendarmes ont été sur place, les deux frères sont sortis d’eux-mêmes pour affronter l’unité d’élite.
A Sousse, le jeune Tunisien n’a pas pu passer à la deuxième phase (retranchement) parce qu’il avait utilisé la totalité de ses munitions sur la plage, faisant ainsi preuve, en termes militaires, d’une mauvaise maîtrise du feu. A Saint-Quentin-Fallavier (Isère), Yassin Sahli n’est pas parvenu à faire exploser les bonbonnes de gaz et d’acétone de l’usine Air Products. Son échec tactique explique sans doute le fait que l’action n’a pas été revendiquée. Au royaume du djihad, n’est pas Imghimassi qui veut !
En revanche, les frères Kouachi le sont désormais bel et bien. Les journaux djihadistes disponibles sur le Net comme Inspire ou al-Risalah, font figurer les deux Français dans la galerie de leurs héros aux côtés de Ben Laden ou de Zarkaoui.
Photo Mika/GIGN : ce matin sur les Champs Elysées.
http://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/comment-gign-analyse-tueries-planifiees-djihadistes-26193?utm_source=twitterfeed&utm_medium=twitter
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